17.12.2024
Crise climatique : la Chine refuse de payer la note des pays riches
Presse
24 novembre 2022
Cette année, lors de la COP, l’Afrique a réussi à orienter les débats sur la question des pertes et préjudices, avec l’idée que les pays riches doivent payer pour les conséquences du changement climatique, dont ils sont très largement responsables. Or, la Chine n’a cessé de rappeler que depuis 1850, elle a émis beaucoup moins de gaz à effet de serre (11 % des émissions mondiales) que l’Amérique du Nord (27 %) ou encore l’Europe (22 %). Et ce, quand bien même elle est aujourd’hui l’État qui émet le plus de CO2 à l’échelle mondiale — un chiffre à mettre en perspective avec le nombre d’habitants dans le pays, 1,41 milliard.
Ce discours lui a permis de rappeler l’idée d’une « responsabilité commune, mais différenciée » [1], sans se placer sur le devant la scène — la Chine est restée extrêmement discrète durant cette COP27. Cela lui a permis d’invisibiliser ses propres émissions.
La position de la Chine est claire sur le fonds pertes et dommages : oui, il faut indemniser les pays qui sont les plus affectés par le changement climatique et, oui, ce sont les pays émetteurs historiques — les États-Unis et l’Europe en premier chef — qui doivent abonder ce fonds. Le texte de la COP sur ce fonds n’est pour l’heure pas très clair, il sera renégocié plus tard, mais je suis persuadé que la Chine n’y adhérera pas. Plutôt que d’entrer dans un fonds commun avec les pays riches, elle va plutôt développer des relations bilatérales, plus avantageuses pour elle. Voire aussi créer ses propres fonds, car elle en a les moyens. C’est aussi le sens de sa position durant la COP : la Chine a acté le fait que les pays en voie de développement étaient divisés en deux blocs. D’un côté, il y a les pays vraiment pauvres, qui ont de sérieux problèmes de financement ; de l’autre, les pays émergents qui ont les moyens financiers d’assurer leur propre transition énergétique. Selon elle, la Chine fait partie de cette seconde catégorie. Elle ne fait pas partie des pays riches : par exemple, le revenu national brut par habitant aux États-Unis est de 70 480 dollars ; en Chine, il est de 19 170 dollars.
Quelle est sa politique de lutte contre le réchauffement climatique ?
C’est relativement méconnu, mais la question du changement climatique est apparue assez tôt en Chine, notamment lors des grandes tempêtes et accidents climatiques des années 1990. Au même titre que l’Inde, le pays est touché de plein de fouet par la crise climatique depuis ces années-là, et la pollution a été un sujet de mécontentement croissant dans le pays.
Une chose intéressante est le fait que le mot « crise » s’écrit « Wei-ji » en chinois. « Wei » signifie « danger », et « ji », « opportunité ». Le pays a donc profité de la crise climatique pour restructurer, lentement il est vrai, toute son industrie. Sa priorité est, pour reprendre les termes de la Chine, « le travail à la maison », en s’assurant de contrôler complètement les substituts aux centrales à charbon, qui fournissent toujours la majorité de l’énergie dans le pays. Or, la Chine a clairement conscience qu’à l’avenir il va falloir se passer du charbon, qui est la pire énergie fossile. Elle a donc commencé à investir dans le gaz, qui est un moindre mal, avec l’idée qu’il pourrait servir de transition — ce qui explique aussi son refus, au même titre que les États-Unis d’ailleurs, de condamner les énergies fossiles lors de la COP27.
En parallèle, elle a investi massivement dans les énergies renouvelables, dont elle est la plus grande productrice au monde. Trois domaines ont été privilégiés : l’hydraulique, l’éolien, puis le solaire, de façon assez foudroyante. En 2021, les énergies renouvelables ont ainsi eu en Chine une croissance plus élevée que celle du nucléaire… alors même que le pays est le deuxième producteur mondial d’électricité nucléaire.
La concurrence économique avec l’Inde ou encore les États-Unis peut-elle être un frein à la mise en œuvre de politiques ambitieuses de lutte contre le changement climatique en Chine ?
Au contraire : la concurrence économique avec ces deux continents tend plutôt à accélérer la mise en œuvre de politiques ambitieuses à ce niveau-là. La Chine veut montrer au reste de la planète qu’elle est celle qui, par exemple, produit le plus d’énergies renouvelables. Elle en a fait un argument de son expansion dans le monde : elle a la maîtrise technologique de l’hydraulique, de l’éolien et du solaire, et elle est en train de développer, à l’étranger, de nombreux projets fondés sur les renouvelables. De la même manière, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la Chine assure de nos jours 80 % de la production mondiale des différents équipements nécessaires à la fabrication de panneaux solaires.
Cela étant dit, toutes ces politiques de lutte contre le changement climatique sont également critiquables. Il s’agit en effet pour l’essentiel de projets massifs : les centrales solaires chinoises s’étendent sur des milliers d’hectares, idem pour l’éolien. Cette transition énergétique est donc extrêmement gourmande en minerais. C’est le modèle économique de la Chine, « Big is beautiful ». Le pays joue sur les rendements d’échelles, d’où les panneaux solaires chinois qui sont bien moins chers qu’ailleurs, par exemple. De la même manière, la Chine est très en avance concernant la production de voitures électriques, elle en produit massivement. Cela permet d’amoindrir l’usage des hydrocarbures, mais est-ce pour autant positif au niveau écologique global ? Non. On peut aussi citer ses grands projets de barrages hydrauliques en Afrique, qui provoquent des dégâts environnementaux terribles. La Chine est sans doute l’un des pays les plus avancés dans la transition climatique, mais son modèle économique pose problème sur ce sujet à l’échelle mondiale.
Propos recueillis par Amélie Quentel pour Reporterre.