ANALYSES

Guerre en Ukraine : se dirige-t-on vers des négociations ?

Interview
2 décembre 2022
Le point de vue de Jean de Gliniasty


Après plus de 9 mois, le conflit ukrainien semble entrer dans une nouvelle phase. Le retrait des troupes russes de la ville de Kherson le mois dernier, tombée aux mains des Russes seulement quelques jours après le début de l’offensive, constitue un revers stratégique majeur. Quelle est la situation actuelle sur le terrain ? Qu’en est-il du soutien dont dispose Vladimir Poutine à l’étranger ? Pourrait-on se diriger vers des négociations ? Le point avec Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur de France à Moscou.

Quelle est la situation actuelle sur le terrain ? Se dirige-t-on vers un conflit gelé ?

La situation actuelle est aux préparatifs de nouvelles opérations militaires. Les belligérants ont traversé une période qui pourrait être qualifiée de « raspoutitsa », période de l’année durant laquelle les pluies transforment le sol pour laisser place à de la boue. Les chars s’enlisent et les troupes sont paralysées, ce qui a eu des conséquences sur les offensives, notamment ukrainiennes. À présent, nous entrons dans une période où le sol commence à se geler, les blindés vont donc à nouveau pouvoir manœuvrer. Les Ukrainiens tenteront de bénéficier de leurs avantages acquis sur le terrain pour avancer, vers le Nord notamment.

Dans le même temps, les Russes accroissent leurs efforts pour essayer de prendre Bakhmout qui, étant un verrou vers Kramatorsk, la capitale du Donbass, a pris une valeur symbolique. Les Russes, au prix de pertes très lourdes, essaient donc de l’encercler. Les combats vont reprendre avec encore plus d’intensité. Nous sommes à la veille d’une reprise des activités militaires qui, si elles n’aboutissent pas, pourraient alors conduire à des débuts de pourparlers.

Le soutien dont dispose Poutine à l’étranger est-il en train de s’effriter ?

Le mot soutien est un mot excessif. Un certain nombre de pays qui, par réticence ou hostilité commune vis-à-vis de « l’Occident collectif » comme disent les Russes, mais également parce qu’ils ont des intérêts ponctuels qui rejoignent ceux de la Russie, ne veulent ni appliquer les sanctions ni condamner expressément l’invasion de l’Ukraine. Cependant, ces pays ne peuvent pas être compris comme un groupe homogène. Certains prennent leurs distances avec l’invasion, mais n’appliquent pas les sanctions, d’autres n’en appliquent qu’une certaine partie. Les Chinois, par exemple, ne livrent pas de matériel militaire, mais demeurent désireux d’importer du pétrole russe à bas prix. Ce qui est certain, en revanche, c’est que lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai en septembre, lors du sommet de l’Organisation du traité de sécurité collective à Samarcande qui a eu lieu la semaine dernière et lors du sommet du G20 à Bali en mi-novembre, de nombreux pays ont exprimé leur désir de sortir de la guerre. Ils l’ont « condamnée » pour reprendre le mot qui a été utilisé à Bali.

Il y a donc une fatigue générale de cette guerre qui gêne notamment le développement économique de ces pays et qui est en quelque sorte le prélude d’une crise économique grave. En dehors de cela, le soutien – du moins l’attitude – à la carte envers la Russie n’a pas beaucoup changé : ceux qui n’appliquaient pas les sanctions ne le font toujours pas et ceux qui ont dit qu’ils ne reconnaîtraient jamais les quatre nouveaux districts créés par la Russie n’ont pas changé d’avis. Sur un fond général de réticence vis-à-vis de cette guerre, il existe une sorte de multipolarité en dehors du bloc occidental. En fonction des intérêts de chacun, on soutient plus ou moins la Russie.

Pourrait-on se diriger vers des négociations ? Quels sont les acteurs qui y sont favorables ? Quels sont ceux qui sont contre ?

Les premiers qui s’opposent frontalement à la négociation sont les Ukrainiens. Ils sont en position de force, leur armée est motivée, ils ont du matériel moderne – et viennent par ailleurs d’obtenir la promesse d’être livré en munitions de 155 mm et en fusées HIMARS par le Congrès américain il y a moins d’une semaine – ; ils veulent marquer le maximum de points. Il n’est pas question pour eux de négocier alors que la victoire semble à portée de main. Les Russes, quant à eux, ont dit qu’ils étaient prêts à négocier à tout moment, sans condition. Et pour cause, ils veulent capitaliser sur la partie du territoire ukrainien qu’ils occupent. Un cessez-le-feu serait donc pour eux une façon de reprendre souffle et de se consolider.

Il faut également s’intéresser à la posture adoptée par les « maîtres du jeu » que sont les États-Unis, c’est-à-dire ceux qui ont livré 19 milliards de dollars d’aide militaire à l’Ukraine et qui sont le principal soutien à l’armée et au gouvernement ukrainien. Actuellement, de nombreuses rumeurs et déclarations montrent que pour les États-Unis le temps est venu de s’asseoir à la table des négociations. Le général Mark Milley, chef d’état-major de l’armée américaine, a récemment déclaré que Washington aidait les Ukrainiens pour leur permettre d’être en position de force au moment de la négociation. C’est intéressant puisque les États-Unis intègrent la perspective d’une négociation leur planification. Le chef d’état-major a également déclaré qu’il arriverait un moment où les deux parties comprendraient qu’elles ne peuvent pas aller plus loin dans leur projet militaire et qu’elles finiront par s’asseoir autour d’une même table. Le porte-parole de la Maison-Blanche a immédiatement nuancé les paroles du général Mark Millay en rappelant que c’est aux Ukrainiens de décider si et quand ils souhaitent démarrer une négociation. Mais une telle formule montre que la perspective est désormais envisageable.

Nous sommes donc actuellement dans une phase préliminaire. Mais, si on ajoute ces déclarations américaines, la fatigue de la guerre qui s’est manifestée avec une réelle unanimité à Bali, le fait que les Russes, pour des raisons évidentes, ont intérêt à la négociation, on sent effectivement monter un bruit de fond disant qu’il est temps de négocier. Ce qui est certain, c’est que ces négociations n’auront pas lieu avant un nouveau test du rapport des forces militaires où, si les Russes s’effondrent, les Ukrainiens seront tentés de pousser encore plus leur avantage avant toute négociation.
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