06.11.2024
L’Union européenne ne pourra pas justifier, à l’avenir, d’un non-recours au mécanisme de protection temporaire pour des populations non européennes
Presse
21 mars 2022
En 2010 et 2021, pour intégrer les déplacés afghans. En 2011 et 2015, pour inclure les Syriens. À chaque fois, la frilosité collective a gagné et, à défaut de l’accord nécessaire des États membres à la majorité qualifiée, chaque pays gérait – ou pas – le flux d’arrivée comme il l’entendait. Des gens fuyaient des bombes et, au vu des disparités nationales intra- européennes en matière d’accueil, il valait mieux qu’ils fuient du bon côté. Au 18 mars, selon les estimations des Nations unies, 3,3 millions d’Ukrainiens avaient traversé la frontière et on estimait à environ 2 millions le nombre de déplacés internes en Ukraine. La Pologne accueillait 2 millions de réfugiés, la Moldavie dépassait les 350 000, la Hongrie 300 000 et la Roumanie et la Slovaquie 230 000 chacun. Des hommes et des femmes ont aussi fui du côté agresseur : 185 000 personnes en Russie, 2 000 en Biélorussie. Le jour du pic de la vague (6 mars), 210 000 personnes ont traversé la frontière. Depuis, les chiffres baissent (moins de 50 000 par jour depuis le 17 mars), et on est pleinement entré dans une logique de siège d’où il devient difficile de s’extraire.
Au vu d’un tel contexte, le mécanisme européen de protection temporaire aurait-il pu ne pas s’activer ? La crise ukrainienne finalement aurait peut-être pu se régler au niveau de chaque État membre, à l’instar des crises passées.
Après tout, 7 millions de Syriens ont fui les bombes russes sur les dix dernières années sans qu’aucune action collective européenne ne soit concrétisée en matière d’asile. Pour autant, l’émotion que cette proximité européenne suscite sur fond de menace nucléaire réussit à activer des leviers d’influence que d’autres crises n’ont pas pu enclencher. Et si des voix aujourd’hui soulignent – à raison – le traitement différencié de la crise ukrainienne par rapport à d’autres conflits actuels qui sont tout aussi criminels sur les populations civiles, il sera difficile de revenir sur les acquis d’aujourd’hui. On voit mal l’Union européenne justifier piteusement dans le futur un non-recours au mécanisme de protection temporaire quand des populations non européennes sont concernées. Aucune base juridique ne pourra légitimer cela, à moins que les conventions de Genève ne soient racialisées (ce qui relève fort heureusement encore de la fiction).
Le traitement différencié de la crise ukrainienne aura donc permis un pas de géant pour la politique d’asile européenne commune. Poutine aura réussi ici à réveiller politiquement l’Europe. On ne peut que regretter que le prix de vies à payer soit aussi indécent. »
Tribune publiée dans l’Humanité.