18.11.2024
OMS : une nouvelle Assemblée mondiale de la santé au rendez-vous des défis sanitaires mondiaux ?
Interview
3 juin 2022
Les 194 pays membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se sont réunis à Genève le 22 mai pour la 75e Assemblée mondiale de la santé dans un contexte compliqué par les pandémies, les conflits, la crise climatique, et les inégalités à l’accès aux soins notamment. Quel bilan peut-on dresser des décisions qui y ont été prises alors que l’OMS cherche à définir son futur rôle dans la politique sanitaire mondiale ? L’OMS a-t-elle su tirer les leçons de sa gestion de la pandémie mondiale de Covid-19 pour être à même d’affronter de potentielles nouvelles crises sanitaires ? Et quid du Covid-19 alors que l’organisation vient d’homologuer un vaccin chinois, le 11e homologué par l’OMS depuis le début de la pandémie ? Le point avec le Dr Anne Sénéquier, chercheuse à l’IRIS, en charge de l’Observatoire de la santé mondiale.
Quel bilan peut-on dresser de la 75e Assemblée mondiale de la santé qui a notamment vu l’adoption d’une décision historique visant à améliorer le modèle de financement de l’Organisation mondiale de la santé, et la reconduction à sa tête de Tedreos Adhanom Ghebreyesus ?
L’Assemblée mondiale de la santé a eu encore un programme très riche et varié. Cependant, il est vrai qu’on attendait cette année une vraie réponse aux failles de l’OMS qui ont été mises en lumière ces deux dernières années. Notamment son financement et sa réponse aux urgences sanitaires.
Le financement de l’OMS était jusque-là constitué de contributions fixes et de contributions volontaires de la part des États membres. Un budget qui a peu évolué et qui était devenu insuffisant pour faire fonctionner l’organisation. L’OMS s’était alors tournée vers les partenariats public-privé, voire des financements privés. Le problème des financements privés pose la question de l’indépendance de l’organisation, puisque le bailleur choisit le programme auquel il veut attribuer des fonds, allant même jusqu’à pousser un programme non reconnu comme prioritaire. Pour sortir de ce fonctionnement non pertinent, la 75e Assemblée mondiale de la Santé a voté une augmentation de la part des contributions fixes afin que celles-ci représentent 50% du budget total de l’OMS (contre 16% aujourd’hui). Cela va lui permettre de mieux financer les axes de travail décidé par les États membres lors des assemblées mondiales de la santé. Ne soyons cependant pas trop enthousiastes, le budget de l’OMS reste complètement inadapté par rapport à la tâche qui lui incombe. Malgré le vote d’une augmentation de 13% du budget total, celui-ci ne s’élèvera qu’à 4,9 milliards US$ (soit 4,6 milliards d’euros) pour les deux ans à venir (et donc 2,3 milliards d’euros par an). À titre de comparaison, le budget annuel pour les hôpitaux de Paris s’élève à 7,8 milliards d’euros… Il est vrai que l’OMS n’a pas de vocation « clinique » à la santé mondiale, mais comment soutenir les systèmes de santé à travers le monde, organiser une réponse coordonnée aux urgences sanitaires, mettre en place des campagnes de prévention mondiale…, si on a un budget pas même capable d’assurer le bon fonctionnement de 40 hôpitaux ?
La 75e assemblée mondiale de la Santé a également été l’occasion de travailler sur les maladies non transmissibles (un des challenges sanitaires du XXIe siècle) comme la santé mentale, la prévention de la consommation d’alcool, de l’obésité, la sécurité sanitaire des aliments… Une stratégie mondiale sur la santé bucco-dentaire a également été lancée, ainsi qu’une pour les « aidants »…
Un focus sur l’accès à la santé en Ukraine a également été évoqué tout en marquant la nécessité de sanctuariser les lieux de soins lors des conflits en portant l’« initiative mondiale santé pour la paix » afin d’améliorer l’accès à la santé dans les zones de conflits. Depuis le début de la guerre jusqu’à début mai, 186 attaques ont été effectuées à l’encontre des structures de soins en Ukraine.
