20.11.2024
Véhicules électriques : l’enjeu des batteries au sein de la course industrielle mondiale
Interview
11 avril 2022
Le nombre de véhicules électriques en circulation est appelé à croître fortement à l’échelle mondiale. Les batteries se retrouvent ainsi au cœur de cette course industrielle de l’électromobilité alors que leur production est inégalement répartie : 85% des batteries sont produites par des groupes industriels japonais, coréens et, avant tout, chinois, et l’Europe ne couvre que 3% des volumes de production à l’échelle mondiale. Quel bilan peut-on dresser de la course industrielle aux batteries électriques en 2021 ? Quelles sont les performances de la filière technologique française ?
Le point avec Patrice Simon, professeur à l’Université Toulouse III Paul Sabatier et directeur adjoint du RS2E, et Mathieu Morcrette, directeur du LRCS, tous les deux spécialistes de chimie du solide et d’électrochimie.
Les batteries sont au cœur de la course industrielle aux véhicules électriques. Qui sont les groupes qui ont marqué l’année 2021 et qui ont pris de l’avance sur leurs concurrents en Europe au cours des douze derniers mois ?
PATRICE SIMON : En Europe, un acteur industriel me semble se détacher dans cette course au marché mondial des batteries pour les véhicules électriques (VE), l’Allemand Volkswagen (VW). Fin 2021, le groupe a décidé de créer une société européenne, Northvolt, spécifiquement dédiée aux batteries pour consolider sa position. Cette société gèrera toutes les activités liées aux batteries des véhicules électriques, du développement de nouvelles technologies de batteries au traitement des matières premières et à la fabrication des batteries elles-mêmes dans plusieurs méga-usines en Europe. C’est grâce à cette initiative que VW espère accomplir son objectif de devenir le premier fabricant mondial de VE et dans ce contexte que le constructeur automobile prévoit de créer six méga-usines en Europe. La première, située à Salzgitter, devrait entrer en service en 2025, et 2 milliards d’euros ont été réservés pour sa construction. La deuxième méga-usine sera basée à Skellefteå, dans le Nord de la Suède, et sera construite par la start-up Northvolt AB, dans laquelle Volkswagen détient une participation de 20 %. Volvo s’est également associé à Northvolt AB et a annoncé son intention de construire un centre de recherche et de développement de batteries à Göteborg, en Suède, en partenariat avec la start-up.
Les acteurs français sont aussi dans la course. Le groupe Renault a par exemple annoncé la signature de deux nouveaux partenariats. Le premier avec l’entreprise Envision AESC permettra l’implantation d’une méga-usine à Douai, le but étant de soutenir la Renault ElectriCity (le nouveau pôle industriel électrique de référence situé dans les Hauts-de-France) qui sera à proximité, et soutenir la fabrication des cellules en production. Le deuxième, avec Verkor, a pour objectif le co-développement et la fabrication de batteries hautes performances. Renault prévoit ainsi de détenir une participation de plus de 20% dans Verkor qui a annoncé début 2022 avoir choisir Dunkerque pour implanter sa première méga-usine et produire à grande échelle des cellules bas-carbone. Ces nouveaux partenariats pourront être à l’origine de 4 500 emplois directs en France d’ici 2030 et projetteront le groupe Renault dans les acteurs du VE les plus compétitifs et performants.
Il y a également la création de la méga-usine ACC (Automotive Cells Company), la plus avancée sur le sol français. ACC est une société qui regroupe les géants TotalEnergies et Stellantis, qui ont conclu un accord pour accueillir Mercedes-Benz comme nouveau partenaire. L’objectif d’ACC est de développer et produire des cellules pour véhicules électriques plus sécurisées, plus performantes, plus compétitives, tout en garantissant un gage de qualité et la plus faible empreinte carbone possible. Le consortium ACC vise une capacité de production industrielle de 120 GWh minimum d’ici à 2030.
Les industriels européens ne sont pas les seuls à renforcer leur base industrielle en Europe, compte tenu des besoins importants pour satisfaire le développement de la mobilité électrique. L’Américain Tesla a inauguré sa nouvelle méga-usine près de Berlin en octobre 2021 et a comme objectif de produire des batteries alimentant jusqu’à 10 000 véhicules électriques par semaine d’ici fin 2022. Cette méga-usine avait été retardée à plusieurs reprises par des actions de groupes environnementaux de la région préoccupés par son impact environnemental (importante consommation d’eau, perturbation de la faune). En compensation, Elon Musk a promis de rester vigilant sur ces points et s’est engagé sur une optimisation de la consommation en eau de l’usine, ainsi que sur la reforestation en replantant plus d’arbres qu’il n’en a été abattu. Le constructeur automobile a également déclaré qu’il visait à produire au moins 500 000 véhicules chaque année et qu’il embaucherait 12 000 employés pour faire fonctionner la faire fonctionner. Cette méga-usine est la quatrième du genre de Tesla.
Enfin, un groupe vient de marquer incontestablement le début de l’année 2022 : la start-up suédoise Northvolt qui a annoncé le développement d’une usine permettant de recycler jusqu’à 25 000 tonnes de batteries par an. Cette annonce s’inscrit dans leur démarche d’utiliser jusqu’à 50 % de matériaux recyclés dans la production de nouvelles batteries d’ici 2030. Une première cellule a été produite avec du nickel, manganèse, et du cobalt 100 % recyclé ayant une performance équivalente à des batteries produites avec des matériaux bruts. Leur objectif est d’augmenter progressivement leur production de batteries recyclées jusqu’à 125 000 tonnes de batteries par an.
