19.11.2024
« Les Américains veulent empocher l’Ukraine »
Presse
28 janvier 2022
Où en est le dossier ukrainien ?
L’élément concret c’est que les Russes ont proposé un projet de traité à l’Otan et les Américains une contre-proposition écrite. En premier lieu, le démarrage d’une négociation sur la réduction des forces conventionnelles. Un traité qu’on appelait FCE, suspendu puis dénoncé par les Russes, signé au moment où la Russie avait tout le bloc soviétique de son côté. Mais on n’a pas réussi à se mettre d’accord sur l’ajustement du traité à la nouvelle situation géographique en Europe. II y avait aussi un volet sur le désarmement nucléaire, soit une façon de revenir à la situation antérieure et un autre sur la renonciation de l’Otan à toute nouvelle adhésion, évidemment de l’Ukraine, et le retour à la situation qui prévalait avant 1997. De fait : pas de déploiement des forces de l’Otan dans les pays qui avaient adhéré par la suite. II était clair que celui-ci posait un problème car l’Otan ne pouvait s’abstenir d’examiner les demandes d’adhésions et ne pouvait créer une catégorie d’États de« deuxième classe », auxquels on aurait retiré toute capacité militaire.
La Russie a vraiment l’intention d’envahir l’Ukraine selon vous ?
Les critiques comme les laudateurs de Poutine disent qu’il dit toujours ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Et il a dit qu’il n’envahira pas l’Ukraine. Le pays n’est plus dans la même situation qu’en 2014,il s’est renforcé et a bénéficié d’une énorme coopération américaine et Occidentale, c’est bien ce qui pose problème aux Russes. L’Ukraine a mobilisé ses forces et il y a l’émergence d’un fort sentiment nationaliste. Si la Russie s’amusait à envahir l’Ukraine, ce serait une vraie guerre. J’ai plutôt l’impression qu’il y a des chances qu’une négociation s’engage, ni les uns, ni les autres ne prendront le risque d’engager un affrontement.
Quel est l’intérêt des États-Unis dans ce dossier ? Et de la Chine ?
Pour les États-Unis c’est qu’il n’y ait pas de guerre car dans ce cas-là, ça ouvrirait un deuxième front, alors que le principal actuellement c’est la Chine. Quant à la Chine, si elle s’est montrée extrêmement discrète sur l’annexion de la Crimée, maintenant elle soutient la Russie. Son intérêt est de l’avoir à ses côtés dans l’affrontement plus général, pas forcément militaire, mais qui est en cours avec les États-Unis. C’est d’ailleurs pour ça que ces derniers ne veulent pas de guerre. Les Américains veulent empocher l’Ukraine. Ce qu’il a d’intéressant dans la négociation, c’est que les Russes reconnaissent implicitement qu’ils ont perdu l’Ukraine mais demandent en échange des garanties de sécurité, ce qui se négocie.
N’est-il pas excessif de dire que nous sommes dans une guerre froide 2.0 ?
On y est depuis longtemps. II y a des différences, c’est que la Russie n’a plus une idéologie marxiste-léniniste, conquérante, désireuse de faire la révolution partout dans le monde et n’est pas porteuse d’une idéologie attrayante, anti impérialiste, décolonisatrice, émancipatrice des peuples, etc. Son projet aujourd’hui est de garder sa zone influence à ses frontières et marquer des points à l’extérieur mais il n’y a plus un projet global d’expansionnisme. Pour le reste, tous les symptômes sont là : roulements de tambours, menaces, prises de gages à l’extérieur. Nous sommes en pleine Guerre froide d’un nouveau genre. La différence également c’est que s’il devait en avoir une vraie, ce serait entre les États-Unis et la Chine.
On parle aussi beaucoup de sanctions, pour quels effets ?
On a quasiment fait le plein. Ces sanctions ont été extrêmement nuisibles à l’UE, qui a vu ses flux commerciaux diminuer de moitié, et pas aux États-Unis qui, paradoxalement, ont maintenu leur part de marché en Russie. Mais elles n’ont pas fait bouger d’un iota la politique russe, qui est claire de puis très longtemps.
L’UE est-elle impuissante ?
Après la rencontre Biden-Poutine du printemps dernier, devant le Conseil européen Macron et Merkel ont dit « il faut que l’Europe prenne son destin entre ses mains » et mis à l’ordre du jour la réouverture d’un dialogue stratégique avec Moscou. Ils se sont confrontés à un noyau dur d’États qui estiment que les questions sécuritaires sont du ressort des États-Unis et de l’Otan. On est dans cette configuration-là. Les Américains l’ont compris donc ils prennent soin de consulter ces pays là pour resserrer le bloc occidental.
Mais il est clair que ce sont eux les maîtres du jeu.
Entretien réalisé par Laureen Piddiu pour La Marseillaise.