ANALYSES

Costa Rica : sur le thermomètre électoral latino-américain 

Tribune
14 février 2022


Le 6 février 2022 dernier les Costariciens votaient pour élire leurs prochain président de la République et députés. Démocratie tranquille qui voyait habituellement deux grands partis lutter lors de chaque élection, le pays a connu une forte abstention et un véritable basculement au niveau des résultats. Quelles sont les raisons d’un tel changement ? Le point avec Jean Jacques Kourliandsky, chercheur associé à l’IRIS.

Le 6 février 2022, 3 500 000 de Costariciens étaient invités à voter pour désigner un président de la République et 57 députés. Rien à signaler de particulièrement perturbant au terme de cette journée. Les 6767 bureaux de vote ont ouvert et fermé à l’heure fixée par la loi. Le Costa Rica, selon une formule transmise de guide touristique en précis de vulgarisation politique, ne serait-il pas la « Suisse de l’Amérique latine » ? Et qui plus est, une Suisse démocratique, doublée d’une Suisse « verte » ?

Les lieux communs ont toujours un fond de vérités. Pourtant cette fois-ci, bien des facteurs ont perturbé l’image d’Épinal, d’un pays à part. Le Costa Rica est-il encore cette Suisse tropicale tant vantée dans les dépliants à l’intention des amateurs de papillons et de colibris venus de latitudes nordiques ?

Le curriculum démocratique costaricien est exemplaire, atypique en Amériques latines. Le Costa Rica depuis bien longtemps respecte à la lettre le calendrier des votations. Il vit au rythme d’une démocratie sociale d’inspiration scandinave. En témoignent le système de protection sociale et la caisse nationale de soutien aux petits producteurs de café. Pacifiste, le pays a supprimé ses forces armées. Pendant des années un parti d’obédience réformiste, le PLN (Parti de la libération nationale) a disputé le pouvoir à un rival de sensibilité démocrate-chrétienne, le PUSC (Parti d’unité social-chrétienne).

De mandature en mandature, les choses ont suivi le pli prévisible, d’une démocratie tranquille. Mais le 6 février 2022, le rideau électoral s’est levé sur une scène inhabituelle. Beaucoup d’électeurs ont boudé les urnes. L’abstention a fait un bond inhabituel. Elle était de 34,3% en 2018. Elle a atteint 40% le 6 février 2022. Aux deux candidats, représentants les partis traditionnels, sont venus s’ajouter 23 autres aux profils partisans et religieux les plus divers. Il y aura un deuxième tour, le 3 avril prochain, les voix s’étant éparpillées entre les 25 postulants. Ce deuxième tour opposera José María Figueres Olsen représentant du PLN, à Rodrigo Alberto Chaves Robles, ancien fonctionnaire de la Banque mondiale, dont le parti était jusque là confidentiel. Le PPSD (Parti de progrès social-démocratique), son parti, fondé en 2018, n’avait aucun député. Le président élu le 3 avril n’aura pas de majorité parlementaire, qu’il soit PLN, ou PPSD. Le PLN a en effet obtenu 18 sièges sur 57 et le PPSD, 9. Enfin, facteur dissonant supplémentaire, les candidats du parti sortant, le PAC, (Parti d’action citoyenne) à la présidence de la République comme au Congrès, ont été sans exception tous battus à plate couture. Les postulants du PAC ont en effet obtenu moins de 1% des suffrages exprimés.

Qui a pu ainsi rayer un disque électoral qui paraissait si bien fonctionner ? Comment comprendre cette sortie de route d’un système politiquement durable, en apparence ? Un regard sur le contexte économique et social de cette consultation apportera peut-être quelque explication. A-t-il perpétué ses vertus sociales, et ses capacités productives ? Ou est-il lui aussi entré en phase de rendements décroissants ? Cette deuxième hypothèse a imposé ses aspérités et ses contraintes. Le fond de l’air économique déjà attiédi par la conjoncture internationale a été brutalement refroidi par la pandémie de Covid-19. Le pays, de 5 millions d’habitants, enregistrait fin janvier plus de 7000 personnes infectées par jour. Le tourisme, secteur devenu central, s’est affaissé. Les flux ont baissé de 60% en 2020. Et avec eux la croissance, qui a chuté en 2020 de 4,5%. Cette conjoncture défavorable a provoqué un choc social. À la fin 2021, plus de 23% des Costariciens vivaient sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage absolu était de 14,4%. Difficile dans un tel climat de ne pas voir là les raisons profondes du gondolement du système politique et électoral. Un sondage effectué par l’Université du Costa Rica, fin 2021, signalait que la population considérait que les préoccupations principales étaient le chômage (pour 32,8% des personnes interrogées), et le coût de la vie pour 19,6%[1].

Le 6 février 2022, le constat est là. Le Costa Rica a voté comme la plupart des autres pays d’Amérique latine convoqués aux urnes ces derniers mois. De consultation en consultation, les sortants sont remerciés. Ils l’ont été en Argentine, à deux reprises et en sens inverse, en Bolivie, au Chili, en Équateur, au Honduras, au Mexique, au Pérou, en République dominicaine, au Salvador, en Uruguay. Toutes choses laissant à penser qu’il peut en aller de même dans quelques mois en Colombie et au Brésil. Le Costa Rica comme ses voisins plus ou moins proches d’Amérique latine, est touché de plein fouet, économiquement et socialement. Les électeurs costariciens, comme Argentins, et autres, réagissent de façon identique, en sortant les sortants et les formations qui semblaient les mieux assises.

L’Amérique latine est bien comme on le lit ici et là, entrée dans un nouveau cycle, celui du dégagisme.

 

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[1] Sondage du CIEP (Centre de recherche et d’études politiques) de l’université du Costa Rica, publié le 1er septembre 2021
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