19.11.2024
Kamala Harris présidente dès 2023 ?
Correspondances new-yorkaises
10 juin 2022
Ce n’est pas un spectre qui hante Washington, D.C., comme cela a pu être le cas en Europe du temps de Marx, mais une rumeur. Et une rumeur peut être bien plus mortelle qu’un ectoplasme.
Cette rumeur dit que Joe Biden pourrait quitter la Maison-Blanche avant l’été 2023 afin de laisser la place à sa vice-présidente et lui ouvrir ainsi un boulevard pour la présidentielle de 2024.
L’idée pourrait en effet être astucieuse. Imaginons un instant le déroulé : les démocrates ayant perdu les midterms, Trump lance sa candidature. Les sondages s’affolent en sa faveur. Discrédité et sans plus aucune influence, Joe Biden, 80 ans bien tassés, annonce se retirer de la vie publique pour raisons de santé-croyez-moi, personne ne mettrait sa parole en doute- et du jour au lendemain, Kamala Harris devient la première femme à occuper le Bureau ovale. Une dynamique se crée. Les primaires sont pour elle une balade, aucun démocrate sérieux ne voulant se lancer contre la présidente en titre. Et la voilà élue en novembre 2024. Le parti de l’âne garde donc la Maison-Blanche et avec un peu de chance regagne le terrain perdu au Congrès en 2022.
Pas mal sur le papier. Mais je n’y crois pas.
Non pas que la chose me déplairait. Bien au contraire. Nous assistons aujourd’hui à la pire présidence démocrate depuis plus d’un siècle. Il faut remonter jusqu’à Grover Cleveland pour voir quelque chose de pareil. Même Carter ressemble à un champion face à Biden. De l’inflation, la pire depuis des décennies, à l’explosion de violence sans précédent que connaît le pays, en passant par la déplorable gestion de la pandémie de Covid-19 (encore environ 2000 morts par jours jusqu’en mars), les Américains ont l’impression qu’il n’y a plus personne à la barre. Et c’est sans parler des incohérences à répétition de la Maison-Blanche dans la crise ukrainienne.
À Henry Kissinger qui déclarait il y a quelques jours que la seule solution pour que la guerre cesse serait de faire des concessions territoriales à la Russie, le président américain répondait qu’il allait réfléchir, car il fallait toujours prendre en considération les réflexions de l’ancien secrétaire d’État de Nixon, mais que dans le même temps il préférait continuer à livrer des armes à Kiev… À titre personnel, je pense qu’il aurait fallu qu’il évite dès le départ de déclarer qu’en aucun cas les États-Unis n’interviendraient militairement, quelle bourde !
Ensuite, une fois l’invasion commencée, Biden aurait dû se montrer ferme et se dire prêt à envisager une zone d’exclusion aérienne. Il aurait toujours été possible de repousser le moment de franchir le pas et cela aurait sans doute poussé les Russes à négocier. De là, on aurait pu inciter la Russie à signer un nouveau traité avec l’Ukraine, promettant à celle-ci une adhésion à l’UE à moyenne échéance et lui garantissant une intégralité territoriale revue après quelques concessions qui de toute façon, comme le dit Kissinger, seront faites tôt ou tard. Soyons réalistes, la Crimée est déjà de facto intégrée à la Fédération de Russie. Tout cela aurait permis à chacune des parties de s’en tirer plus ou moins la tête haute ainsi que d’éviter une guerre qui risque de s’éterniser et peut-être de nous exploser à la figure. Relisez Le grand échiquier de Brzezinski …
Enfin, bref, tout cela pour dire qu’il ne me déplairait pas de voir le sieur Joseph Robinette Biden, Jr tirer sa révérence au profit de Kamala Harris. Au moins, le contribuable américain n’aurait plus à financer le White Housse Anti-Gaffe Squad attaché aux basques du 46e président des États-Unis. Mais cela n’arrivera pas. En tout cas, pas de cette manière.
Et cela tout simplement parce que Biden et son entourage immédiat ne peuvent pas encadrer Harris. Les violentes et souvent justifiées attaques de celle-ci durant la dernière campagne des primaires à l’encontre de l’ancien vice-président de Barack Obama ont laissé de profondes cicatrices. Depuis, Biden ne s’est toujours pas pardonné d’avoir cédé aux pressions de ceux qui l’ont poussé à prendre l’élue californienne comme colistière. Le mot d’ordre est donc de faire payer « celle qui n’a été choisie que parce qu’issue des minorités » en l’éloignant des centres de décision et en l’isolant le plus possible sur la scène politique intérieure.
Et c’est bien dommage. Car que cela soit comme sénatrice ou comme procureure générale de Californie, Kamala Harris a su faire preuve à plusieurs occasions d’une ténacité et d’un courage exemplaires ainsi que d’un vrai sens politique. Qualités qui ne sont pas si courantes au sein de l’actuelle administration américaine.
Alors, s’il est donc peu probable selon moi que l’équipe de la Maison-Blanche soit à l’origine des rumeurs de départ de Robinette, d’où celles-ci peuvent-elles bien provenir ? D’ennemis cachés qui cherchent à humilier le président en mettant en avant son état de santé dégradé ? De démocrates qui redoutent par-dessus tout de voir Biden se lancer dans une nouvelle campagne présidentielle qu’il ne pourrait que perdre et qui espèrent qu’à force d’être répétée cette possible fausse information de retraite anticipée finisse par influencer le réel – après tout et comme déjà dit, et même s’il est toujours un peu vain de faire des plans sur la comète, le scénario déroulé plus haut peut paraître a « good plan » – ?
Quoi qu’il en soit, tous ceux qui fréquentent un tant soit peu les dîners en ville, ce rituel si washingtonien où l’on tisse ses réseaux tout en assaisonnant rivaux et amis, vous le diront, la campagne officieuse pour la présidentielle de 2024 a bel et bien commencé et tous les coups sont permis.
À suivre donc. D’ici là, un bel été à tous !
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Ses deux derniers essais, «Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » et « Femme vaillante, Michaëlle Jean en Francophonie », sont respectivement parus chez Max Milo en 2020 et aux Éditions du CIDIHCA en 2021.