06.11.2024
Éthiopie : cessation des hostilités ou reddition ?
Interview
4 novembre 2022
Le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tegray (TPLF) ont signé un accord de cessation des hostilités le 2 novembre dernier. Après près de deux ans de guerre, la signature de cet accord entérine-t-elle la défaite des Tegréens ? En quelle mesure peut-elle permettre une amélioration de la situation humanitaire dans la région ? Quels sont les points faibles de cet accord ? Le point avec Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’ et spécialiste de l’Éthiopie
Lors de la reprise des affrontements en septembre dernier, vous nous expliquiez qu’il y avait peu de chances que le processus de paix soit relancé tant que l’un des deux belligérants n’avait pas subi de lourde défaite. Cette signature de cessation des hostilités consacre-t-elle la défaite des Tegréens ?
Les deux parties ont bien compris que la poursuite des hostilités les desservait. La Région-État du Tegray est dévastée et son économie n’offre plus de réelles capacités. La situation humanitaire est désastreuse et seuls les combats permettent au TPLF de faire entendre encore sa voix. Côté gouvernemental, les forces armées ont relancé des offensives aidées par l’armée érythréenne et les milices amhara et afar. Il devient difficile pour le TPLF de s’opposer à ces forces armées très nombreuses. Mais la situation économique de l’Éthiopie est aussi un problème majeur avec l’absence de devises, un marché noir qui s’affole, une inflation forte (40 %) et une croissance non suffisante pour les deux prochaines années. Il y avait donc intérêt pour des raisons différentes de conclure une cessation des hostilités afin de faire repartir le pays dans la bonne direction. La signature de cet accord est à l’avantage du gouvernement et donc du Premier ministre Abiy Ahmed. Si cet accord est respecté tel quel par les deux parties, le TPLF aura perdu sur tous les tableaux. La situation de la région du Tegray est catastrophique et deux années de guerre l’auront appauvrie et amenée à un niveau plus bas que celui de novembre 2020 au début des hostilités. Aucune des revendications voulues par le TPLF n’est prise en compte dans le texte. Le TPLF sort très affaibli de cette guerre et il devra rendre des comptes aux Tegréens sur deux années de guerre avec des pertes humaines importantes et un gâchis économique. Si la population a suivi le TPLF par souci d’unité, il y a peu de chances que ce parti puisse demain être encore une représentation crédible de la région.
Quelle est la situation humanitaire au Tegray et en quoi cet accord peut-il permettre une amélioration ?
La situation humanitaire dans cette zone de conflit est catastrophique et les besoins sont importants après deux années de guerre pendant laquelle cette région est restée en état de siège. L’aide humanitaire a été instrumentalisée et n’a jamais été constituée d’un flux régulier qui pouvait atteindre toutes les villes et villages tegréens. L’accord prévoit une aide humanitaire sans entrave. Le gouvernement devra en liaison avec les organisations humanitaires faire parvenir cette aide et notamment vers ceux qui en ont le plus besoin, les populations vulnérables (femmes, enfants et personnes âgées). Il est prévu une coopération entre les deux parties et les organismes humanitaires pour réunir les familles séparées par le conflit. Des actions particulières seront menées pour faciliter le retour et la réintégration des personnes déplacées et les réfugiés.
Quels sont les points faibles de cet accord ?
En neuf jours, les deux parties, sous conduite africaine et sous pression américaine, ont conclu un accord de cessation des hostilités. Si des discussions avaient déjà eu lieu à Djibouti et aux Seychelles, la rapidité de la signature qui correspond à la veille du début des hostilités (nuit du 3 au 4 novembre 2020) ne peut que surprendre. Les combats qui se déroulaient il y a encore quelques heures ont laissé place à une « paix » très fragile. De nombreux points d’interrogation subsistent. Comment concevoir la démobilisation des forces tegréennes alors que les Érythréens sont encore sur le sol du Tegray ? Aucune indication financière n’apparait concernant le processus de démobilisation, désarmement et réintégration (DDR). Les Tegréens chassés de l’armée, de la police et de l’administration ne sont pas pris en compte dans le déroulement du processus de DDR. Les délais donnés pour les différentes étapes de l’accord semblent être trop courts. Il n’est pas fait mention du désarmement des milices progouvernementales.
Néanmoins, cet accord va dans le bon sens. Seule la bonne volonté des deux parties au conflit pourra permettre de revenir à une situation de paix.