18.11.2024
Ukraine : « La diplomatie de François est une diplomatie de mouvement »
Presse
4 octobre 2022
Il y a un double changement chez le Pape : c’est l’une des premières fois que son approche du conflit ne tend pas à mettre sur le même plan l’agresseur et l’agressé, c’est-à-dire qu’il ne cherche pas à introduire une double responsabilité chez les parties belligérantes. Souvenons-nous que lors de son interview au Corriere Della Serra, François avait ainsi évoqué les « aboiements » de l’OTAN aux portes de la Russie, semblant ainsi désigner une co-responsabilité dans le conflit chez les Ukrainiens, les Européens et leur allié nord-américain. Second changement, et qui est le plus important : le pape analyse le conflit au regard du droit international, en condamnant le référendum annexant les régions ukrainiennes. C’est bien sûr dès le début du conflit que François aurait dû articuler son approche à une lecture juridique, sur la base de la Charte des Nations Unies, et notamment son chapitre VII relatif aux menaces contre la paix, et les actes d’agression.
Cet appel « direct » au président russe s’inscrit-il dans la politique adoptée par le Vatican depuis le début du conflit ? Si oui, comment ?
Je pense que ce qui est en cause est moins la politique du Saint-Siège, c’est-à-dire le travail diplomatique de la Secrétairerie d’État et de ses nonces que l’attitude personnelle du pape François. Pour comprendre son attitude depuis le début du conflit, il faut intégrer trois paramètres importants : en choisissant le prénom François en référence à François d’Assise, le Pape fait de la paix un enjeu de son pontificat. Et effectivement, depuis sa réception au Vatican des leaders palestinien et israélien, son action à Cuba, en Colombie, dans des contextes variés en Birmanie, au Congo, en RCA et jusqu’au conflit ukrainien, ce pape n’a pas ménagé ses efforts pour positionner le Saint-Siège et plus largement les catholiques comme acteurs de paix. Second paramètre : le Pape aime prendre des initiatives, tenter des ouvertures : sa diplomatie est une diplomatie de mouvement, comme on a pu le constater avec des acteurs aussi différents que l’Union européenne et la Chine. Troisième paramètre : le Pape favorise les contacts personnels, cela se constate tant en interne dans sa gestion de l’Église que dans ses relations avec des hommes politiques. Ces trois paramètres expliquent l’approche du Pape dans le conflit ukrainien, sa visite, hors de tout usage diplomatique, à l’ambassade de Russie près le Saint-Siège, sa volonté de rencontrer Vladimir Poutine, sa réunion en ligne avec Kirill et l’appel récent au maître du Kremlin et au président ukrainien. Ils en signent également les limites : le Pape s’est conduit comme un militant pacifiste, au détriment de l’approche diplomatique pontificale traditionnelle, et sa volonté d’être médiateur en faveur de la paix n’a pas été accompagnée d’une analyse lucide de ce conflit, du régime poutinien et de l’indexation du patriarcat de Moscou à la politique internationale russe.
Constatez-vous une évolution dans la manière dont le pape François se positionne sur la guerre en Ukraine ?
Depuis 2015, et de manière amplifiée à partir de mars 2022, il a été assez difficile pour l’observateur de comprendre comment la situation en Ukraine était interprétée par le Vatican. L’imprécision du vocabulaire, je pense notamment à sa dénonciation du nationalisme, sans préciser lequel, les formules à l’emporte-pièce telle que celle de février 2015 où il évoquait « une guerre entre chrétiens », reproduites en février 2022 dans une indexation démodée du conflit à une guerre entre « peuples fiers d’être chrétiens » mais qui se voient « comme des ennemis », le refus de désigner les responsables du conflit, les oscillations entre des approches religieuse, par exemple la consécration le 25 mars 2022 de l’Ukraine et de la Russie au cœur immaculé de Marie, et politique (dénonciation en mai 2022 des « aboiements de l’Otan » (sic) parmi les sources du conflit), sont autant d’éléments qui ont donné l’impression d’une incapacité pontificale à analyser la situation.
Ajoutons qu’habituellement le Saint-Siège se conforme au droit international, (lequel en l’occurrence permet ici de désigner sans ambiguïté la Russie comme État agresseur) et a semblé oublier toute lecture juridique. L’interview donnée par le pape François au Corriere della Serra en mai 2022 a sans doute été le point d’orgue de cette impuissance dans l’analyse, qui voit le Pape refuser l’envoi d’armes à l’Ukraine, demander de l’aide pour cette même Ukraine, proposer une médiation à Poutine tout en soulignant que ce dernier n’a pas daigné lui répondre : l’impression qui se dégageait de ces propos était davantage d’être devant l’opinion d’un pape que devant l’analyse réfléchie d’un chef religieux à la tête d’un des plus importants réseaux diplomatiques au monde. L’évolution date du 22 mai lorsque Mgr Gallagher, en rupture avec les propos du Pape rappelés ci-dessus, a expliqué qu’il était légitime d’aider les Ukrainiens, y compris militairement, revenant ainsi à l’approche habituelle du Saint-Siège et de sa doctrine, qui est celle de la légitime défense armée. La dernière prise de position de François va dans ce sens et traduit le retour du Pape vers les fondamentaux du Saint-Siège en matière de médiation et de paix.
Ses propos peuvent-ils réellement avoir des conséquences ?
Il y a eu une rupture de confiance entre les Ukrainiens et le Pape, qui s’est traduite par la convocation du nonce en Ukraine par le ministre ukrainien des Affaires étrangères. Ses propos peuvent lui permettre de renouer ou d’atténuer le ressentiment ukrainien. Plus globalement et symboliquement, compte-tenu de la spécificité du Saint-Siège sur la scène internationale, la dénonciation d’une montée aux extrêmes et d’un conflit nucléaire relève de ce qui est attendu d’une autorité spirituelle et peut attirer l’attention de ceux qui ne seraient pas suffisamment attentifs à l’importance de ce conflit.
Le Vatican peut-il être un acteur de la résolution de la guerre en Ukraine ?
La rhétorique militaire et guerrière prédomine actuellement ; la voix de la France qui, obstinément, depuis le début du conflit, tentait d’infléchir Vladimir Poutine, est moins audible ; dans ce contexte, toute proposition de médiation, aussi faible soit ses chances de réussir, est méritoire. Et le Saint-Siège, en dépit des errements constatés, continue d’avoir des atouts non négligeables pour débloquer la situation.
Propos recueillis par Cécile Séveirac pour Aleteia.