ANALYSES

Poutine va-t-il déclarer une guerre totale à l’Ukraine le 9 mai ?

Presse
5 mai 2022

Que peut changer une éventuelle déclaration de guerre russe ?


La première question est « Pourquoi ? » Si on regarde bien la situation, toutes les forces russes sont déjà engagées pour remplir l’objectif, sinon ça n’aurait aucun sens.

Donc la seule question qui reste, c’est celle de la politique intérieure. Depuis le début, Poutine fait de la communication pour dire « ça n’ira pas très loin ». Mais en Russie, un certain nombre de familles doit trouver qu’il y a quand même beaucoup de morts, dans cette histoire. Alors qu’il ne faut pas oublier qu’on est dans une situation où toute personne qui parle de guerre, en Russie, est emprisonnée.

Poutine s’est mis une épine dans le pied lui-même avec cette histoire d’opération spéciale. S’il déclare la guerre, la seule explication plausible c’est d’accorder les mots avec la réalité. Aujourd’hui, ça commence à se voir que la réalité ne correspond pas au discours officiel.

Sur le plan international, ça ne changera donc rien ?


On peut toujours jouer sur les mots, mais on sait très bien que c’est une guerre qui se déroule en Ukraine. Donc ça ne va pas changer la politique des Occidentaux sur le sujet. Le véritable virage, il a déjà eu lieu, c’est la réunion de Ramstein, à l’initiative des Américains, fin avril.

Dès lors que les Américains – pas l’Otan – réunissent sur une base américaine, en Allemagne, 40 pays de l’Otan, de l’UE, d’autres, en vue d’organiser l’aide militaire à l’Ukraine, on est déjà entrés dans une nouvelle phase de la guerre. Je vois mal comment on pourrait aller plus loin. Ce qui a été organisé à Ramstein risque déjà d’ennuyer les Européens, à long terme. Je ne suis pas sûr qu’il puisse y avoir une troisième étape : ce serait une entrée en guerre.

Sur le plan légal, du droit international, ça change quelque chose ?


Non plus : le droit de la guerre s’applique, qu’il y ait eu ou non une déclaration de guerre préalable. La preuve c’est que des enquêtes ont déjà commencé sur les accusations de crimes de guerre, par exemple.

Les Russes peuvent-ils percevoir une déclaration de guerre comme un aveu d’échec ?


A priori non, vu le niveau de désinformation dans le pays… Poutine, s’il fait effectivement cette annonce, ou une autre, saura tourner sa propagande de façon à expliquer que les occidentaux nazis menacent la Russie, etc. Et à continuer de s’arroger le soutien populaire.

Sur la durée, ça peut évoluer, mais pas maintenant. Si le conflit s’étend au-delà d’une année, on pourra commencer à observer un épuisement de la population, des mouvements pour demander une évolution, un changement. Mais ce n’est pas une question de semaines.

Déclarer la guerre peut mobiliser la population russe ?


Pour le moment, Poutine profite plutôt du soutien de la population, certes au prix d’une absence totale de liberté de la presse, d’une désinformation massive.

Sur le terrain, oui : les Russes peuvent, avec une entrée « officielle » en guerre, se remobiliser et assurer la relève des troupes. Au rythme où se déroule la guerre, il faut aussi assurer que l’industrie militaire tourne à plein, vu les pertes subies ! C’est aussi un défi côté ukrainien : même avec l’appui des Occidentaux, c’est de plus en plus compliqué d’organiser le renouvellement humain et matériel.

Cela peut-il amener l’Ukraine à combattre en territoire russe ?


On est entre le tactique et le politique : sur le plan politique, la réponse est non, et elle doit être non. Mais sur le plan opérationnel, tactique, c’est différent : frapper en profondeur pour affaiblir la logistique russe, ça peut avoir du sens. On a vu que ça s’était déjà produit, à la marge. Je ne pense pas que ça se généralisera pour autant, surtout que les Russes, logiquement, feront tout pour mettre leur logistique à l’abri.

 

Propos recueillis par Joël Carassio pour Vosges Matin.
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