17.12.2024
Guerre en Ukraine : le gaz naturel liquéfié peut-il remplacer le gaz russe ?
Presse
26 mars 2022
C’est un gaz naturel comme un autre. La différence, c’est qu’on a besoin du gaz naturel liquéfié (GNL), pour transporter le gaz. Il y a en effet deux façons de transporter du gaz. La première, c’est dans une conduite appelée gazoduc. À ce moment-là, on transporte le gaz sous sa forme naturelle : sa forme gazeuse.
Mais quand on veut traverser un océan, on ne peut pas utiliser de gazoduc. Donc on a besoin de liquéfier le gaz, pour pouvoir le mettre sur des bateaux, appelés méthaniers. Le GNL n’est pas différent du gaz naturel : c’est le gaz naturel que l’on connaît, transformé en liquide pour les besoins du transport maritime sur de longue distance.
À l’arrivée dans le pays de destination, ce GNL est regazéifié, pour redevenir du gaz naturel gazeux, que l’on peut mettre dans un gazoduc.
Quelles sont les contraintes qu’implique l’utilisation du GNL ?
Cela coûte cher. Pour faire du GNL, il y a trois étapes. D’abord, il faut une usine de liquéfaction du gaz dans le pays producteur. Chaque usine coûte des milliards de dollars. Ensuite, pour le transport par la voie maritime, il faut une flotte de méthaniers. Cela coûte cher également. À l’arrivée, dans le pays de destination, il faut un terminal pour recevoir les méthaniers et regazéifier le gaz.
L’option GNL est donc coûteuse, mais nous y avons recours parce que dans certaines situations, c’est le seul moyen de transporter du gaz sur de très longues distances.
L’Europe a-t-elle des capacités suffisantes pour s’alimenter en GNL ?
En Europe, il y a plusieurs terminaux capables d’accueillir des méthaniers. Mais tous les pays de l’Union européenne n’ont pas de méthaniers, pour deux raisons. La première : certains ne peuvent pas. Pour avoir un terminal méthanier, il faut une façade maritime. Si on est enclavé au centre de l’Europe, on n’a pas de mer.
Parmi les pays qui pourraient en avoir, certains n’en ont pas développé dans le passé. Par contre, d’autres pays, comme la France ou l’Espagne, ont développé des terminaux pour recevoir des méthaniers justement dans l’idée que cela leur permettrait de diversifier leurs approvisionnements gaziers. En effet, lorsque vous consommez du gaz par gazoduc, on ne peut recevoir de gaz que par le pays relié à ce gazoduc.
En revanche, quand on a un terminal pour recevoir des méthaniers, on peut recevoir du GNL de plusieurs pays producteurs. C’est donc une filière beaucoup plus flexible qu’un gazoduc. C’est la raison pour laquelle depuis de longues années la Commission européenne pousse les pays européens à construire plus de terminaux méthaniers afin de mieux sécuriser leurs approvisionnements. À l’échelle de l’Union européenne, on dispose de suffisamment de capacités pour les terminaux existants pour pouvoir importer plus de GNL dès 2022. Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas en construire plus pour les prochaines années.
Comment approvisionner toute l’Europe en GNL ?
La France a quatre terminaux pouvant accueillir des méthaniers. Deux sur la Méditerranée, à la Fos-sur-Mer, près de Marseille. Un à Montoir-de-Bretagne, un à Dunkerque. Une fois que le GNL arrive en France, les méthaniers sont réceptionnés, le GNL est déchargé et regazéifié pour redevenir du gaz naturel gazeux. Ensuite, on le met dans un gazoduc.
Là, il y a deux cas de figure : soit on le met dans un gazoduc qui reste à l’intérieur de la France pour desservir le marché français, soit dans un gazoduc qui desservira le marché européen. Au sein de l’UE, il existe un réseau interconnecté de gazoducs, ce qui fait qu’un pays n’ayant pas les infrastructures nécessaires à la réception et au stockage du GNL peut tout de même bénéficier du gaz, une fois celui-ci remis à l’état gazeux.
Qu’est-ce qui peut poser problème pour sortir de la dépendance au gaz russe ?
Il faut évidemment trouver des fournisseurs. On a actuellement des terminaux de GNL en Europe qui nous permettent d’importer plus de GNL. Mais il faut qu’il y ait quelqu’un qui en vende. Cela ne se fait pas en claquant des doigts. Il faut aller voir des pays. C’est d’ailleurs ce que les pays européens et les États-Unis ont commencé à faire depuis plusieurs semaines, avant même le 24 février 2022.
Il faut négocier les contrats. On ne négocie pas un contrat gazier en trois jours. En temps de guerre, on va aller plus vite qu’en temps normal, parce qu’il y a un sentiment d’urgence. Mais ça demande tout de même du temps. Il faut se mettre d’accord avec le pays fournisseur, sur le volume et le prix. Ce deuxième point est particulièrement délicat, à la fois pour le vendeur et l’acheteur.
Il faut aussi savoir quand vont commencer les livraisons, sur combien de temps elles vont être réalisées,… Il y a de nombreuses questions difficiles à régler qui demandent des négociations contractuelles, où chacun défend ses intérêts. Il ne suffit pas de dire « ça y est on a les terminaux méthaniers, tout va bien », il y a beaucoup de travail à faire sur le plan commercial.
Puisque le GNL coûte plus cher que le gaz russe, y aura-t-il une répercussion sur les prix de l’électricité ?
Les prix du pétrole, du gaz naturel, du charbon et de l’électricité sont très élevés depuis 2021. Avec la crise qui a démarré à l’automne, ils ont encore augmenté et cette augmentation s’est poursuivie avec la guerre qui a débuté le 24 février.
De toute façon, l’énergie que les Européens vont acheter en 2022 va coûter cher. Aucun pays producteur ne va brader son gaz dans le contexte actuel du marché. Tous les producteurs savent qu’ils peuvent vendre leur gaz à des prix qui leurs seront avantageux. À partir du moment ou l’on décide, à terme, de se passer du gaz russe, il faut trouver d’autres fournisseurs. Ces derniers sont donc en situation de force dans les négociations, parce que les prix du gaz sur les marchés mondiaux sont très élevés.
Il y aura un prix important à payer, et on va le payer. On ne peut pas se permettre de ne pas avoir suffisamment de gaz, cela entraînerait une pénurie d’énergie. Aucune grande puissance industrielle n’a envie de se retrouver dans une situation où elle n’a pas suffisamment de gaz en particulier, d’énergie en général, pour son économie, son industrie, sa population.
Propos recueillis par Margot Hutton pour TV5 Monde.