Toutefois, il est important de rappeler que « méga-usine » n’est pas nécessairement synonyme de « souveraineté » car aujourd’hui 98 % des minerais pour faire les matériaux actifs de batteries sont importés, de même que la très grande majorité des équipements des lignes de production que l’on trouve dans ces usines.
Développer de nouvelles batteries pour limiter notre consommation d’énergies fossiles oblige parfois à prendre des paris risqués pour viser des innovations de rupture. Mathieu Morcrette, quels sont les coups durs qui ont marqué l’année 2021 et quels sont leurs impacts sur le secteur de la recherche et développement des batteries ?
MATHIEU MORCRETTE : Oxis Energy, le spécialiste britannique des batteries au lithium-soufre (Li-S), a fait faillite courant de l’année 2021, n’ayant pas réuni les investissements nécessaires pour poursuivre le développement de ses produits. Oxis Energy avait principalement ciblé l’aviation avec ses cellules Li-S à forte densité d’énergie massique. Depuis 2019, l’entreprise s’était orientée vers la production en série, avec par exemple une usine de cathodes à Port Talbot (Pays de Galles) et la production des cellules au Brésil. À cette fin, l’entreprise avait loué une installation de production de Mercedes-Benz Brésil à Juiz de Fora en 2020. Pas plus tard qu’en avril 2021, Oxis Energy avait annoncé qu’elle livrerait les premières cellules Li-S à ses clients et partenaires pour les tester cet automne. Malheureusement, Oxis Energy a été mise en liquidation et ses brevets vendus aux enchères par le cabinet d’expertise comptable britannique BDO LLP.
La société Zinium, la marque commerciale déposée de ZnR Batteries, a connu les mêmes déboires cette année 2021. Cette jeune société française avait été créée en 2016 par EDF en spin-off de ses laboratoires de recherche, pour développer des produits de stockage stationnaire d’électricité basés sur une technologie alternative aux batteries Li-ion : les batteries zinc – air rechargeables qui fonctionnent en électrolyte aqueux. Le Zinc-air peut être comparé au Lithium-air (Li-air) qui possède la plus grande densité d’énergie théorique. En effet, les batteries Li-air reposent sur une anode en lithium-métal, tandis que la cathode est remplacée par l’oxygène de l’air. Ces technologies Métal – air sont prometteuses, car leur densité énergétique pourrait être dix fois plus élevée que celle des accumulateurs Li-ion actuels. Si de nombreux verrous scientifiques restent à lever pour développer la technologie Li-air, elle semblait plus atteignable en électrolyte aqueux avec le Zn-air. Malheureusement, après 5 ans de développements techniques pré-industriels et commerciaux, Zinium a cessé définitivement son activité.
Quelles ont été les performances de la filière technologique française dans cette compétition mondiale en 2021 ? Et qu’attendre de 2022 ?
Notre start-up amiénoise Tiamat, qui développe des batteries sodium-ion (Na-ion) vient de signer un nouveau contrat de partenariat avec le groupe Startec et plus particulièrement avec sa filiale Neogy située à Mérignac. Après une première alliance avec Plastic Omnium, cette nouvelle collaboration va permettre une considérable augmentation de sa production de batteries sodium-ion, et de ses applications pour la puissance et la recharge rapide (véhicule hybride 48V, hybridation traction ferroviaire par exemple). Créée en 2017, Tiamat réunit à l’heure d’aujourd’hui une quinzaine de salariés.
Deux autres start-ups françaises, Macaware et Carester, ont fait parler d’elles. Basées à Lyon sur le recyclage des batteries grâce à des procédés innovants permettant de revaloriser métaux critiques et terres rares, ces deux entreprises portent des projets d’investissement d’environ 50 millions d’euros chacune. Mecaware (pour MEtal CApture for WAste REcycling), jeune spin-off de l’Institut de chimie et de biochimie moléculaires et supramoléculaires de Lyon (ICBMS), cherche à recycler des métaux souvent critiques (incluant, mais ne se limitant pas aux lithium, cobalt, nickel, manganèse, lanthane), tandis que Carester a décidé de se concentrer sur les aimants dits « permanents » des moteurs électriques. Encore toutes les deux au stade de R&D, elles envisagent très prochainement de passer au stade d’industrialisation grâce à la validation des financements.
Dernièrement, il est important de mentionner l’engouement pour le tout-solide, qui a permis la mise en place de quatre startups ces dernières années : Quantum Scape, Ionic Materials, Solid Power, et Nio. L’année dernière, Ionic Materials a acquis iQLP, un fournisseur de formulations et a nommé Michael Edelman au poste de PDG. Pour Solid Power, l’année 2021 était aussi importante puisque BMW et Ford ont investi 135 millions de dollars dans la startup, qui a aussi acquis un nouveau partenariat avec SK Innovation. Pour finir, NIO a organisé son premier NIO Power Day à Shanghaï, dévoilant ainsi « NIO Power 2025 », le plan de déploiement des stations d’échange de batteries.
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📍 ALLER PLUS LOIN AVEC LE RAPPORT « L’alliance européenne des batteries : enjeux et perspectives européennes » publié dans le cadre de l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques