14.11.2024
Visite d’Emmanuel Macron en Algérie : entre enjeux mémoriel, énergétique et stratégique
Tribune
31 août 2022
Le président français, Emmanuel Macron, vient de se rendre en Algérie pour une visite de trois jours. Le choix de l’Algérie comme première destination du second mandat du président de la République française traduit l’importance d’une telle rencontre dans un contexte marqué par le retour de la diplomatie algérienne sur la scène régionale, la dégradation des relations bilatérales entre l’Algérie et la France et la crise énergétique mondiale causée par la guerre en Ukraine. C’est aussi un moment symbolique, car l’Algérie a fêté en juillet son soixantième anniversaire d’indépendance. Paris vise à rétablir la confiance entre les deux pays après plusieurs mois de frictions qui ont refroidi leurs liens et relancer la coopération bilatérale.
En effet, les relations entre Alger et Paris ont été ébranlées à la suite des révélations dans le journal Le Monde des propos du président français qualifiant le régime algérien de « politico-militaire » et l’accusant d’entretenir « une rente mémorielle » pour maintenir sa légitimité. Ces propos ont heurté les dirigeants algériens et ont débouché sur un grave incident diplomatique : Alger a rappelé son ambassadeur à Paris et fermé son espace aérien à l’armée française qui le survole vers le Mali dans le cadre de l’opération Barkhane.
Décryptage des enjeux de cette visite.
Accompagné d’une délégation de 90 personnalités issues des mondes économique, politique, académique et culturel, la visite d’Emmanuel Macron a été qualifiée d’« officielle » et « d’amitié », et présentée par l’Élysée comme une occasion de déminer le terrain notamment sur la question mémorielle. Elle constitue une étape indispensable pour dépassionner la relation entre l’Algérie et la France et sortir de l’engrenage des tensions chroniques sur le passé colonial qui envenime les rapports entre les deux États. Une commission mixte composée d’historiens algériens et français sera mise en place dans le but de travailler sur l’histoire coloniale « avec lucidité », comme l’a annoncé le président français depuis Alger. Cette commission fait suite à la feuille de route tracée par le rapport Stora et une série de gestes du président français, comme la restitution des crânes de combattants algériens et la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans l’assassinat du mathématicien Maurice Audin et de l’avocat Ali Boumendjel, deux militants pour l’indépendance de l’Algérie.
Le courant semble être bien passé entre les deux présidents, qui ont affiché leur volonté d’améliorer les relations entre les deux pays et de poser les jalons d’une nouvelle forme de coopération basée sur le respect et l’intérêt mutuels. Souvent sujet de crispation, la question de mobilité des personnes était aussi au cœur des discussions entre les deux gouvernements. La France avait réduit de moitié le nombre de visas délivrés aux Algériens en réaction au contentieux sur la délivrance de laissez-passer par les services consulaires algériens à leurs ressortissants expulsés par les autorités françaises. L’Élysée a annoncé ainsi accueillir 8 000 étudiants de plus chaque année et faciliter l’octroi des visas pour les artistes et autres catégories de professionnels. Cette démarche s’inscrit dans la perspective de l’immigration choisie, visant à promouvoir les échanges dans les domaines de la recherche, de la culture et surtout de l’économie. Car si cela a été peu évoqué dans le discours d’Emmanuel Macron, cette visite était loin d’être désintéressée dans le cadre de la coopération économique, notamment dans le domaine énergétique. Guerre en Ukraine et embargo russe obligent.
Le gaz algérien représente en effet un enjeu majeur pour l’Union européenne (UE) en général. Depuis le début de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine provoquée par la Russie, l’UE se tourne vers l’Algérie, dans le top dix des plus grands producteurs de gaz au monde, afin de réduire sa dépendance au gaz russe. Si la France est moins dépendante au gaz russe que ne le sont ses partenaires européens, elle n’est pas moins intéressée par le gaz algérien pour de multiples raisons. D’abord, un nouvel accord sur l’augmentation de l’importation du gaz algérien permettra de maintenir des prix préférentiels et de sécuriser l’approvisionnement du produit en diversifiant les sources, en plus du gaz norvégien. De plus, derrière la coopération énergétique, il existe un marché colossal à conquérir pour les entreprises françaises. Alger compte d’ailleurs accroître sa production en gaz en vue de répondre à la demande européenne. Troisième fournisseur en gaz de l’Europe après la Russie et la Norvège, l’Algérie est devenue aujourd’hui le premier fournisseur de certains pays comme l’Italie.
Trois gazoducs relient l’Algérie à l’Europe : le gazoduc Maghreb-Europe (GME) traverse le Maroc, le Medgaz traverse directement la Méditerranée vers l’Espagne, et le gazoduc Enrico Mattei (Transmed) passe par la Tunisie vers l’Italie. En raison des tensions relatives au dossier du Sahara occidental, Alger a fermé le GME depuis la fin du contrat le 31 octobre 2021. La coopération entre Alger et Madrid souffre également depuis le dérapage du Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, sur la question du Sahara occidental qui a provoqué un grave incident diplomatique entre les deux États. Alger a suspendu le traité « d’amitié, de bon voisinage et de coopération », signé en 2002. C’est donc vers l’Italie que l’Algérie se tourne pour accroître ses exportations vers l’Europe. La coopération entre la compagnie algérienne Sonatrach et l’italienne Eni vise à augmenter le volume des exportations du gaz algérien de 9 milliards m3/an à partir de 2023. L’Italie souhaite ainsi devenir un hub gazier pour l’Europe, d’autant que ce gazoduc peut transporter jusqu’à 33,15 milliards de m3 par an, quatre fois plus le Medgaz qui relie l’Algérie à l’Espagne.
La volonté d’Alger d’augmenter ses capacités de production en gaz offre des opportunités inestimables aux compagnies étrangères en quête de coopération avec le géant énergétique algérien dans les domaines du forage, de l’exploitation et de la construction d’infrastructures. D’autant que l’Algérie a signé avec le Nigeria et le Niger un mémorandum pour le gazoduc transsaharien : un méga projet qui vise à acheminer le gaz nigérien, premières réserves en Afrique, vers l’Algérie afin de le redistribuer à l’Europe via Transmed.
Malgré les frictions, l’Algérie reste un partenaire économique important pour la France, avec environ 7 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2020, en pleine crise sanitaire, et 450 entreprises françaises implantées sur le territoire algérien. Les investissements français en Algérie concernent principalement les activités financières et d’assurance (36 %) et l’industrie manufacturière (29 %) partagée entre les secteurs de l’automobile, pharmaceutique et agroalimentaire. Pourtant, la position de la France souffre beaucoup ces dix dernières années face à la concurrence des autres puissances régionales et internationales, principalement la Chine et la Turquie, qui ne cessent d’augmenter leur part de marché en Algérie, dans les secteurs du BTP, du textile, et le secteur militaire qui reste dominé par la Russie qui fournit 67 % de l’armement algérien, loin devant la Chine qui détient 13 % des parts de marché.
La rencontre entre Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron a abouti à la signature d’une déclaration commune de coopération qui couvre différents secteurs. Cela traduit leur volonté d’approfondir la coopération entre les deux pays, élargie à tous les domaines. En revanche, le volet défense et sécurité comporte les dossiers les plus sensibles de cette rencontre. Ainsi, une réunion s’est tenue entre les deux chefs d’État en présence des chefs d’état-major et des responsables de la sécurité intérieure et extérieure des deux pays pour traiter de la sécurité au niveau régional, notamment au Sahel. Une telle réunion, inédite dans l’histoire des relations entre les deux pays, vise à renforcer les relations bilatérales dans le domaine sécuritaire.
Alger et Paris ambitionnent ainsi de promouvoir leur coopération stratégique dans une région très instable et un environnement géopolitique tendu, marquée par : le retrait de l’armée française au Mali, précipité par la dégradation des relations entre Bamako et Paris ; le redéploiement de l’opération Barkhane au Niger et au Tchad ; le conflit en Libye ; l’escalade des tensions entre Alger et Rabat exacerbées par la normalisation entre le Maroc et Israël qui signent un partenariat stratégique inédit entre les deux États. Mise en difficulté par la présence russe au Mali, notamment via la présence des mercenaires de Wagner, la France cherche l’appui de l’Algérie pour maintenir son influence dans le pays et au Sahel. Deuxième force militaire en Afrique, l’Algérie est aussi chef de file de la médiation au Mali et préside le comité de suivi de l’accord de paix signé en 2015. L’Algérie s’impose donc aujourd’hui comme un acteur incontournable dans la région. Bien que proche de Moscou, Alger ne voit pas d’un bon œil l’ingérence étrangère chez ses voisins directs, encore moins des groupes privés comme Wagner.
Toutefois, la volonté de construire un partenariat stratégique risque de faire face à une réalité complexe via des intérêts qui ne sont pas toujours convergents. Il importe en effet de souligner qu’Alger rechigne à toute intervention militaire au Sahel. C’était déjà le cas lors de l’engagement de l’opération Serval en 2013. En effet, Alger a toujours privilégié une solution politique basée sur le dialogue. Malgré la réforme constitutionnelle permettant au président algérien d’envoyer son armée hors des frontières, il est très peu probable que le pays accepte d’intervenir militairement au Mali ou au Sahel. Par contre, une coopération avec Paris pourrait inciter Alger à redynamiser le Comité d’état-major opérationnel conjoint, créé sous l’égide de l’Algérie en 2010 avec le Mali, la Mauritanie et le Niger. Cette structure était relativement peu efficace et concurrencée par d’autres initiatives comme le G5-Sahel. Mais elle peut, toutefois, jouer un rôle dans le contexte actuel, d’autant que le Mali ne fait plus partie du G5-Sahel.
L’autre sujet de sensible concerne le conflit du Sahara occidental. Alger pourrait être amené à demander à Paris de clarifier sa position sur ce dossier et d’exiger au moins la neutralité. En revanche, si le rapprochement de Rabat avec l’axe Washington/Tel-Aviv n’est pas non plus du goût de Paris, cette dernière ne prendra pas le risque de fâcher le Royaume chérifien, allié traditionnel et premier client en Afrique de l’armement français, même si ses importations ont baissé récemment en faveur de Washington. Les positions algérienne et française sur le dossier libyen ne sont pas non plus sur la même ligne : Paris soutient activement le Maréchal Haftar, l’homme fort de l’Est ; tandis qu’Alger promeut une posture de neutralité, voire orientée en faveur du gouvernement à Tripoli, dans le respect de la légalité internationale. Enfin, Alger tient à sa diplomatie d’équilibre et entretient des partenariats solides avec d’autres puissances comme la Chine, la Russie, les États-Unis et la Turquie, qui restent des concurrents aux yeux de Paris. D’ailleurs, la Russie participera à des manœuvres militaires conjointes avec l’Algérie en novembre, sur la base militaire Hammaguir près des frontières marocaines, axées sur la lutte contre les groupes armés.
En somme, le contexte est bien propice pour que la France et l’Algérie consolident leur coopération. Un contexte marqué notamment par le retour de la diplomatie algérienne et l’instabilité au Sahel et au Maghreb qui pousse Paris à renouer la relation avec Alger. Mais le terrain reste miné et semé d’embuches.