18.11.2024
Exercices nucléaires tactiques : la Corée du Nord menace-t-elle la sécurité de la région ?
Interview
14 octobre 2022
La Corée du Nord multiplie actuellement les essais balistiques avec le lancement de 9 missiles en deux semaines, dont un a survolé le Japon. Ces simulations de frappes nucléaires tactiques se déroulent sur fond de tensions autour de la péninsule coréenne. Comment peut-on interpréter ces frappes préventives ? Pyongyang constitue-t-elle une menace crédible pour Washington et la sécurité de la région ? Peut-on craindre une escalade des tensions ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du programme Asie-Pacifique.
La Corée du Nord a affirmé lundi et jeudi avoir simulé des frappes nucléaires tactiques et avoir testé deux missiles de croisière. La semaine précédente, un missile balistique avait survolé le Japon, une première depuis 2017. Comment peut-on interpréter ces frappes préventives ? Quelle stratégie la Corée du Nord cherche-t-elle à mettre en place ?
Après une pause de plusieurs années, Pyongyang a repris ses tirs de missiles en 2022, d’abord en marge de l’élection présidentielle en Corée du Sud en mars, puis au cours des dernières semaines. Et pour la première fois effectivement depuis 2017, un missile sud-coréen a survolé le nord du Japon avant de s’abimer dans l’océan Pacifique. Ces tirs, en plus des simulations, sont présentés par le régime nord-coréen comme la démonstration de sa capacité à transporter des armes nucléaires tactiques (de faible intensité), élargissant ainsi la panoplie de sa stratégie de dissuasion. Cette nouvelle démonstration de force doit être comprise comme la volonté de Pyongyang de rendre son arsenal plus crédible, et comme une réponse à un contexte politique et géopolitique particulier. Au premier rang, la relation avec la Corée du Sud et son président élu (à une très courte majorité) en mars dernier, Yoon Suk-yeol, qui a choisi de rompre brutalement avec la politique d’ouverture vers la Corée du Nord de son prédécesseur Moon Jae-In (2017-2022). Parmi les autres motivations, mentionnons l’ouverture dans quelques jours du XXe Congrès du PCC à Pékin, et la relation avec Washington qui s’est fortement tendue depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. La Corée du Nord se sent, à tort ou à raison, menacée, et a fait de ses capacités nucléaires sa principale arme de défense et de maintien de son régime politique.
Ces tirs surviennent sur fond de tensions avec les États-Unis qui ont intensifié leurs exercices militaires conjoints avec le Japon et la Corée du Sud. Pyongyang constitue-t-elle une menace crédible pour Washington et la sécurité de la région ?
Après les rencontres entre Donald Trump et Kim Jong-un et l’amélioration très nette du dialogue avec Séoul à partir de 2018, la relation Washington-Pyongyang a connu une embellie sous le mandat de Donald Trump, et dès l’arrivée au pouvoir de Joe Biden en janvier 2021, le président américain a durci le ton vis-à-vis du régime nord-coréen, en replaçant la non-prolifération nucléaire au cœur de tout dialogue, comme c’était le cas sous l’administration Obama. Ce qui a échoué avant 2017 n’avait pas vocation à mieux fonctionner, et c’est sans surprise que Pyongyang a refermé tout dialogue avec Washington. À cela s’est ajoutée l’élection de Yoon Suk-yeol, qui affiche une posture nettement plus proche de Washington que son prédécesseur, en plus de revenir quinze ans en arrière dans la relation avec Pyongyang (élu en 2007, Lee Myung-bak avait refermé la parenthèse de la Sunshine Policy, et durci le ton face à Pyongyang). Au cours des derniers mois, Washington a renforcé ses pressions sur Séoul afin de faire entrer la Corée du Sud dans le Quad (partenariat stratégique liant les États-Unis, le Japon, l’Inde et l’Australie), et la guerre en Ukraine s’est traduite par une tension plus forte vis-à-vis de Moscou, mais aussi Pékin. Dans le cadre de sa stratégie d’Indopacifique, essentiellement fortement articulée autour des questions de sécurité – même si Joe Biden a élargi ce dispositif à d’autres enjeux, notamment économiques, depuis le printemps dernier – Washington a fait du renforcement du partenariat avec ses alliés dans la région une priorité. Ce n’est pas donc tant l’évaluation de la menace posée par la Corée du Nord qu’une volonté de repositionnement stratégique dans la région, animée surtout par la volonté de contrer la montée en puissance chinoise, qui justifie pour les États-Unis une fermeté plus grande vis-à-vis de Pyongyang.
Comment la communauté internationale peut-elle réagir face à ces frappes préventives ? Peut-on craindre une escalade des tensions ?
La Corée du Nord est déjà soumise à un très sévère régime de sanctions qui en fait l’un des pays les plus isolés au monde. L’avenir de ces sanctions, à savoir si elles seront élargies ou non, dépendra surtout d’un éventuel nouvel essai nucléaire, le septième, que Pyongyang pourrait effectuer pour appuyer sa détermination. Cela nous ramène à l’attitude de la Chine, qui se montre agacée des provocations de Pyongyang, et ne veut pas soutenir de manière trop officielle le régime, sans cependant envisager de le mettre en difficulté et précipiter sa chute. Or, comme évoqué précédemment, la Chine aborde dans quelques jours le XXe congrès de son parti communiste. Quant à savoir si une escalade des tensions est possible, il convient de répondre d’abord par l’affirmative, car la stratégie sur le fil du rasoir, privilégiée par Pyongyang, est suffisamment dangereuse pour ne pas écarter un tel scénario. Cependant, on voit bien que l’objectif de Pyongyang est d’exister, et les tensions actuelles avec Séoul et surtout Washington, très fortes, ne sont pas nouvelles. On se souvient notamment de l’administration Bush fils, qui avait inscrit en 2002 la Corée du Nord sur la liste de « l’axe du mal », précipitant Pyongyang à procéder à son premier essai nucléaire (en 2006), le tout dans une atmosphère très tendue. On peut également mentionner les tensions avec Séoul entre 2007 et 2017. Et pour autant, à chaque fois, et en dépit de la multiplication des essais nucléaires et balistiques, le pire a été évité. Ainsi, il ne faut pas confondre stratégie de dissuasion, puisque c’est bien de cela dont il s’agit, et escalade militaire menant à un conflit à grande échelle.