ANALYSES

Guterres à Kiev : pour qui sonne le glas ?

Correspondances new-yorkaises
4 mai 2022


Le 28 avril dernier, Antonio Guterres, à l’issue de ses visites à Moscou puis à Kiev, a déclaré avec un air dépité à la Droopy reconnaître l’échec de son voyage ainsi que celui de l’ONU à résoudre le conflit.

Mais à quoi diable ce brave homme s’attendait-il ? C’était il y a plus de deux mois qu’il fallait se rendre chez Poutine, en s’imposant si nécessaire, puisque le maitre du Kremlin refusait alors obstinément de prendre le patron (sic) de l’ONU au téléphone, et cela afin de tenter d’éviter la guerre. Un peu comme, ainsi que je le rappelais dans ma précédente correspondance, Javier Pérez de Cuéllar qui avant le déclenchement de la première guerre du Golfe s’était rendu de sa propre initiative à Bagdad dans un ultime effort diplomatique.

Cette opportunité ratée, Guterres aurait pu encore se rattraper en débarquant à Kiev au tout début du conflit. La présence à ce moment-là du neuvième secrétaire général des Nations unies aux côtés du président Zelensky aurait eu de l’allure.

Mais là, tout ce tintamarre pour ne même pas accoucher d’une souris et se retrouver in fine tout sourire déclarer aux journalistes devant un Sergueï Lavrov surpris par tant de bonne volonté qu’il n’y a aucune preuve de crimes de guerre commis par la Russie et qu’il est hors de question que l’ONU diligente une commission d’enquête … On croit rêver !

Sans parler de l’affront ultime qu’a été le bombardement de Kiev durant la présence de Guterres dans la capitale ukrainienne le surlendemain ! « Le terme pied de nez n’est qu’un doux euphémisme tant la provocation de Moscou est grande », a ainsi réagi la presse française. Pour Volodymyr Zelensky, cet épisode traduit la volonté des dirigeants russes d’humilier l’ONU.

Oui, mais pas seulement.

En proclamant il y a quelques semaines que si l’Organisation des Nations unies ne réagissait pas à l’agression russe, elle n’aurait plus qu’à s’autodissoudre, le président ukrainien avait entériné à la face du monde le fait que l’institution onusienne n’est plus qu’une coquille vide.

En bombardant Kiev alors que Guterres s’y trouve encore, Poutine, lui, veut démontrer que celle-ci ne compte déjà plus aux yeux d’hommes telle que lui et que les règles et valeurs qu’elle a pu incarner appartiennent à un monde révolu. Lorsqu’un membre permanent du Conseil de sécurité, et non un État failli, agit de la sorte, il faut se rendre à l’évidence, il ne s’agit pas d’un simple pied de nez à Antonio Guterres mais d’un signal fort envoyé aux Occidentaux. Un message qui en substance pourrait se résumer ainsi : « le monde que vous avez bâti après la Seconde guerre mondiale avec son système multilatéral et ses aspirations démocratiques est mort et ne ressuscitera pas ».

Que nous le voulions ou non, avec la guerre en Ukraine nous avons irrévocablement basculé dans une nouvelle ère. Une ère où des types comme Poutine et Xi Jinping vont de plus en plus souvent mener la danse en faisant fi du droit international tel que nous le connaissons depuis plus de soixante-quinze ans. Il faudra que l’Occident l’admette tôt ou tard et assume sa part de responsabilité dans cette situation.

Welcome to my world / Won’t you come on in? (…)

 

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Ses deux derniers essais, «Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » et «  Femme vaillante, Michaëlle Jean en Francophonie », sont respectivement parus chez Max Milo en 2020 et aux Éditions du CIDIHCA en 2021.
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