ANALYSES

« Possible instrumentalisation politique de la crise ukrainienne »

Presse
29 avril 2022
Le fait de choisir l’abstention, en mars dernier, lors du vote de la résolution des Nations unies exigeant à la Russie de faire cesser l’invasion de l’Ukraine, veut-il dire que Madagascar a implicitement favorisé la guerre ?  

Je ne le pense pas. Ce vote était plus symbolique et aurait eu de toute façon une faible portée opérationnelle, la Russie n’étant généralement pas adepte des ultimatums. Il faut se rappeler que ce vote en AG est intervenu quelques jours après que la Russie ait opposé son droit de veto au projet de résolution du Conseil de sécurité déplorant l’agression de l’Ukraine par la Russie (le 25 février). Le plébiscite du 2 mars en AG a été l’occasion pour le Secrétaire général de l’ONU de rappeler les principes de la Charte, et notamment l’inaliénabilité de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Ukraine, à l’instar de toute autre nation. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a ensuite adopté une résolution (le 4 mars) appelant au retrait rapide et vérifiable des troupes russes et des groupes armés soutenus par la Russie de la totalité du territoire de l’Ukraine. Cette résolution n’est pas contraignante.

D’autres pays africains ont choisi, comme Madagascar, l’abstention dans le cadre de ce vote. Est-ce que ça pourrait changer la donne sur les relations internationales et prédire une division du monde telle qu’il a été sous la guerre froide ?  

La donne est déjà changée. Tout récemment, mardi 26 avril, l’Assemblée générale des Nations unies a décidé qu’elle se réunirait dorénavant automatiquement dans les 10 jours si le veto est utilisé au Conseil de sécurité par l’un de ses cinq membres permanents pour l’examiner et le commenter en plénière. Ce droit de veto, qui est inscrit dans la Charte des Nations unies en reconnaissance de leur rôle clé dans la création de l’Organisation, a souvent été débattu et critiqué ces dernières années au vu des usages détournés et contraires au maintien de la paix mondiale. C’est la première fois qu’il est concrètement remis en cause et c’est un moment historique. La réforme tant attendue de l’ONU est en train de se passer sous nos yeux, déclenchée par l’émotion qu’a suscité la crise ukrainienne qui a réussi à activer des leviers d’influence que d’autres crises avant elle n’ont pas pu enclencher. Pourra-t-on réussir cette réforme politique de la gouvernance mondiale en respectant la diversité des idéologies et en évitant la polarisation du monde ? c’est tout l’enjeu aujourd’hui.

À votre avis, dans quelle mesure cette crise ukrainienne peut-elle interférer dans le jeu politique interne à Madagascar, surtout en cette période où l’élection présidentielle de 2023 est déjà dans tous les esprits ? 

La possibilité d’une instrumentalisation politique n’est pas à écarter. Le contexte d’aujourd’hui est pour autant différent et les élections risquent de se jouer sur le volet social et la capacité des candidat(e)s à proposer des projets boucliers qui limitent l’inflation des produits de première nécessité.

Un accord militaire signé par le gouvernement malgache avec la Russie a fuité en pleine tension diplomatique à l’échelle internationale. Est-ce que ça pourrait nuire aux relations du pays avec les alliés de l’Ukraine ?  

Je ne le pense pas. Je l’interprète comme une conjonction maladroite d’événements, prévus depuis longtemps, qui ont été politiquement instrumentalisés par les parties au conflit. Je peux me tromper mais il faut rappeler que Madagascar est en coopération militaire avec plusieurs pays – Russie mais aussi France, États-Unis, Turquie, Chine, Inde – et qu’il s’inscrit dans la continuité d’un protocole d’accord existant.

Jusqu’à présent, les pays occidentaux demeurent des partenaires privilégiés et des grands donateurs de Madagascar en matière de soutien au développement. Dans ce sens, le fait de ne pas s’allier au côté de l’Ukraine dans cette guerre ne serait-il pas susceptible d’influencer les relations bilatérales et multilatérales de Madagascar ? 

Ce sera à évaluer dans quelques mois effectivement, mais comme indiqué plus haut, je ne le pense pas. La plupart des agences humanitaires onusiennes ont des antennes à Madagascar et le pays est reconnu comme étant particulièrement vulnérable au changement climatique et aux phénomènes météorologiques extrêmes. 2022 n’a pas épargné l’île et de nombreuses personnes ont été impactées par les conséquences des cyclones. Réduire l’aide internationale irait à l’encontre des principes humanitaires. Réduire l’aide au développement serait du même ordre. Difficile à justifier dans un pays où d’après les données de la Banque mondiale, le taux de pauvreté est à 81%.

Concrètement, quels pourraient être les impacts de cette guerre sur Madagascar ?  

Au sujet des relations extérieures, je pense que les effets directs seront assez faibles. Les répercussions socio-économiques internes au pays en revanche sont à prendre au sérieux. Madagascar importe en effet beaucoup de farine d’Ukraine ainsi que de l’huile de tournesol, qu’elle importe aussi de Russie. La flambée des prix des produits de première nécessité est une réalité et les gens sont obligés de s’adapter. Ils font moins de repas sur une journée. Ils remplacent certains aliments devenus trop chers. Cette inflation importante est due au conflit actuel mais aussi à l’effet Covid qui a entraîné une hausse importante des coûts du transport maritime. L’augmentation du prix du baril a enfoncé le clou.

 

Recueillis par Rija R pour Midimadagasikara.
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