17.12.2024
Enjeux énergétiques de la guerre en Ukraine : les enjeux financiers de la sécurité énergétique de l’UE face à la Russie
Interview
4 mars 2022
La guerre lancée par Poutine en Europe pose de graves risques pour la sécurité énergétique de l’Union européenne. Dépendante en grande partie de la Russie pour son approvisionnement en gaz, l’Union européenne pourrait accélérer sa transition énergétique vers les énergies renouvelables. Mais en a-t-elle les capacités financières ? Le point de vue de Julien Laurent, expert bancaire et financier du secteur énergétique.
Quels sont les enjeux financiers auxquels l’UE doit faire face pour sécuriser ses approvisionnements énergétiques à très court terme ?
Tout d’abord, n’oublions pas que les approvisionnements énergétiques de l’Union européenne reposent sur des infrastructures lourdes et coûteuses, qui ne sont adaptables que sur le temps long. À très court terme, le potentiel de diversification des approvisionnements énergétique en provenance d’autres pays que la Russie est limité et cette stratégie de diversification va coûter cher. Les prix de l’énergie se sont envolés tout au long des derniers mois, soit avant même le début de cette guerre. Le cours du gaz en Europe a explosé de près 300 % en janvier 2021 et janvier 2022, pour atteindre un niveau jamais enregistré au cours des vingt dernières années.
Dans ce contexte, les options disponibles à très court terme pour faire face aux menaces sur la sécurité énergétique des pays membres de l’UE sont limitées. Face aux rigidités de l’offre, les principales mesures mobilisables par l’UE portent sur la sobriété énergétique du côté de la demande. Ces mesures peuvent se traduire par la fermeture temporaire de certaines industries grosses consommatrices de gaz. Les industries comme les verreries ou la pétrochimie (notamment les engrais) ont déjà réduit leurs rythmes de production face à la hausse des prix de l’énergie.
Heureusement, l’arrivée du printemps devrait rapidement réduire la demande de chauffage résidentiel et diminuer une partie de la pression sur les prix et la demande. Mais les besoins en gaz dans les procédés industriels vont demeurer dans les mois qui viennent et les pays membres de l’Union européenne devront impérativement reconstituer leurs stocks de gaz pour l’hiver suivant.
Le secteur financier européen est-il en mesure de financer une accélération de la transition énergétique de l’Union européenne vers les énergies renouvelables, pour se passer du gaz russe ?
Les banques, si la situation économique reste orientée favorablement, seront en capacité d’accompagner les investissements nécessaires pour financer la transition énergétique de l’UE. Cette dernière s’est déjà fixé pour objectif de réduire de plus de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport à 1990. Cette décarbonation passe par une refonte majeure de son bouquet énergétique, encore basé à près de 70% sur la consommation d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Les importations nettes de gaz russe de l’UE27 étaient d’environ 165 milliards de mètres cubes en 2020, selon les données d’Eurostat.
En première approche, il faudrait un effort d’investissement additionnel très conséquent si l’Union européenne veut se passer de ces importations de gaz russe en y substituant des renouvelables. Les pays européens ont réservé une place importante aux énergies renouvelables dans leurs plans de relance pour sortir du Covid. Le renchérissement des énergies fossiles pourrait accélérer cette transformation. Aujourd’hui, l’écart entre le coût des énergies renouvelables et des énergies fossiles, appelées communément « green premium », est devenu favorable sur l’ensemble des nouvelles énergies, même pour le biogaz, qui avait jusqu’à présent besoin de tarifs d’injection incitatifs. Toutefois, la place du gaz naturel devrait rester importante pour l’UE à moyen terme. Le gaz a été labellisé comme une énergie nécessaire à la transition énergétique dans la taxonomie verte de l’UE et il demeure un intrant difficilement substituable pour de nombreux procédés industriels.
Cette crise rappelle le choc pétrolier de 1973, provoqué suite à la guerre du Kippour, qui avait entrainé une multiplication par quatre du prix du pétrole brut en quelques mois. À l’époque, cette crise avait entraîné le déploiement à grande échelle du nucléaire en France. Dans un souci de souveraineté (et de maitrise des coûts), le gouvernement Messmer avait alors lancé la construction de 36 réacteurs nucléaires représentant une capacité de plus de 40 GW en une décennie.
Quels sont les principaux enjeux économiques d’une transition accélérée vers les énergies renouvelables pour se passer du gaz russe ?
Une hausse significative de la part des énergies renouvelables pour se passer du gaz russe n’est pas exempte de difficultés et de risques. En France, nous n’avons rajouté que 3,9 GW de capacités de génération électrique renouvelable en 2021, d’après le dernier bilan électrique 2021 de RTE.. Cette hausse, importante en valeur absolue, ne représentait que 3% de la puissance installée de 136 GW à fin 2020 (en France métropolitaine). De plus, ces nouvelles capacités sont difficilement pilotables. De plus, au-delà de l’investissement intrinsèque dans ces capacités renouvelables, il faut aussi garder à l’esprit les investissements additionnels massifs qui seront nécessaires au stockage partiel de cette énergie et éventuellement à sa transformation en hydrogène.
Les dettes publiques des pays membres de l’UE, déjà très élevées, pourraient encore s’alourdir à cause de l’impact des sanctions économiques contre la Russie et la hausse des coûts des matières premières. Cette hausse entraine le retour de l’inflation et la Banque centrale européenne pourrait suivre le chemin de la FED en relevant les taux directeurs, ce qui freinerait la croissance et l’investissement.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la crise ne porterait pas que sur les énergies fossiles. L’Ukraine est un fournisseur d’une relative importance sur certains métaux nécessaires à la transition énergétique tels que le manganèse et le graphite (très importantes pour l’industrie européenne des batteries), le titane et le fer, sans parler de l’uranium. La Russie est encore plus importante avec ses réserves de manganèse, de nickel, de cuivre et de palladium. Cette crise pourrait donc pénaliser les industries européennes de la transition énergétique et numérique, surtout dans un contexte de forte compétition avec l’Asie.
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Cet entretien s’inscrit dans une série d’analyses portant sur les enjeux énergétiques autour de la guerre en Ukraine.