17.12.2024
« Il faudrait parler de Fork to Farm »
Presse
20 janvier 2022
L’agriculture et l’alimentation sont totalement au cœur de ce triptyque et elles ont prouvé lors de la crise du Covid qu’elles étaient deux acteurs indispensables de la sauvegarde de la croissance économique et la résilience de la société. Les Français et les Européens n’ont pas eu, contrairement à d’autres pays, à souffrir de pénuries alimentaires ou de famines. Elles doivent cette résilience à la Politique agricole commune (PAC) dont j’ai l’habitude de dire qu’elle a été conçue et appliquée pour les consommateurs, avant de l’être pour les agriculteurs. Elle détient d’ailleurs une dimension éminemment sociale dans la mesure où elle fournit aux Européens des produits sains, de qualité, en quantité et à des prix bas. Les objectifs européens que constituent le Green Deal, Biodiversité 2030, Farm to Fork nourrissent aussi la dimension “puissance” de l’agriculture et de l’alimentation. A ce sujet, le verdissement de l’agriculture n’est pas nouveau. Il a été introduit dans les années 90 dans la PAC et se renforce aujourd’hui à la faveur de la nouvelle donne climatique.
Le verdissement peut-il constituer un frein à cette stratégie ?
L’Trial européenne inscrit ses politiques publiques dans un contexte de changement climatique. Le choix est éminemment politique. Cependant elle ne doit pas oublier de maintenir sa stratégie géopolitique, en termes d’influences, de parts de marchés. Or chacun perçoit aujourd’hui une sorte de dissonance sur le dossier agricole entre le Green Deal et la dimension écostratégique de l’Union européenne. Elle pourrait commettre une erreur en accentuant le volet environnemental et en délaissant la géopolitique agricole, alors même que d’autres pays ont compris l’intérêt de développer leur secteur agricole. Autrement dit, et de manière métaphorique, l’Europe ne doit pas devenir herbivore dans un monde carnivore. Car la relance agricole est une réalité mondiale depuis une quinzaine d’années. L’Europe ne doit pas être naïve sur ce sujet. 27 lapins ne mangeront jamais un tigre. C’est pourquoi le duopole Green Deal/géopolitique de l’Europe doit rester cohérent.
Quel pays ou continent faut-il craindre dans les années à venir pour concurrencer l’UE ? La Chine ? la Russie ?
Ce n’est pas tout à fait en ces termes que la problématique de puissance se pose. Si l’objectif de l’Union européenne est de rester unie et mobilisée, elle doit alors s’appuyer sur le duopole constitué du Green Deal et de sa stratégie géopolitique, car il est possible de concilier les deux. Privilégier l’un par rapport à l’autre donne, à l’extérieur, le sentiment que l’Europe est tentée de vivre repliée sur elle-même, qu’elle devient égoïste. Il est important que l’Union européenne préserve et développe ses coopérations et ses échanges dans les domaines scientifiques, culturels, etc. C’est notamment l’un des enjeux des clauses miroirs. Cette bataille est loin d’être gagnée. Si ce sujet est intellectuellement très intéressant et permet de donner un objectif, encore faut-il être en mesure de l’appliquer sur un plan technique. Autrement dit qui va faire quoi en termes de réglementation, d’application de ces réglementations, de contrôle, de sanction que ce soit dans les pays concernés mais aussi aux frontières… ? Le sujet est certes important mais complexe. Il faut aussi que l’Europe qui porte cette mesure sur le champ environnemental ou du bien-être animal se méfie de la riposte de ces concurrents. Ceux-ci pourraient très bien être en mesure d’appliquer, en représailles, leurs propres critères.
Quel regard portez-vous sur la réforme de la PAC et le PSN français ?
Je n’ai pas eu l’occasion de consulter le document. Cependant, ce qui m’interpelle c’est cette notion de subsidiarité de la PAC qui se renforce et qui donne à l’extérieur de l’Europe, le sentiment d’une “constellation” de la politique européenne, celle d’une Europe et d’une agriculture fragmentées. Le risque que la concurrence intraeuropéenne puisse se développer est réel. Je rappelle que la France a perdu de nombreuses parts de marché au sein de l’Union européenne. Un seul exemple : le poulet polonais concurrence plus le poulet français que le poulet brésilien.
Avez-vous commencé à vous pencher sur les programmes politiques des principaux candidats à l’élection présidentielle ? Si oui quels premiers enseignements généraux en retirez-vous ? Si non, pourquoi ?
Pour beaucoup de candidats, le sujet principal qui s’inspire des choix des citoyens est l’alimentation dans ses aspects de sécurité alimentaire, de durabilité de production, d’accessibilité, de circuits-courts, d’origine etc. C’est d’ailleurs l’une des missions duelles qui est assignée à l’agriculture : nourrir et réparer la planète. Tout un chacun pense que c’est une tâche facile pour les agriculteurs. Or c’est bien le système alimentaire, à travers la PAC, qui dicte sa loi : car c’est au monde agricole (et rural) de s’adapter à ce modèle, aux attentes sociétales. Au point qu’il ne faudrait pas parler de Farm to Fork mais plutôt de Fork to Farm, même si l’agriculture reste au cœur de nombreux défis contemporains : développement rural, énergie, etc. Je reste toujours surpris par la méconnaissance et l’incompréhension de nos politiques sur ce que j’appelle le choc de temporalité. L’agenda politique et sociétal est basé sur un temps court, rapide. L’agenda agricole est, quant à lui, fonction d’un temps plus long. Il est étonnant et même surprenant qu’on laisse le temps au secteur automobile de s’adapter, sans contrainte particulière à la fin des moteurs thermiques d’ici 2040 et que l’on presse le monde agricole de lever tout un tas d’obstacles (Biodiversité, dérèglement climatique, fin des intrants, etc…) en un temps presque record !
L’an dernier le Demeter 2021 s’était focalisé sur « produire et se nourrir : le défi quotidien d’un monde déboussolé ». Quel est l’angle de votre prochain ouvrage Déméter 2022 ?
Il aura pour titre « Alimentation : les nouvelles frontières ». Il sera dévoilé le 10 février prochain et traitera, comme d’habitude, de nombreux sujets notamment du futur de l’alimentation à l’heure de l’anthropocène, des faces cachées des normes dans l’alimentation et à la manière de bien se nourrir pour bien vieillir. Au total, une dizaine de chapitres seront consacrés à l’alimentation. D’autres articles traiteront des agroéquipements du futur, du retour du rail et du ferroviaire, du beurre, de l’émergence de nouveaux fonds d’investissements dans les secteurs agricoles et alimentaires. Les nombreux contributeurs ont développé des thèmes comme les start-up africaines portées par des agricultrices et des entrepreneuses de l’agroalimentaire ; la réforme inévitable dans l’éducation alimentaire en Amérique latine ou encore la manière de se nourrir en territoire difficile. Un thème qui concerne les réfugiés, la France insulaire (notamment Mayotte) et les franges urbaines.
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Entretien mené par Christophe Dubois pour ActuAgri