19.12.2024
« La guerre est entrée dans toutes les maisons de Russie »
Presse
5 octobre 2022
Cette quadruple annexion est un aveu d’échec, d’autant plus que ces territoires ne sont pas totalement contrôlés par l’armée russe. Face à l’efficacité de la contre-offensive ukrainienne dans l’Est du pays ces dernières semaines, Vladimir Poutine a cherché à sanctuariser certains acquis territoriaux. Mais au-delà de cette sanctuarisation, on peut y voir un objectif stratégique qui avertit le camp adverse qu’en cas d’attaque de l’armée ukrainienne de ces territoires, c’est désormais le territoire de la Russie qui est ciblé, et l’usage de l’arme nucléaire deviendrait une hypothèse encore plus crédible qu’elle ne l’était auparavant.
Cette dissuasion nucléaire risque-t-elle d’effriter le soutien des puissances occidentales aux forces ukrainiennes ?
Face à cette menace, les puissances occidentales vont devoir arbitrer pour décider si les offensives ukrainiennes doivent continuer. Poutine compte bien sur le fait que son bluff nucléaire puisse faire reculer les puissances occidentales. Cette stratégie a été déjà adoptée depuis 22 ans par le leader du Kremlin. L’objectif est d’instiller le doute dans les opinions occidentales pour créer la division. Pour le moment, cette stratégie du bluff nucléaire fonctionne.
L’appel de son allié tchétchène Ramzan Kadyrov à utiliser l’arme nucléaire fait-il partie de cette stratégie ?
Cette séquence fait tout à fait partie de cette dissuasion. Kadyrov est un peu comme un voltigeur dans l’espace politique russe. Il porte une parole extrémiste qui cherche à tirer l’opinion russe vers cet extrême, et aussi à intimider l’Occident. Ce qui permet également de faire apparaître Poutine dans un second temps comme un modéré, qui tempère les ardeurs de cette frange jugée extrême, même en Russie.
Cette spirale guerrière ne pousse-t-elle pas Poutine à céder aux ultranationalistes les plus virulents ?
Jusqu’à présent, Vladimir Poutine se servait de l’extrême droite pour apparaître comme un modéré auprès de sa population. Avant le déclenchement de la guerre, Poutine montrait par exemple qu’il n’était pas acquis à la cause de la Nouvelle Russie, une thèse qui était reprise par certains idéologues ultranationalistes comme Alexandre Douguine, selon laquelle la Russie doit récupérer ses terres historiques pour constituer le centre de l’Eurasie et devenir l’un des pôles géopolitiques majeurs de la planète. Depuis l’invasion, en revanche, il a clairement pris le pli de l’extrême droite russe. Son régime est devenu extrêmement autoritaire depuis le 24 février, avec une quasi-impossibilité pour l’opposition d’exister en Russie. Le discours de Poutine ne correspond plus à la réalité et, de fait, on peut parfois penser que la Russie est entrée dans une nouvelle forme de totalitarisme, au sens où Hanna Arendt l’entendait : la création d’une réalité parallèle afin de perpétrer le pouvoir d’un individu.
La décision d’une mobilisation à plus grande échelle ne risque-t-elle pas de provoquer une contestation qui pourrait déstabiliser les républiques de la Fédération ?
Cette mobilisation partielle, qui est une mobilisation générale qui ne dit pas son nom, suspend une épée de Damoclès potentiellement sur pas moins de 25 millions d’hommes. Il se murmure qu’il y aura d’autres vagues de mobilisations dans les prochaines semaines pour amener sur le terrain 1 million d’hommes au total. Aujourd’hui, tous les citoyens de la Fédération se sentent concernés par cette mobilisation, en parlent dans leur famille, sont inquiets. On peut dire que la guerre est entrée dans toutes les maisons de Russie. S’il devait y avoir des troubles internes en Russie, ils pourraient venir effectivement des républiques où les minorités ethniques, qui servent de chair à canon sur le front ukrainien, se sentent de moins en moins concernées par cette guerre et par les intérêts de la Fédération de Russie à l’étranger.
Quels scénarios possiblespour l’issue du conflit ?
Il existe plusieurs scénarios possibles, mais il faut partir du principe que pour Vladimir Poutine, la défaite est interdite. S’il devait perdre sur le terrain sans gain militaire, il serait en grand danger au sommet du pouvoir. Du côté ukrainien, de manière générale, le temps joue contre Zelenski. Plus la guerre durera, plus les armées russes et ukrainiennes s’enliseront, plus ce sera compliqué pour l’Ukraine d’obtenir le soutien des puissances occidentales pour récupérer la totalité de leur territoire. Et si l’Ukraine venait à perdre, cela déstabiliserait l’ensemble de l’Europe car Poutine souhaitera aller plus loin pour sanctuariser l’espace postsoviétique dont l’intérêt est jugé vital pour la Russie.
Propos recueillis par Benjamin Grinda pour La Marseillaise.