ANALYSES

Guerre en Ukraine : quel est le jeu de la Chine ?

Interview
7 avril 2022
Le point de vue de Barthélémy Courmont


Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Chine refuse de condamner les agissements de la Russie, et semble davantage inquiète du risque de rupture des équilibres économiques et des politiques internationales. Comment analyser les positions diplomatiques chinoises sur ce dossier ? Quels peuvent être les effets de la guerre en Ukraine sur l’économie chinoise, alors qu’elle reconfine plusieurs villes suite à une recrudescence du nombre des contaminations au Covid-19 ? Quid du dossier taïwanais dans ce contexte ? Le point avec Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS en charge du Programme Asie/Pacifique.

Comment analyser les positions diplomatiques chinoises vis-à-vis de la situation en Ukraine et de la Russie ? La Chine pourrait-elle aider la Russie à contourner les sanctions économiques européennes ou au contraire pourrait-elle jouer le rôle de médiateur ?

La question n’est pas de savoir si la Russie peut « contourner » ces sanctions grâce à la Chine, mais si lesdites sanctions sont efficaces face à Moscou. Devant l’incapacité des Occidentaux à convaincre Pékin d’accompagner les sanctions en pressant la Russie – rappelons ici que de très nombreux autres pays refusent de sanctionner la Russie, et l’Occident est assez isolé sur ce point – il y a évidemment un risque de voir ce régime de sanctions montrer ses limites – ce qui n’est pas surprenant, les sanctions n’étant pas suffisantes, même quand elles sont internationales. Xi Jinping ne semble pas disposé à répondre favorablement aux demandes occidentales, comme l’a récemment démontré la rencontre virtuelle avec des dirigeants européens. Et ce choix est justifié par la nécessité pour Pékin de ne pas se passer d’un important partenaire.

Cependant, la Chine ne se prive pas de réfléchir sur la meilleure attitude à adopter, et on a vu au cours des dernières semaines plusieurs voix s’élever – certes timidement et sans résonnance apparente – pour encourager l’État parti à tourner le dos à Moscou pour renforcer sa crédibilité et se positionner comme un partenaire fiable pour l’Occident. Mais face aux exigences américaines – Joe Biden et Anthony Blinken ont menacé Pékin de représailles si la Chine refuse d’adhérer au régime de sanctions – l’attitude des dirigeants chinois indique qu’aucune décision ne sera prise en ce sens, car il est pour l’heure exclu de rompre avec le partenaire russe.

Rappelons enfin que la Chine a très rapidement proposé ses services à Moscou et Kiev comme médiateur, car les perspectives d’un conflit long et aux conséquences très lourdes ne sont pas dans l’intérêt de Pékin. Mais contrairement aux pays occidentaux, à tort ou à raison, Xi Jinping refuse de prendre position sur ce conflit. Mais encore une fois, la Chine est tout sauf isolée sur ce point.

L’invasion russe de l’Ukraine a remis en lumière la position fragile de Taiwan vis-à-vis de la Chine qui a multiplié les incursions d’avions militaires chinois dans la zone d’identification de défense aérienne taïwanaise. La Chine y voit-elle un effet d’aubaine pour remettre la pression sur Taiwan ? Doit-on redouter de nouvelles crispations sur ce dossier ?

On reparle beaucoup de Taiwan depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, d’autant que Vladimir Poutine avait rencontré Xi Jinping à Pékin en février, et que l’armée populaire de libération multiplie depuis plusieurs mois les provocations contre Taiwan. Comparaison n’est cependant pas raison, et faire un lien de cause à effet entre l’Ukraine et Taiwan est excessif pour plusieurs raisons, d’abord parce que les relations économiques entre les deux entités restent très importantes, parce que Taiwan a des moyens de se défendre en causant des dommages très importants à la Chine, et parce que Pékin ne souhaite pas prendre le risque d’une confrontation directe, certes hypothétique, avec Washington autour de Taiwan. Le nœud sécuritaire taiwanais est un tissu de complexités, et le différend est plus ancien que la relation Russie-Ukraine puisqu’il est entré dans sa huitième décennie.

Le risque n’en demeure cependant pas moins certain, et est associé indirectement à la crise ukrainienne. Ainsi, la question centrale n’est pas liée à une attaque chinoise, mais aux réactions de Washington. On a pris acte, à Pékin comme à Taipei, de la réaction très faible de Washington face à l’invasion de l’Ukraine, notamment illustrée par les rappels répétés de Joe Biden en faveur d’une non-entrée en guerre des États-Unis. Ce positionnement inquiète légitimement Taiwan, qui s’interroge sur la fiabilité de son partenariat stratégique avec Washington, et il peut potentiellement donner des idées aux va-t-en-guerre chinois. Dès lors, plus que l’imminence d’une guerre dans le détroit de Taiwan, c’est la question des rapports de force stratégiques dans la région qui est posée.

Dans quelle mesure l’économie chinoise est-elle impactée par la guerre en Ukraine, alors qu’elle reconfine plusieurs villes suite à une recrudescence du nombre des contaminations au Covid-19 ? Avec quelles incidences ?

La Chine a très clairement fait de nombreuses erreurs dans sa gestion de la pandémie. Des erreurs relevées dès les premières semaines, mais qui sont plus nettes encore désormais, tandis que le nombre de pays qui ont choisi de « vivre avec le Covid » et de sortir de l’état d’exception ne cesse de croître. On voit ainsi, les uns après les autres, les voisins de la Chine ouvrir à nouveau leurs frontières et sortir des restrictions, tandis que la Chine s’enfonce dans une nouvelle phase de confinements – ils sont localisés dans ce pays – et de restrictions sévères. Le risque de voir la Chine se couper, même momentanément, du reste du monde est réel. L’État parti devra tôt ou tard changer de stratégie et donc reconnaître implicitement ses erreurs. C’est à ce moment que d’éventuelles incidences pourraient être relevées.

L’impact de la guerre en Ukraine est pour sa part difficile à mesurer à ce stade pour la Chine, car il dépendra non seulement de la durée du conflit et de la durabilité des sanctions. Il ne faut cependant pas surestimer cet impact, tant Pékin a diversifié ses partenaires depuis deux décennies. Comme je l’indiquais précédemment, cette guerre n’est pas une bonne nouvelle pour la Chine, mais c’est essentiellement en raison du risque de rupture des équilibres économiques et des politiques internationales.

 
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