ANALYSES

Guerre en Ukraine : les Occidentaux sont-ils devenus cobelligérants ?

Presse
30 août 2022
Interview de Jean-Pierre Maulny - La Croix
Le point d’équilibre se déplace depuis le début de l’invasion

Si on regarde la convention de La Haye, nous sommes loin de la définition d’un État neutre… mais la question de la cobelligérance ne se pose pas comme cela. Ce qu’il faut regarder, c’est la manière dont l’État qui aide l’Ukraine perçoit sa propre action, et comment cette action est perçue par la Russie, et voir comment ces deux éléments s’articulent. Or, on remarque que le point d’équilibre se déplace depuis le début de l’invasion, avec la livraison de matériel toujours plus perfectionné, et des débats actuels sur la formation des soldats ukrainiens par l’Union européenne.

Cependant, au fond, tant que les Russes ne considèrent pas que les Européens et les Américains sont des cobelligérants, tout va bien. Le jour où ils considéreront que nous sommes cobelligérants, c’est le jour où ils nous attaqueront ! La notion de cobelligérance n’a pas de sens en tant que telle, car elle n’a pas de définition fixe. C’est dialectique : les acteurs du conflit décident s’ils sont en cobelligérance.

Une question de perception

La véritable question est celle de l’extension du conflit. Et comme a priori personne n’en a envie, il n’y a pas de cobelligérance. Je pense que les Russes sont conscients qu’ils perdraient dans un affrontement conventionnel avec l’Occident et seraient confrontés rapidement à la nécessité d’utiliser l’arme nucléaire, au risque de perdre inévitablement. Et ils n’ont pas plus envie de se retrouver dans cette situation que nous.

Je pense que c’est ce calcul qui fait que l’on franchit des étapes, mais ces étapes restent mesurées, comme le montre le refus de livrer des missiles américains de longue portée pour les lance-roquettes multiples Himars. D’une certaine manière, l’Occident est aujourd’hui une base arrière en matière de livraison d’équipement. Mais encore une fois, la cobelligérance n’est pas une affaire de matériel livré, c’est une question de perception. Je ne dis pas ça pour nier qu’il existe des risques. Nous sommes dans une situation très dangereuse. C’est pourquoi il est encore tout à fait légitime de se demander ce qui, aux yeux des Russes, nous ferait passer de l’autre côté de la barrière.

Il est intéressant d’ailleurs de voir que tous les États occidentaux ne perçoivent pas ce danger de la même manière. Les Français ne dévoilent pas l’intégralité de ce qu’ils fournissent à l’Ukraine, car nous prenons ce risque très au sérieux. Les Allemands ont besoin de communiquer plus sur ce volet, car ils sont accusés de complaisance envers les Russes du fait de leur dépendance énergétique. Et les Britanniques évoquent de manière inconsidérée sur leurs livraisons d’armes, ce qui rend hystériques les Français !

Du côté russe, le discours médiatique tend à mettre tout le monde dans le même panier, en dénonçant les actions de ce qu’ils nomment « l’Occident collectif ». Mais ils savent faire la différence. Plutôt qu’une réponse globale, je pense qu’ils vont davantage chercher à « punir les méchants élèves » pour tenter de diviser, de désolidariser les Européens.

 

Propos recueillis par Léa Ramsamy et Pierre Sautreuil pour La Croix.
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