ANALYSES

Manifestations en Iran : « Le régime est irréformable et condamné à tomber »

Presse
29 septembre 2022
Voilà quinze jours que les Iraniens manifestent. En quoi ce mouvement est-il différent des précédentes protestations ?

C’est un mouvement inédit. À l’été 2009, les Iraniens avaient manifesté contre le trucage des élections pour permettre au régime de maintenir au pouvoir le président Mahmoud Ahmadinejad. En fin d’année 2019, c’était un mouvement contre la cherté de la vie qui touchait principalement les couches populaires. Cette fois, ce n’est ni spécifiquement politique ni économique. Cela vient des profondeurs de la société iranienne.

La mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022 concerne, pour la première fois peut-être, tout le monde. Cela se voit dans les témoignages avec des pères disant que cela aurait pu être leur fille ou des frères que cela aurait pu être leur sœur. Donc, cela leur apparaît comme insupportable.


Et cela se voit dans les manifestations. Il y a certes la présence massive de femmes, ce qui est inédit. Mais elles sont également soutenues par la jeunesse masculine, par une large partie de la population, voire par des personnes plus âgées. Cela dépasse les classes sociales et les générations.

Pourquoi cet embrasement maintenant ?

La mort de Mahsa Amini fait partie de ces événements imprévus qui sont susceptibles de constituer une sorte de détonateur et qui expose une problématique de fond. La plupart des Iraniens n’en peuvent plus de ce régime. Contester le port du voile, le statut de la femme et les prescriptions religieuses qui remontent à la Révolution de 1979, cela revient à contester l’ADN même de la République islamique.

Or, plus des deux tiers des Iraniens sont âgés de moins de 35 ans. Ils n’ont pas connu la Révolution de 1979, ni même la guerre Iran-Irak (1980-1988), qui demeure un marqueur fort dans l’histoire de la République islamique. L’Iran est une société de plus en plus sécularisée. On le sait peu, mais les mosquées sont généralement vides en dehors de celles choisies pour les manifestations ostentatoires du régime à destination de l’étranger.

On se trouve en fait avec un régime qui s’arc-boute sur son identité révolutionnaire supposée. Le 5 juillet dernier, le président Raissi a ainsi renforcé la prescription sur le hijab en ordonnant qu’il couvre non seulement les cheveux, ce que faisaient d’ailleurs de moins en moins les Iraniennes ces dernières années, mais aussi le cou et les épaules. En septembre, un projet de loi a même été envisagé sur l’utilisation de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance faciale dans le métro pour pouvoir envoyer aux femmes qui seraient en infraction des amendes directement à leur domicile.

Le régime peut-il lâcher du lest ?

Pour les ultraconservateurs qui détiennent aujourd’hui tous les leviers du pouvoir – présidence de la république, majlis (« parlement ») et conseil des Gardiens, le tout sous la tutelle omniprésente du Guide suprême -, s’ils lâchent prise, cela reviendrait pour eux à se renier. Leur seule option, c’est donc la répression, qui risque d’être terrible, car à la mesure du défi posé.

Leur pari est que la contestation finira par être réduite dans la mesure où il n’existe à ce jour pas d’alternative politique crédible et que les Iraniens ne veulent pas connaître une nouvelle révolution comme celle de 1979 ou encore les affres des « printemps arabes ». Mais c’est un pari dangereux.

À l’époque de la présidence du « réformateur » Hassan Rohani (2013-2021), de la signature de l’accord sur le nucléaire (2015), les Iraniens avaient encore l’espoir que les choses pourraient s’améliorer, que les conservateurs seraient marginalisés, qu’il y aurait une possibilité d’évolution interne au régime. Mais ils ont compris depuis que ce n’était pas possible, que cela ne se ferait jamais.

D’ailleurs, c’est en partie pour cela qu’ils tiennent grief aux réformateurs de leur avoir fait croire qu’une évolution du régime était possible, et d’avoir en quelque sorte servi de caution « démocratique » au régime.

Que peut-il se passer ?

C’est difficile à dire. Ce qui est sûr c’est que le régime n’est pas réformable et il est, à terme, condamné à tomber. La véritable question, c’est quand et de quelle manière ? L’Iran vit un potentiel point de bascule, mais ce n’est pas pour autant que cela se fera cette fois-ci car le régime a montré qu’il savait assurer sa survie.

Pour autant l’horloge biologique tourne, cela vaut pour Ali Khamenei, le Guide qui a 83 ans et qui est malade, comme pour la génération des cadres révolutionnaires qui le soutiennent, notamment au sein des Gardiens de la révolution. On sent que la crispation au sommet du pouvoir est liée aussi au problème de sa succession qui s’avère incertaine. D’où le scénario avancé par certains de la possibilité – faute de mieux pour le nezam (« le système ») – d’une militarisation accrue du régime théocratique initial.

Avec une dictature des Gardiens de la Révolution, à la place de clercs religieux de plus en plus « démonétisés ». C’est un scénario possible, parmi d’autres. Mais ce serait en tout état de cause reculer pour mieux sauter à un moment donné.

 

Propos recueillis par Patrick Angevin pour Ouest France.
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