20.11.2024
Les enjeux stratégiques de l’hydrogène dans la transition énergétique
Interview
9 mars 2022
Nous constatons un véritable engouement en faveur du développement de l’hydrogène, que ce soit au niveau de gouvernements, d’industriels et d’organisations internationales. Qu’est-ce qui explique une telle dynamique politique sur le plan international ?
Cet engouement mondial s’explique pour une raison : la lutte contre le changement climatique et l’objectif de neutralité carbone à atteindre à l’horizon 2050. Personne n’envisage l’utilisation de l’hydrogène parce que c’est moins cher que des solutions actuelles, comme le pétrole ou le gaz. Les solutions hydrogènes sont toutes plus chères. Mais on pense à l’hydrogène parce qu’on doit décarboner nos systèmes énergétiques en urgence.
La décarbonation de nos systèmes énergétiques implique d’abord des efforts importants d’efficacité énergétique, puis un découplage de la croissance économique et de la consommation énergétique, et enfin une décarbonation de la demande énergétique restante. La principale stratégie de décarbonation de la demande énergétique restante s’appuie sur une électrification massive de la demande finale et sur une production d’électricité bas carbone, à partir de renouvelables, de nucléaire ou même éventuellement d’énergies fossiles, à condition de les coupler à des procédés de capture, utilisation et stockage du carbone.
Pourquoi a-t-on besoin de l’hydrogène pour décarboner nos systèmes énergétiques ?
À l’heure actuelle, on ne peut pas électrifier toute la demande énergétique finale. Ceci est notamment le cas pour certains procédés industriels, lorsqu’on a besoin d’atteindre de très hautes températures, ce qui requiert une flamme, comme pour l’industrie sidérurgique. C’est aussi le cas lorsqu’on a besoin de stocker d’importantes quantités d’énergie, que ce soit pour le stockage électrique saisonnier, mais aussi par exemple, pour le transport maritime longue distance. Enfin, certaines industries consomment des hydrocarbures comme matières premières, à l’instar de l’industrie chimique pour la production d’engrais.
De plus, électrifier au maximum la demande énergétique actuelle requiert une énorme augmentation des moyens de production et des investissements importants des réseaux de transport et de distribution d’énergie électrique. Par ailleurs, l’électrification peut aussi poser des problèmes d’acceptabilité sociale, pour la construction de nouvelles lignes électriques haute tension par exemple.
Quelles sont les applications stratégiques de l’hydrogène pour atteindre la neutralité carbone ?
Quand on parle de l’hydrogène, on parle à la fois de l’hydrogène pur et des produits dérivés de l’hydrogène, comme l’ammoniac. On peut utiliser l’hydrogène comme combustible, comme pour le gaz naturel, le fioul ou les produits pétroliers. On peut aussi utiliser l’hydrogène pour produire de l’énergie électrique, avec une pile à combustible.
Il faut d’abord savoir que, à l’heure actuelle, l’hydrogène est principalement utilisé pour l’industrie du raffinage et pour la production de l’ammoniac, qui lui, est principalement utilisé pour l’industrie des engrais. Il est aussi utilisé dans une moindre mesure pour la production de méthanol et pour la réduction directe du fer pour la production sidérurgique.
Le grand avantage de l’hydrogène est que, avec quelques adaptations au système énergétique actuel, il est possible de garder une bonne partie des infrastructures énergétiques existantes et de continuer à les utiliser pour le transport et la combustion de l’hydrogène. En effet, l’hydrogène peut être transporté dans des gazoducs mélangé avec du gaz naturel ou même en l’état pur, à condition de réaliser les adaptations nécessaires. Ensuite cet hydrogène, mélangé ou pas avec le gaz naturel, peut être utilisé dans des chaudières, des turbines à gaz, des moteurs, en substitution du gaz naturel. Les adaptations sont indispensables mais techniquement faisables.
Quelle place pourrait prendre l’hydrogène dans notre consommation d’énergie finale à l’horizon 2050 ?
