17.12.2024
De la « démocrature » en Amérique
Correspondances new-yorkaises
7 octobre 2022
La victoire – car il s’agit bien d’une victoire – de Jair Bolsonaro au Brésil lors des élections du 2 octobre, sonne comme un avertissement fait aux progressistes américains – et autres – qui refusent de voir les choses en face. Ces derniers s’obstinent à considérer la présidence Trump comme une parenthèse dans l’histoire enchantée des États-Unis, comme un mauvais moment déjà passé dans la marche glorieuse vers la parousie de la démocratie universelle. Ces progressistes aveugles ne veulent (ne peuvent ?) admettre que l’ère des démocraties telles que nous les connaissons depuis la Révolution américaine est en train de toucher à sa fin et qu’il serait grand temps de réformer le système si nous voulons préserver quelques-unes de ces valeurs humanistes issues des Lumières et de l’Après-guerre que nous chérissons tant.
Même si pour finir Bolsonaro ne remporte pas la présidentielle, son emprise sur le Brésil sort renforcée des élections d’il y a quelques jours : plusieurs millions d’électeurs gagnés depuis son accession à la présidence, un grand nombre de gouverneurs/clones élus et surtout un congrès totalement à sa botte.
Comment un individu tel que lui, dont le bilan à la tête de son pays est l’un des plus pitoyables jamais établi par un chef d’État dans l’histoire récente des démocraties libérales, peut-il encore réunir sur son nom tant d’électeurs ?
Tout simplement parce que le système démocratique conçu au 19e siècle pour un électorat du 19e siècle ne fonctionne plus vraiment. Et cela, que cela soit au Brésil ou ailleurs.
Je ne rentrerai pas ici dans le détail du pourquoi, mais, sans bien évidemment faire l’apologie des systèmes censitaires du 19e siècle, reconnaissons que les électeurs de l’époque, cultivés et avertis, étaient quelque peu différents de ceux d’aujourd’hui abrutis par un siècle de capitalisme effréné et addicts de réseaux sociaux qui font oublier tout sens de la collectivité, voire de la réalité.
D’où le besoin d’hommes forts, rassurants, sur qui on pense pouvoir se déverser de la charge de la cité, permettant ainsi à tout un chacun de se focaliser sur son nombril ou au mieux sur sa communauté qu’elle soit ethnique, culturelle ou sexuelle. Quand l’intérêt de chaque individu ne se porte plus que sur lui-même ou sur ce qui lui ressemble, l’idée même de démocratie ne signifie plus grand-chose.
Mais n’allons pas plus loin, car il y a bien évidemment de nombreuses autres raisons qui expliquent le désintérêt des citoyens occidentaux ou autres pour la démocratie et il serait difficile de développer ici plus avant. Je renverrai le lecteur intéressé vers mon prochain essai, États-Unis : dernier arrêt avant l’abîme, publié prochainement chez Dunod. Idem en ce qui concerne des pistes pour préserver nos principales valeurs humanistes dans un monde post-démocratie.
Bornons-nous pour l’instant à répéter que le résultat des élections brésiliennes devrait alerter les milieux progressistes américains qui, se fiant aux derniers sondages, se sont convaincus d’avoir échappé à une vague républicaine au Congrès début novembre – les mêmes sondages qui annonçaient la quasi-victoire de Lula au premier tour, celle du non au Brexit, d’Hillary Clinton en 2016, etc.
Non, chers camarades, la vague populiste/ultra conservatrice amorcée dans les années quatre-vingt-dix aux États-Unis et qui s’est répandue dans de nombreux pays n’est pas retombée. Bien au contraire. Non, Trump n’était pas une parenthèse, les parenthèses ayant plutôt été Obama hier et Biden aujourd’hui.
Peut-être que le résultat des midterms américaines ne sera pas si catastrophique que cela, si c’est le cas, il serait dangereux de s’endormir sur quelques pauvres lauriers alors que la présidentielle de 2024 s’annonce cruciale pour l’avenir du pays.
Si nous ne voulons pas en 2026 fêter le 250e anniversaire des États-Unis sous un régime se rapprochant dangereusement des démocratures, ces prétendues démocraties qui en réalité n’en sont plus véritablement, il est, ainsi que je l’écrivais dans ma dernière correspondance, urgent de trouver un candidat qui puisse sérieusement affronter Donald Trump ou Ron DeSantis.
Il sera éventuellement toujours temps ensuite pour les progressistes états-uniens et tous ceux qui aux pays de l’oncle Sam ou à travers le monde sont attachés aux valeurs inscrites dans la Déclaration d’indépendance américaine, de réfléchir à comment pérenniser celles-ci dans un monde qui de toute façon s’annonce post-démocratie.
Pour l’instant, gagnons du temps.
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Ses deux derniers essais, «Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » et « Femme vaillante, Michaëlle Jean en Francophonie », sont respectivement parus chez Max Milo en 2020 et aux Éditions du CIDIHCA en 2021.