Ces réseaux d’influence que les Chinois ont lentement mais très sûrement tissés en France
Alors que les relations entre la Chine et Taïwan refont l’actualité, la question de l’influence chinoise en France revient avec une acuité nouvelle. A quel point la Chine a-t-elle méticuleusement installé son influence en France ? Quelles en sont les manifestations les plus visibles ?
Les sino-béats sont nombreux avant comme après la guerre froide et la Chine ne les a pas forcément sollicités en l’occurrence. Ils sont de droite (d’Alain Peytefitte à Jean-Pierre Raffarin) comme de gauche (de Philippe Sollers à Christophe Bourseiller, en tant qu’anciens maoïstes) et ont une vision largement intellectualisée, donc fausse, des relations internationales et de la Chine plus particulièrement. Ils s’inscrivent lointainement dans la continuité d’un Voltaire au sens où la Chine comme n’importe quel autre phénomène leur apparaissant comme exotique est avant tout un levier idéologique et de contestation en France. Inutile de rappeler qu’ils ont une connaissance crasse de la Chine et qu’ils n’en maîtrisent pas les langues. Et c’est pour cette raison que certains politiques ou universitaires français cèdent si facilement aux sirènes chinoises. Pékin les récompense en voyages Potemkine ou autres avantages dans l’espoir d’améliorer l’image de la Chine à l’étranger. En général, c’est un échec et surtout depuis la Covid, nos concitoyens ont enfin décillé le regard qu’ils portaient sur la Chine. Mais la sinophilie comme la sinophobie est un serpent de mer. Il y a en France une fraction conservatrice qui reste au fond d’elle-même fascinée par l’ordre fachisant des régimes russe et chinois. De même qu’il existe une fascination ancienne de certaines obédiences de l’extrême-gauche pour la Chine en ce qu’elle apparaît comme la dernière Mecque du communisme international. Que Pékin recherche des appuis au sein de notre société civile n’a rien pour surprendre. Soit dans une approche « sharp » avec des infiltrations au plus haut niveau de notre complexe militaro-industriel par des cyberattaques soit dans une approche « soft » consistant à neutraliser tout jugement critique à l’encontre de sa politique. L’extraordinaire développement de la Chine durant ces quarante dernières années n’est pas étranger au pillage industriel à laquelle elle s’est livrée à l’encontre de nos industries, de nos laboratoires. Des complaisances, au plus haut niveau de l’Etat, sous la présidence de Jacques Chirac notamment ont autorisé la livraison à Wuhan du fameux laboratoire P 4 qui est, peut-être, à l’origine du Covid-19. Quelle a été pour la France la contrepartie à cette livraison ? Je note que notre Ministère de La Défense s’y était opposé et qu’il n’y a jamais eu depuis le déclenchement de la pandémie de débat au sein de notre parlement à ce sujet.
L’IRSEM avait publié en septembre dernier « Les opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien ». A quel point l’influence chinoise est-elle importante en France ? Quelles en sont les plus longues (et potentiellement méconnues) ramifications?
Le rapport de l’Irsem a été un déclencheur de conscience au sujet de cette emprise de la Chine dans notre pays. Je me suis déjà exprimé dans vos colonnes à ce sujet. Je ne partage pas cette idée selon laquelle les Instituts Confucius établis sur notre territoire seraient des nids d’espions. La plupart sont financés par les municipalités d’accueil et sont tous dotés d’une direction bicéphale (un directeur français / un directeur chinois; lequel étant le seul à être rémunéré par le « Hanban », le ministère de l’éducation supérieur chinois). On y donne des cours de langue et de cuisine pour un public constitué essentiellement de seniors. Le rapport de l’Irsem pointe du doigt par ailleurs l’Iris, coupable aux yeux de ses auteurs d’avoir organisé les premiers colloques en France sur les enjeux que représentaient les Nouvelles Routes de la soie à une époque (2017) où l’élite dirigeante française restait parfaitement indifférente à la visée hégémonique de ce projet. Ce dont il faut se prémunir c’est un climat de suspicion générale et de chasse aux sorcières. Le risque est aussi de confondre la Chine, sa culture et l’Etat-Parti communiste chinois. C’est contre cela qu’il faut résister au risque de rater sa cible et de créer dans notre pays du dissensus.
Jean-Luc Mélenchon fait partie d’un petit nombre d’hommes politiques qui ont publiquement défendu la position chinoise vis-à-vis de Taïwan. Les personnalités politiques sont-elles, elles aussi, touchées par l’influence chinoise ? Et en particulier Jean-Luc Mélenchon?
Sans vouloir défendre Jean-Luc Melénchon que je tiens pour un individu aussi pernicieux que Marine Le Pen, celui-ci tient une position fidèle à celle initiée par le Général De Gaulle en 1964. À sa manière, il joue donc la carte de la légalité. Or, l’histoire nous a toujours montré que ce qui est légal n’est pas forcément juste. La preuve par l’histoire française pour se limiter à un seul exemple. En 1940, la légalité était incarnée par Pétain et le gouvernement de Vichy. La justice était quant à elle incarnée par De Gaulle et la France Libre. En réalité, sans même le vouloir, Jean-Luc Mélenchon lance un véritable débat. Quelle Chine aujourd’hui choisir pour la démocratie française ? Celle de Pékin ou celle de Taipei ? Alors que nous célébrerons dans deux ans le soixantième anniversaire de la reconnaissance par De Gaulle de la République populaire de Chine aux dépens de la République de Chine (Taïwan), nous devons nous interroger sur le logiciel même de notre politique étrangère. 60 ans dans l’histoire des relations internationales, c’est énorme ! Depuis, le monde a considérablement changé : le régime soviétique s’est effondré, l’islamisme s’est imposé, la Chine est devenue la deuxième grande puissance du monde. Elle est agressive et menaçante. Je pense que la polémique autour de Mélenchon doit être l’occasion d’un véritable débat au sein même du parlement concernant nos choix diplomatiques. Au terme de ce cheminement, les pays occidentaux reconnaîtront peut-être Taïwan comme un véritable État indépendant et souverain. C’est une question liée aux valeurs démocratiques que nous partageons avec l’île mais aussi par rapport à nos intérêts économiques. Nous savons que Taïwan fabrique les trois quarts des micro-processeurs dans le monde. L’accès à Taïwan et partant, celui à la mer de Chine est nécessaire au développement de nos échanges économiques. Le fait que la Chine puisse s’y opposer est un danger mortel pour nos intérêts. À nous de réfléchir à ces enjeux cruciaux.
Comment la Chine a-t-elle réussi à installer ces réseaux d’influence en France ?
Il existe des tentatives d’intimidation comme s’y essaie l’ambassadeur de Chine à Paris, Lu Shaye, et des opérations d’espionnage assurément. La Chine sait en cela admirablement utiliser, instrumentaliser des sentiments souvent très flous et ambigus de ses interlocuteurs qui lui sont favorables. Elle peut s’appuyer sur les très nombreuses associations franco-chinoises, les alumnis des grandes écoles, la diaspora et les ressortissants. En somme, il existe un réseau d’influence qui peut à tout moment être mobilisé. Ainsi, en 2016, à la suite d’un meurtre commis contre l’un de ses ressortissants à Aubervilliers des milliers de manifestants avaient protesté et nous savons avec le recul qu’une partie d’entre eux opéraient sur ordre depuis l’ambassade de Chine à Paris. Gageons désormais que nos services de contre-espionnage sachent s’y opposer avec la plus grande fermeté.
Propos recueillis par Atlantico.