ANALYSES

La pandémie accélère le baby krach en Chine (et ses conséquences politiques ?)

Presse
21 avril 2022
Interview de Emmanuel Lincot - Atlantico
Le taux de natalité de la Chine a chuté de 30 % entre 2019 et 2021, dans quelle mesure la pandémie a-t-elle accentué le baby krach qui se produisait déjà en Chine ?

Le phénomène est d’abord lié à l’échec de la relance démographique initiée depuis quelques années déjà par l’actuel dirigeant Xi Jinping. La société chinoise au même titre que le Japon ou les pays occidentaux tend vers une nucléarisation des familles soit un enfant pour deux parents voire plus d’enfant du tout. Cela est lié à une modernisation au-delà de laquelle un certain seuil de bien-être matériel provoque une dénonciation systématique des modèles d’organisation familiale antérieurs. L’effet covid s’est ajouté à cette tendance avec, pour corollaire, un effondrement des valeurs argent / travail / famille que le régime promouvait avec un succès très mitigé d’ailleurs comparé à la période des trente glorieuses (1978-2008) que le pays avait connu. L’argent comme le travail y sont devenus plus rares: explosion du coût de la vie, chômage et frustration pour les jeunes de ne pouvoir trouver un job auquel ils pourraient objectivement prétendre étant donné leur niveau d’études…Tout cela explique que le fossé entre les générations ne cesse par ailleurs de se creuser. Les aspirations des jeunes diffèrent de celles de leurs aînés. Le « à quoi bon » devient la norme sur fond de méfiance voire de défiance vis à vis de l’autorité. D’une manière significative, les seniors refusent par exemple de se faire vacciner tandis que les plus jeunes refusent d’être instrumentalisés par un Etat-Parti qui, il y a quelques années, appliquait d’une manière extrêmement drastique une politique de l’enfant unique. L’opinion a été traumatisée par ces millions de femmes avortées à huit mois de grossesse et de force par le régime. Vous ne ramenez pas la confiance et la crédibilité d’un message politique en un jour. Le résultat, nous le connaissons: la Chine devient vieille avant d’être riche.

Quelles réponses politiques ont été apportées à ce problème jusqu’à présent ? Faut-il s’attendre à ce que cela s’intensifie ou change ?

Cela ne va pas changer avant longtemps et pour une raison très simple: la Chine traverse bien trop d’incertitudes. La Covid a détruit des millions d’emplois, le confinement abusif de dizaines de millions de personnes à Shanghai génère du mécontentement et une crise profonde au sein de l’opinion. La guerre en Ukraine, les sanctions américaines encourues pèsent de tout leur poids aussi. Avoir des enfants est conditionné à la possibilité de se projeter vers l’avenir. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Au reste, l’apologie de la Chine impériale et de ses gloires passées que l’on hisse au même niveau que ses réalisations futuristes participe de la même optique a-temporelle et totalitaire. Mais qu’en est-il du quotidien de centaines de millions de Chinois ? C’est cette question qui risque d’être posée à Xi Jinping à l’occasion du XXème Congrès du PCC qui aura lieu à l’automne prochain.

Quand vont se faire ressentir les conséquences concrètes de ce phénomène sur la société ? Avec quelles conséquences politiques ?

Pour autant le régime est conscient de ses lacunes et des conséquences de cette chute démographique. L’une d’elles, et non des moindres, pose le problème de la main d’œuvre. La Chine peut y répondre par le développement de la robotique et en cela ses innovations peuvent nous surprendre. La diminution à terme de sa population induit par ailleurs une recherche de marchés de consommateurs comme alternative. Les pays visés sont notamment les deux pays musulmans les plus peuplés  que sont le Pakistan et l’Indonésie. Ils impliquent une attention soutenue de Pékin.

Cela va-t-il être un enjeu dans la perspective du XXe congrès du parti communiste chinois prévu dans quelques mois ?

C’est évident. Le XXème Congrès peut se limiter au rôle que Xi Jinping entend lui assigner : celui d’une caisse d’enregistrement en vue de sa réélection. Ou, au contraire, il peut être la ligne d’horizon à partir de laquelle lui sera contestée sa politique dans presque tous les domaines. Y compris ses choix de politique étrangère et l’apparentement entre Xi Jinping et Poutine; apparentement qui ne fait pas l’unanimité au sein même du politburo.

 

Propos recueillis par Atlantico.
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