ANALYSES

Guerre en Ukraine, essais balistiques à Pyongyang et visite de Joe Biden à Séoul : quelle politique étrangère pour la Corée du Sud ?

Interview
4 mai 2022
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Le nouveau gouvernement sud-coréen, arrivé au pouvoir en pleine guerre russo-ukrainienne, est confronté à de nouveaux enjeux stratégiques et sécuritaires. À l’échelle régionale, la Corée du Nord a conduit une série d’essais balistiques et le président conservateur Yoon Suk-yeol s’est montré très critique vis-à-vis de la politique intercoréenne de son prédécesseur et il se dit prêt à renforcer ses liens diplomatiques avec le Japon. À l’échelle internationale, Séoul, en appliquant des sanctions contre Moscou suite à l’invasion de l’Ukraine, a pris une position singulière en Asie et s’est alignée sur son voisin japonais et au-delà sur les États-Unis. La visite du président américain Joe Biden prévue à Séoul et Tokyo du 20 au 24 mai prochain témoigne du renforcement de l’axe Washington-Tokyo-Séoul. Quelles sont les futures lignes directrices de la politique étrangère sud-coréenne ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du programme Asie-Pacifique.

Face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, quelles sont les mesures qui ont été prises par la Corée du Sud ?

La Corée du Sud est l’un des rares pays d’Asie, avec le Japon, qui a adopté des sanctions contre la Russie en réponse à l’invasion de l’Ukraine. Séoul a notamment pris des dispositions, semblables aux pays occidentaux, sur les transactions financières. En revanche, sont exemptées jusqu’à fin juin les sanctions frappant le secteur énergétique. La guerre en Ukraine fut déclenchée à quelques jours seulement de l’élection présidentielle coréenne, ce qui eut pour effet de rendre difficile l’adoption d’une ligne claire, d’autant que cette élection fut marquée par une transition démocratique. Difficile dans ce contexte d’imaginer une prise de position ferme. Deux autres facteurs expliquent par ailleurs la frilosité relative de Séoul. D’une part, les priorités sécuritaires pour la Corée du Sud tournent ce pays vers son voisin du Nord plus que vers des enjeux européens. Or, la relation avec Pyongyang souffre du contexte électoral sud-coréen – Pyongyang aime se rappeler au bon souvenir de son voisin à l’occasion des échéances électorales – d’autant que le résultat de cette élection augurait d’un durcissement du ton vis-à-vis de la Corée du Nord, les deux candidats en lice se montrant désireux de tourner la page des années Moon Jae-in sur ce sujet. D’autre part, la relation avec le Japon d’un côté, la Chine de l’autre, sont essentielles pour la Corée du Sud, plus que le lien avec Moscou et même l’alignement sur les puissances occidentales, États-Unis en tête. Pour ces raisons, Séoul avait intérêt à observer les positionnements de ses voisins avant de s’engager, même si ce pays a condamné sans réserve l’invasion russe.

Face aux menaces sécuritaires qui pèsent sur la région, à trois semaines de la première visite du président américain Joe Biden à Tokyo et Séoul, quelles sont les enjeux géopolitiques du rapprochement entre le Japon et la Corée du Sud ?

La Corée du Nord reste évidemment le principal nœud sécuritaire dans la péninsule, et les récentes gesticulations de Pyongyang, qui pourraient rapidement aboutir à un nouvel essai nucléaire, sont au cœur des attentions de Séoul. Le renforcement du lien avec Tokyo semble être la priorité du nouveau président, ce qui pourrait avoir un impact positif sur la relation avec les États-Unis tandis que Joe Biden est attendu dans les deux capitales, mais pourrait dans le même temps compliquer la relation avec Pékin. On se souvient qu’en 2017, l’achat par l’équipe de transition avant l’arrivée au pouvoir de Moon Jae-in de missiles THAAD avait provoqué l’ire de la Chine et contraint le président Moon à tendre la main à Pékin. Il est inévitable qu’un rapprochement trop net vers le Japon et les États-Unis se traduira par des pressions chinoises, la Corée du Sud étant un partenaire incontournable de Pékin dans la zone, plus que ne l’est d’ailleurs Pyongyang.

La droite revient en Corée du Sud après cinq ans de présidence du parti démocrate. Quelles vont être les implications de ce changement à la présidence sud-coréenne en termes de politique étrangère ?

Il est difficile de le savoir avec précision et la visite de Joe Biden pourrait être éclairante sur ce point. Cependant, Yoon s’est montré très critique de la politique intercoréenne de son prédécesseur qui fut, rappelons-le, le grand artisan du rapprochement avec Pyongyang et d’une politique de pacification de la péninsule, et semble revenir aux fondamentaux du parti conservateur et des deux anciens présidents Lee Myung-bak et Park Geun-hye, à savoir une politique de fermeté et d’exigence vis-à-vis de Pyongyang. On peut également imaginer le nouveau président sud-coréen céder aux pressions de Washington, très vives depuis quelques années, et rejoindre le QUAD (composé des États-Unis, du Japon, de l’Inde et de l’Australie), même si ce dernier a montré ses faiblesses, et même son inutilité, tant l’Inde a résisté avec fermeté aux pressions de ses partenaires en refusant de sanctionner Moscou… Une adhésion de Séoul au QUAD, dans une configuration qui reste à déterminer, pourrait être la première grande mesure de politique étrangère de Yoon Suk-yeol, en parallèle au rapprochement avec Tokyo. Attention cependant, car Yoon fut élu à une très faible majorité, et le Japon continue de susciter de nombreuses résistances dans la société coréenne. Quant aux États-Unis, s’ils sont toujours perçus comme un allié incontournable, ils sont cependant l’objet de réserves liées à la fiabilité de l’engagement américain, problème récurrent dans la région et même ailleurs.
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