L’agence internationale de l’Énergie, d’une part, et l’IRENA, l’agence internationale des Énergies renouvelables, d’autre part, estiment qu’à l’horizon 2050, l’hydrogène représentera autour de 15% de la demande finale d’énergie dans ce monde. D’autres sources, comme le Hydrogen Council et Bloomberg, donnent des estimations de pénétration d’hydrogène à l’horizon 2050 un peu plus hautes, à 20% de la demande finale. La principale différence entre ces prévisions est la pénétration dans le secteur électrique, où Bloomberg est par exemple beaucoup plus optimiste que l’AIE et l’IRENA. De notre côté, nous estimons que, compte tenu du fait que nous partons actuellement de pratiquement zéro, arriver à une pénétration d’énergie finale à un niveau global de 15% dans seulement trois décennies, c’est déjà un bon défi.
Pourquoi l’hydrogène ne pourrait-il pas prendre une part encore plus importante dans notre mix énergétique ?
Le fait qu’une solution soit techniquement possible ne garantit pas forcément que cela soit économiquement rentable. À l’heure actuelle, on n’utilise pas d’hydrogène dans les filières qui sont régulièrement mentionnées quand on parle des usages futurs de l’hydrogène, comme le transport et la production électrique. Ces usages pourraient s’appuyer sur l’hydrogène, mais cette solution demeure compliquée et elle est en concurrence avec d’autres solutions décarbonées qui sont plus économiques. Dans le transport terrestre, il est évidemment question des voitures électriques à batteries, qui ont aujourd’hui pris l’avantage sur l’hydrogène. Dans les bâtiments, la pompe à chaleur électrique a un avantage par rapport à l’hydrogène en combustion. Ainsi, l’utilisation d’hydrogène dans le secteur électrique n’a pas beaucoup de sens, sauf pour le stockage saisonnier de l’électricité.
Quel est le principal défi à relever pour développer l’usage de l’hydrogène ?
Il faut garder à l’esprit qu’il faut agir à la fois sur deux axes : d’une part, sur la demande d’hydrogène et d’autre part sur l’offre d’hydrogène. Actuellement, la quasi-totalité de la production annuelle mondiale d’hydrogène, soit environ 90 millions de tonnes, est carbonée. On parle d’hydrogène noir lorsqu’il est produit à partir de la gazéification de la houille, d’hydrogène brun à partir de la gazéification de la lignite, d’hydrogène gris à partir de la gazéification du méthane. Si on regarde les émissions annuelles globales liées à cette production d’hydrogène, on arrive à environ 900 millions de tonnes de CO2, c’est-à-dire l’équivalent de trois fois et demie les émissions de CO2 de la France. Comme la consommation d’hydrogène pourrait s’accroître pour répondre aux objectifs de la neutralité carbone, il faut passer radicalement à des solutions décarbonées.
Quelles sont les différentes solutions pour produire de l’hydrogène décarboné ?
On pourrait imaginer d’appliquer à la production d’hydrogène actuelle, issue du charbon ou du gaz, un système de captage, d’utilisation et de stockage CO2. Il s’agirait alors d’un hydrogène bleu. Le problème est qu’on arrive actuellement à capter au mieux 90% du CO2 environ. Par conséquent, cette technologie n’est pas considérée comme durable par tous. Une autre option consiste à s’appuyer sur les énergies renouvelables pour produire une électricité bas carbone et fabriquer de l’hydrogène vert à partir de l’électrolyse de l’eau. Tout le monde est d’accord avec cette solution. Le problème, c’est qu’accroître l’utilisation d’électricité d’origine renouvelable pour produire de l’hydrogène, qui sera potentiellement utilisé ensuite comme combustible pour produire de l’énergie électrique, n’est pas forcément très intéressant. Il vaudrait mieux utiliser l’augmentation des renouvelables pour décarboner en priorité le système électrique. Évidemment, on peut aussi produire de l’hydrogène à partir du nucléaire, et c’est une option parfaitement envisageable dans les pays où le nucléaire garde une acceptabilité sociale. On parle là d’hydrogène jaune.
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Cet entretien a été réalisé dans le cadre du rapport 10 « Enjeux géostratégiques de l’hydrogène : une filière au coeur de la transition énergétique » de l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques, coordonné par l’IRIS, en consortium avec Enerdata et Cassini, dans le cadre d’un contrat avec la DGRIS du ministère des Armées. Cet entretien est également disponible sur la page de l’Observatoire.