La réélection du Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus au poste de directeur général n’a pas créé de surprise. Il était le seul candidat. Cependant lorsqu’on regarde les dernières années, on ne peut s’en étonner. S’il est vrai que lors de son élection le Dr Tedros n’a pas forcément fait consensus, la pandémie et la façon dont elle a été gérée par la communauté internationale ont créé une fracture entre les pays du Nord et les pays du Sud dont le Dr Tedros s’est fait l’avocat durant toute la pandémie. Deux ans qu’il condamne l’inéquité vaccinale pratiquée par les pays occidentaux, l’absence de coordination dans les mesures à prendre face au Covid-19, et le faible financement du système Covax censé permettre les campagnes de vaccination à tous les pays à revenus faible et intermédiaire.
L’OMS a récemment validé le vaccin chinois CONVIDECIA, le 11ᵉ vaccin homologué par l’organisation depuis le début de la pandémie. Cette décision aura-t-elle un effet bénéfique sur la distribution des vaccins dans les pays pauvres via le système international Covax ? Où en est-on de ce système Covax ?
Le vaccin Convidecia a en effet été démontré efficace à 92% contre les formes graves. L’addition d’un nouveau vaccin est toujours une bonne chose, puisque cela va permettre aux pays bénéficiaires du système Covax d’avoir le choix des vaccins et de ne pas avoir l’impression que l’on impose tel ou tel vaccin.
Mais aujourd’hui le problème n’est plus vraiment dans l’approvisionnement, mais dans la distribution et la vaccination elle-même. En mai 2022, le système Covax a assez de vaccin anti-Covid-19 pour vacciner 70% de la population des pays à revenu faible, mais la demande et le taux de vaccination restent faibles. Avoir des vaccins ne suffit pas pour faire une campagne de vaccination, il faut disposer des ressources nécessaires (matériel, humain et logistique) que certains pays n’ont pas. Ce qui explique entre autres les inégalités vaccinales toujours constatées à ce jour entre les pays à revenu élevé et ceux à revenu faible. Dans les pays à revenu faible, seuls 16% de la population a été vacciné, ce qui constitue le meilleur terreau possible à l’émergence de nouveaux variants.
L’OMS a-t-elle su tirer les leçons de la pandémie mondiale de Covid-19 ? Alors que plus de 200 cas de variole du singe ont été détectés, l’OMS a-t-elle revu les mesures à prendre en cas de nouvelle crise sanitaire majeure ?
Oui, en effet, c’était également quelque chose de très attendu. Pour lutter contre la pandémie de Covid-19, l’OMS a mis en place de multiples initiatives et projets pilotes tels que l’Accélérateur ACT, le Centre de transfert de technologie pour les vaccins à ARNm, le Centre de formation OMS de personnels en biofabrication, le système BioHub de l’OMS en Allemagne, le Centre d’information de l’OMS sur les pandémies et le Groupement d’accès aux technologies contre le Covid-19. Au vu des émergences récentes, les États membres ont demandé à étendre ces initiatives au-delà de la pandémie de Covid-19.
En ce qui concerne le règlement sanitaire international (RSI), des réformes ont été souhaitées. Cependant, on se heurte ici au « temps onusien ». Des amendements au Règlement sanitaire international (RSI) ont été évoqués et notamment celui de réduire de 24 à 12 mois le délai d’entrée en vigueur de tout amendement futur tout en appelant à sa « modernisation »… Des amendements qui seront évalués en fin d’année 2022 et qui seront proposés pour examen à la 77e assemblée mondiale de la santé en 2024… La capacité de l’OMS à répondre de manière adaptée aux urgences sanitaires devient une attente majeure des États membres vis-à-vis de l’OMS. Dans cet objectif, l’OMS ainsi que les États membres eux-mêmes ont à réviser leurs copies au vu des quelques réussites et des nombreux ratés de ces deux dernières années.
Des mesures sont prises pour consolider le concept « une santé/One Health » qui permet d’avoir une approche multiple vis-à-vis de notre santé face à notre environnement, et notamment le risque d’émergence de zoonose. Ce qui est de plus en plus courant : Ebola, Chikungunya, VIH, MERS, SARS, grippe aviaire, Virus Nipah, encéphalopathie spongiforme, le Covid-19, la variole du singe, etc., une approche qui demande une coordination accrue entre la santé humaine, animale et environnementale. Ce qui explique qu’on ait vu pendant cette semaine d’assemblée internationale de la santé, le changement de nom de l’Office international des épizooties (OIE) en Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) afin d’être mieux identifié, mobilisé et efficace dans le process de coopération dans le concept « Une Santé/One Health ».