13.12.2024
Poutine attaque l’Ukraine et fait perdre la Russie
Édito
1 mars 2022
Pourquoi ai-je commis cette erreur d’appréciation ? Je n’ai pas d’illusions sur le caractère brutal répressif plus qu’autoritaire du régime de Poutine, mais jusqu’ici en tous les cas ce qui l’avait guidée c’était la défense de l’intérêt national russe et c’est pour cela que les Russes étaient prêts à accepter son autoritarisme. Il avait rendu du pouvoir d’achat aux Russes après les années Eltsine ainsi qu’une fierté d’être russe. Une grande partie de sa communication résidait sur le fait qu’il allait rendre le pouvoir en laissant la Russie bien plus haut que dans l’état dans lequel elle était lorsqu’il avait pris la tête du pays. Il vient d’effacer tout cela et de remettre en cause, y compris par rapport à l’intérêt national russe, toutes les conquêtes qu’il avait faites au cours de ses vingt dernières années.
Outre bien sûr les souffrances pour le peuple ukrainien, outre les inquiétudes dans le monde entier – je comprends tout cela –, cette guerre en Ukraine, du point de vue des Russes et de Poutine, est une erreur parce qu’elle va à l’encontre des objectifs qu’il s’est lui-même fixé.
Est-ce qu’il est irrationnel comme on l’entend souvent ? Est-ce qu’il est devenu fou en agitant jusqu’à la menace d’une guerre nucléaire ? Je crois qu’il est toujours rationnel mais que l’usure du pouvoir, son maintien au Kremlin pendant 22 ans sans contrepouvoir réel et l’isolement du fait du Covid-19 a fait qu’il n’a vu pratiquement personne, a conduit à un isolement intellectuel et psychologique. Il a fait une erreur de calcul monumentale, comme d’autres l’avaient fait dans le passé, à l’image de ses prédécesseurs soviétiques lorsqu’ils ont attaqué l’Afghanistan en 1979 ou lorsque les Américains ont lancé la guerre d’Irak en 2003. À chaque fois, on imaginait que ces interventions donneraient lieu à une victoire facile. Elles se sont finalement révélées être des catastrophes, évidemment pour le pays attaqué mais aussi pour le pays qui avait lancé l’offensive.
Désormais, l’Ukraine est viscéralement opposée à la Russie. Le but de Poutine était de rapprocher Kiev et Moscou. Ce pari, déjà largement entamé après l’annexion de la Crimée, où il avait « gagné la Crimée mais perdu l’Ukraine » est définitivement perdu. La Russie a perdu l’Ukraine, et pour plusieurs générations. Il y aura un sentiment antirusse très profond en Ukraine et c’est bien sûr contraire aux objectifs initiaux du président russe.
Il a également raté son objectif qui consistait à diviser l’Europe et fragiliser l’OTAN. L’OTAN ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui, la solidarité atlantique est plus forte que jamais. Les pays européens et les Etats-Unis pensent la même chose. Il n’y a plus de divisions entre Européens et il est probable que ces derniers augmentent de façon conséquente leurs dépenses militaires, y compris l’Allemagne. La Suède et la Finlande, des pays qui étaient neutres jusqu’ici, vont sans doute rejoindre l’OTAN. L’organisation s’est donc renforcée, ce qui est tout à fait contraire aux vœux de Poutine. En outre, les sanctions économiques, qui avaient été inefficaces jusqu’ici, peuvent par leur ampleur et par leur caractère global frapper beaucoup plus durement la Russie.
Puis, il y a aussi les pertes humaines. Si Poutine s’entête à vouloir conquérir l’Ukraine et à l’occuper, le nombre de morts ukrainiens, mais également russes, va augmenter. Même au sein d’un régime autoritaire comme celui qui existe en Russie aujourd’hui, la population accepte difficilement de voir ses enfants mourir à la guerre, surtout sur des théâtres extérieurs et encore moins lorsqu’il s’agit d’un pays dont elle se sent proche et avec lequel elle peut avoir des liens amicaux ou familiaux, comme c’est le cas de l’Ukraine. Ainsi, alors que la population russe est déjà hostile à la guerre, l’augmentation du nombre de morts aussi bien ukrainiens que russes ne pourra que faire monter cette hostilité.
Enfin, il y a le prix de l’isolement. Les Russes se sentent mis un peu au banc des nations sur les plans économique, politique, touristique et sportif. Toute la politique sportive sur laquelle Poutine avait beaucoup misé pour faire briller la Russie sur la scène internationale est remise en cause. Les Russes ont l’impression qu’ils appartiennent à un État paria et ceci va jouer. Même hors difficultés économiques, cet isolement va forcément peser sur le moral des Russes. Les oligarques ne vont pas beaucoup apprécier de voir leur fortune être attaquée suite aux sanctions. Donc, tant l’opinion russe que les oligarques risquent, à terme, de s’opposer à la politique de Poutine.
Poutine est dans une impasse militaire : soit la Russie se retire d’Ukraine et aura échoué, soit la présence russe est maintenue, et l’échec sera alors encore plus profond, tout en allongeant le nombre de morts. Il faut donc que Poutine trouve une porte de sortie et le plus tôt sera le mieux. Souhaitons qu’un cessez-le-feu survienne le plus rapidement possible pour mettre fin aux souffrances des populations. Ensuite, le temps de la négociation permettra peut-être de sortir de ce conflit.
En tous les cas, c’est finalement une grande partie de son capital politique aux yeux du peuple russe que Poutine est en train de dilapider. Bien qu’autoritaire et détesté en Occident, il pouvait jusqu’ici affirmer que la Russie était, grâce à son action, à nouveau respectée et avait retrouvé sa place de puissance sur la scène internationale. Elle ne l’est plus. Elle risque d’être encore plus affaiblie. C’est donc toute cette politique et cette communication de Poutine qui est atteinte par cette fantastique erreur de calcul qu’il a commise en attaquant l’Ukraine. Il s’agit d’une faute morale et contraire au droit international. Mais pire encore pour Poutine, qui est assez peu sensible à ces notions, c’est devant le peuple russe qu’il sera comptable de son action.