ANALYSES

À l’heure du conflit russo-ukrainien, où en sont les négociations sur le nucléaire iranien ?

Interview
15 avril 2022
Le point de vue de Thierry Coville


Les négociations qui visent à ressusciter l’Accord sur le nucléaire iranien prennent du retard, tandis que le poids des sanctions économiques imposées par les États-Unis depuis 2018 devient de plus en plus prégnant sur l’économie nationale iranienne. Ainsi, quels sont les effets du conflit ukrainien sur les négociations sur le nucléaire iranien ? L’Iran et ses ressources énergétiques représentent-ils une alternative pour les pays occidentaux ? Quel est l’impact des sanctions économiques sur le pays ? Le point avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran.

L’Iran subit-il les effets du conflit ukrainien, du fait de sa proximité avec la Russie dans nombre de dossiers ? Quid de la négociation sur le rétablissement de l’accord nucléaire de 2015 ?

Depuis quelques années, l’alliance de l’Iran avec la Russie et la Chine se confirme. La guerre en Ukraine a donc un impact important sur l’Iran et notamment les négociations sur le nucléaire.

Du côté de la Russie, il y a eu une tentative diplomatique très nette de lier la guerre en Ukraine aux négociations sur le nucléaire iranien. Dans un premier temps, le ministre des Affaires étrangères russe souhaitait que des garanties écrites soient incluses dans l’accord sur le nucléaire, de manière à assurer que le commerce futur de son pays avec l’Iran ne serait pas affecté par les sanctions prises par les pays européens du fait de la guerre en Ukraine. Cette situation s’est très vite désamorcée. Le ministre russe a déclaré alors que sa remarque ne concernait que les engagements en matière d’échanges techniques dans le cadre des accords sur le nucléaire iranien de 2015. Par ailleurs, Moscou déclarait alors avoir obtenu des garanties que les sanctions induites par la guerre en Ukraine ne concerneraient pas cette coopération dans le cadre du programme nucléaire iranien. Ceci permettait de lever un obstacle sur la table des négociations.

Pour l’heure, l’Iran maintient son alliance stratégique avec la Russie. Moscou a en effet joué un rôle efficace dans les négociations sur le nucléaire iranien depuis le début des années 2000 en affirmant son opposition à l’obtention d’une arme nucléaire par l’Iran tout en défendant une stratégie basée sur la négociation pour résoudre ce dossier. Par ailleurs, la Russie est un allié stratégique de l’Iran en Syrie ou en Asie centrale. L’Iran ne peut donc pas se passer de cette alliance actuellement. Cette nécessité de maintenir cette alliance stratégique explique ainsi le vote de l’Iran contre la résolution de suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme aux Nations unies, ce 7 avril.

Les tensions diplomatiques autour de cet accord sur le nucléaire iranien résultent plutôt de tensions entre l’Iran et les États-Unis.  En effet, il semblerait que, alors que l’on est tout près d’un accord, les États-Unis refusent toujours une demande de l’Iran, qui est que les Pasdarans soient « sortis » de la liste des organisations terroristes. Ce refus américain semble motivé par des conditions de politique intérieure. Les élections de « mid-term » se profilent et on évoque souvent un possible succès républicain à ces élections. Or, si Joe Biden acceptait la demande de l’Iran, il risquerait de voir critiquer sa « faiblesse » dans le domaine de la politique étrangère, par les républicains. Or, on sait que ces critiques ont déjà eu un écho dans l’opinion américaine après le départ des États-Unis d’Afghanistan. On se retrouve dans une situation paradoxale qui n’est pas nouvelle dans laquelle les républicains et certains démocrates, opposés à ces négociations permettant un retour des États-Unis dans l’accord de 2015, soutiennent « objectivement » les plus radicaux en Iran qui sont également contre ces négociations et contre l’accord de 2015 et qui souhaitent éventuellement que l’Iran sorte du TNP.

L’Iran et ses ressources énergétiques peuvent-ils devenir une alternative incontournable pour l’Occident ?

Tout d’abord, si l’embargo pétrolier était supprimé pour l’Iran, 1 million de barils de pétrole par jour supplémentaire reviendraient sur le marché international. Cette offre serait évidemment la bienvenue pour limiter les tensions actuelles sur le prix du pétrole.

Quant au gaz, l’Iran possède les deuxièmes réserves naturelles mondiales. Dans ces conditions, l’Iran pourrait en effet jouer un rôle stratégique d’exportateur de gaz naturel vers l’Union européenne et permettrait à l’Europe de diminuer sa dépendance vis-à-vis de la Russie. Mais cette alternative ne sera effective qu’à long terme, puisque l’Iran a très peu développé ses exportations de Gaz naturel liquéfié (GNL). Le pays doit désormais investir pour développer ses exportations de GNL, ce qui implique d’attirer les investissements étrangers dans ce secteur. Par ailleurs, cela prendra également du temps si l’Iran veut également développer ses exportations de gaz par gazoducs : négociation d’accords avec les pays clients, construction de gazoducs, etc.

Comment la guerre en Ukraine est-elle appréhendée sur la scène intérieure iranienne alors que l’impact des sanctions économiques est toujours très prégnant ? Quels sont les effets politiques de la gouvernance du nouveau président Ebrahim Raïssi ?

En Iran, la classe politique est divisée. D’un côté, les plus radicaux soutiennent la Russie et imputent les responsabilités du conflit au président ukrainien, Volodymyr Zelenski, et aux manœuvres de l’OTAN. Il y a néanmoins beaucoup de critiques vis-à-vis de la stratégie russe au sein des courants modérés. Cette scission fait beaucoup de bruit au sein du débat public.

Le nouveau gouvernement iranien est arrivé au pouvoir en énonçant que la crise économique que connait l’Iran depuis 2018 n’était pas liée aux sanctions et qu’il fallait faire redémarrer l’économie. Le gouvernement de Raïssi estimait notamment que l’ancien président Hassan Rohani s’était trop abrité derrière l’argument disant que cette crise économique s’expliquait complètement par les sanctions étatsuniennes. Or, sans le dire ouvertement, les autorités iraniennes se rendent compte aujourd’hui qu’il est quasiment impossible d’améliorer l’environnement macro-économique sans mettre fin aux sanctions.

La ligne politique et économique du gouvernement est très difficile à définir. Le seul élément notable récent est sa décision de supprimer le taux de change officiel de 42 000 rials pour un dollar qui permettait de subventionner les importations des produits prioritaires et notamment de médicaments. Cette décision devrait conduire à une augmentation de l’inflation, si notamment elle intervient sans que les sanctions américaines aient été levées.
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