ANALYSES

« Les Russes perçoivent la guerre comme une lutte de bloc à bloc : les Occidentaux contre eux »

Presse
27 avril 2022
Sergueï Lavrov a évoqué ce lundi un risque de « Troisième Guerre mondiale », qu’est-ce que cela signifie ?

Les propos de Lavrov sont une réponse à la réunion de Ramstein où les États-Unis ont réuni 40 pays alliés du bloc occidental. Les Russes perçoivent cela comme une lutte de bloc à bloc : le bloc occidental contre eux. Ils sont relativement seuls, le soutien des pays non-occidentaux à la Russie est très limité. La Chine est très prudente, l’Inde assez et le Brésil aussi : ils refusent d’appliquer les sanctions mais ça s’arrête là. Les États-Unis ont fait pression sur la Chine pour qu’elle ne livre pas d’armes à la Russie.

La Russie est en difficulté sur le plan militaire ?

C’est évident : ils avancent très lentement, ils ont du mal et voient que les Occidentaux aident les Ukrainiens avec de l’armement de plus en plus moderne et efficace. Ils soulignent le risque qu’à partir du moment où ils sont opposés aux États-Unis et à leurs alliés, il y ait une conflagration plus vaste que la crise en Ukraine. Les Russes sont en difficulté dans le Donbass. Voilà un mois qu’ils ont annoncé qu’ils allaient attaquer la région, trois semaines que Poutine a dit que Marioupol était prise et ce n’est pas le cas. La bataille est féroce, ils ne sont pas près de gagner. Lloyd Austin, le chef du Pentagone, dit « qu’il y a une possibilité pour la Russie de perdre la guerre ». C’est très inquiétant pour eux, c’est pour cela qu’ils font monter les enchères.

Faut-il craindre l’utilisation de l’arme nucléaire ?

Jusque-là, les Russes disaient « attention, il y a un risque d’arme nucléaire tactique ». C’est la doctrine russe des années 2020 qui prévoit ce que l’on appelait l’escalade pour la désescalade, soit utiliser l’arme nucléaire pour casser l’évolution négative d’une guerre. C’est une hypothèse mais peu probable : les Russes savent que s’ils déclenchent la guerre nucléaire, le pays sera rasé.

Pourquoi Poutine insiste-t-il sur la « dénazification » de l’Ukraine ?

C’est un thème très efficace de mobilisation interne pour les Russes, ça justifie la guerre : on combat les Nazis. La Grande Guerre patriotique de 41-45 a laissé des traces dans les familles, tout le monde a perdu quelqu’un. C’est une énorme difficulté pour un éventuel accord de paix, personne ne sait ce que ça veut dire, tout le monde sait que l’Ukraine n’est pas nazie, même s’il y a des groupuscules, tels que le régiment Azov, dont l’idéologie est proche des Nazis. Ce que veut Poutine c’est un droit de regard sur les institutions ukrainiennes.

Les multiples sanctions occidentales ont-elles eu un effet ?

C’est un peu tôt pour le dire, les sanctions ça met du temps à agir. Les revenus du gaz et du pétrole sont en hausse et l’embargo va mettre du temps à exercer ces effets, pour l’instant il y a une hausse des prix des céréales dans les magasins et des rayons sont vides… Mais les Russes ont connu une baisse de leur pouvoir d’achat de plus de 10 % depuis une dizaine d’années, il y a une capacité de résistance. Ils ont connu les pénuries soviétiques, la crise des années 1990 au moment de la chute de l’URSS, ils ont perdu la moitié de leur PIB. Sur le moyen terme, j’ai des doutes mais peut-être que ces sanctions auront des conséquences politiques.

 

Propos recueillis par Laureen Piddiu pour La Marseillaise.

 
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