20.11.2024
Guerre en Ukraine : « Les pays du Sud refusent de choisir entre Moscou et Washington »
Presse
18 septembre 2022
L’Otan, qu’Emmanuel Macron avait déclarée en état de mort cérébral en novembre 2019, n’a jamais paru aussi solide, aussi soudée et autant en pleine forme. À tel point que deux pays traditionnellement neutres, la Suède et la Finlande, ont jugé indispensable de la rejoindre, et ce dans l’urgence. Jamais depuis la fin de la guerre froide la nécessité d’une présence militaire américaine forte n’a été autant revendiquée par les pays européens.
Les États-Unis apparaissent comme la seule nation capable de faire face à une menace militaire russe ressentie comme une donnée stratégique structurante. La peur de la guerre pousse les Européens à rechercher la protection américaine. La débâcle de Kaboul et la perte de crédibilité stratégique américaine qui s’étaient ensuivies sont oubliées.
Une réalité plus inconfortable
Mais cette solidarité sans failles des pays occidentaux tant avec l’Ukraine qu’au sein de la famille occidentale ne doit pas masquer une réalité plus inconfortable pour nous. Le monde occidental est uni, c’est indéniable, mais il est également relativement isolé. Les Occidentaux se sont mis d’accord sur sept trains de sanctions à l’égard de Moscou. Aucun pays en dehors du monde occidental (si l’on excepte la Corée du Sud, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, qui sont des pays asiatiques, mais géopolitiquement occidentaux) n’en a adopté une seule.
Si le tiers-monde n’existe plus depuis longtemps, les pays du « Sud global », qu’il s’agisse des pays émergents ou émergés, ou des pays les moins avancés, ont tous refusé de suivre les Occidentaux dans l’édiction de sanctions à l’égard de la Russie. C’est « the West versus the Rest », les Occidentaux face au reste du monde. De ce fait, les sanctions pour affaiblir la Russie ne sont pas suffisantes pour modifier la politique de Vladimir Poutine.
Pas une nouvelle guerre froide
C’est pour cela qu’il est inexact de parler d’une nouvelle guerre froide. Du temps de la guerre froide, les pays qui constituaient l’ancien tiers-monde devaient choisir de s’allier soit à Moscou soit à Washington. Les pays du « Sud global » veulent désormais avoir des relations avec l’un et l’autre, tout comme ils refusent de choisir entre Pékin et Washington. Et s’il leur est demandé d’effectuer un choix, il n’est pas certain qu’ils penchent majoritairement vers l’Occident.
Les raisons sont multiples. Certains pays ont des relations historiques avec Moscou, datant de la guerre froide et de la décolonisation. L’Afrique du Sud n’oublie pas, par exemple, l’aide de Moscou pour lutter contre le régime d’apartheid, soutenu par les Occidentaux. D’autres pays dépendent de la Russie pour leurs équipements militaires ou la sécurité des régimes en place. L’Inde, dont l’armée est majoritairement équipée par Moscou, ne veut pas prendre le risque de voir sa ligne d’approvisionnement coupée. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont liés à Moscou pour la détermination des volumes de production et donc des prix des matières premières énergétiques.
Suivre aveuglément les Occidentaux
Mais surtout, ces pays estiment très largement qu’ils n’ont pas à suivre de façon obéissante et aveugle les Occidentaux et qu’ils doivent avant tout déterminer eux-mêmes leur propre politique, selon leurs propres intérêts. Ils reprochent aux pays occidentaux une certaine hypocrisie : prêts à accueillir des réfugiés ukrainiens, mais refusant ceux qui viennent d’autres continents ; sourcilleux de l’application du droit international lorsque la Russie le viole effrontément, mais n’ayant pas hésité dans le passé à prendre plus que des libertés à son égard. Ils ne reprochent pas aux pays occidentaux leurs valeurs, mais plutôt leur façon de s’en servir de façon opportuniste quand cela les arrange et d’en faire une application à géométrie variable.
Si les Occidentaux continuent à définir entre eux un agenda diplomatique en pensant qu’ils pourront l’imposer sans difficulté au reste du monde, ils vont se heurter à de graves désillusions. Il est absolument indispensable de réfléchir et d’intégrer que le temps où les autres nations suivaient docilement la ligne occidentale parce qu’elles n’avaient pas d’autres possibilités est révolu. Il faut que la communauté occidentale comprenne qu’elle n’est pas la communauté internationale, mais qu’elle en représente simplement une partie et qu’il faut tenir compte des autres sensibilités pour parvenir à un résultat.
Une tribune publiée par La Croix.