13.12.2024
Sahel : sombres perspectives pour 2022
Presse
15 janvier 2022
L’année 2021 a ainsi vu plusieurs transformations importantes : l’annonce de la « fin de Barkhane » en faveur d’un nouveau dispositif plus réduit ; la montée d’un sentiment d’hostilité à l’égard de la politique française ; et enfin, la multiplication d’accords locaux avec des groupes djihadistes affiliés au JNIM — au Mali comme au Burkina Faso — ainsi que la relance d’une possible négociation au niveau national malien.
Par ailleurs, l’accord d’Alger censé assurer la paix et la réconciliation au Mali — tout au moins avec les groupes armés ex-séparatistes dans le Nord — n’a pas connu de déblocage et reste menacé de pourrissement avec les risques sécuritaires et d’intégrité territoriale que cela représente. Les groupes armés signataires ont constitué une sorte d’armée parallèle dans la région de Kidal, dominée par la CMA (coordination des mouvements de l’Azawad), soupçonnée de connivence avec les djihadistes. Les mouvements armés signataires ex-rebelles et loyalistes se sont rapprochés en septembre 2021 pour former ensemble le « Cadre stratégique permanent », CSP, dominé par des nomades Touaregs et Arabes et où les communautés majoritaires du septentrion malien (Songhaïs, Peuls, Bellahs) sont peu représentées.
La poursuite de l’insécurité
Malgré les actions militaires pour combattre les différents groupes djihadistes (2), le Sahel a poursuivi en 2021 sa trajectoire de descente aux enfers. Selon l’ACLED (3), sur la période allant du 01/01/2020 au 11/06/2021, le nombre de morts (civils et militaires) par attaques terroristes aurait été de 873 au Mali, 750 au Burkina Faso et 676 au Niger. Cela sans compter les victimes civiles des exactions des forces armées locales. En effet, selon la MINUSMA (4) en 2020, les forces armées maliennes auraient tué plus de civils que les djihadistes.
Les causes de cette violence sont multiples : difficile restauration de l’autorité et de la légitimité des États sur l’ensemble de leurs territoires ; multiplication des conflits inter et intracommunautaires non arbitrés et aggravés par la circulation d’armes légères ; absence de perspective d’intégration pour la jeunesse rurale. Parallèlement, les inégalités, le chômage, la pression démographique, la détérioration des sols et le changement climatique obstruent l’avenir de la jeunesse locale, alimentent les foyers de recrutement des extrémistes violents, appuyés par les menaces terroristes à l’égard de ceux qui résisteraient à l’appel du djihad. Les djihadistes et autres groupes armés (ex-séparatistes, milices d’auto-défense, bandits divers) disposent par ailleurs de ressources financières, provenant de rançons, de divers trafics ou de l’orpaillage, qui leur permettent de payer et d’équiper leurs combattants. Les groupes affiliés au JNIM recevraient ainsi une aide ponctuelle d’Al-Qaïda, et il en est de même pour ceux de l’EIGS via Daech. Les djihadistes ont une connaissance fine de la sociologie locale et instrumentalisent les conflits locaux entre pasteurs semi-nomades et agriculteurs, ou encore entre Peuls descendants d’esclaves (les rimaïbés) et Peuls nobles pour assurer leur propagande salafiste, leur domination et leur mobilité. Ils peuvent ainsi assurer localement des services de justice et de sécurité aux populations taxées de la zakât ou impôt islamique.
On peut même se demander si l’émirat islamique revendiqué par les djihadistes n’est pas devenu une alternative crédible à un modèle d’État — ressenti comme imposé par les Occidentaux et en particulier par l’ancienne puissance coloniale — considéré comme dysfonctionnel et accusé d’abandonner les populations. La justice formelle d’importation est aussi moins efficace que l’application rapide de la charia pénale, préférée à l’impunité. Cette perception reflèterait peut-être la fin d’un cycle historique, avec la volonté de se réapproprier l’espace local sur une base endogène, même violente et coercitive.
La poursuite de l’effort militaire français de l’opération « Barkhane », malgré des coups sévères portés à de nombreux chefs djihadistes, ainsi que les initiatives régionales comme la force conjointe du G5 Sahel, les formations militaires données par l’Union européenne (EUTM) ou encore le saupoudrage de l’aide au développement ou même l’Accord d’Alger de 2015 « pour la paix et la réconciliation au Mali » n’ont en tout cas pas abouti aux résultats escomptés. Néanmoins, la réponse militaire s’est progressivement enrichie au fil des sommets des chefs d’État du G5 Sahel, pour envisager une réponse multidimensionnelle (écoute et besoins des populations, services publics de proximité, gouvernance, transition démographique) en vue de traiter la diversité des situations socio-économiques et socio-politiques. Malheureusement, cette prise de conscience, suivie d’annonces locales et d’injonctions occidentales (principalement françaises), ne se traduit clairement pas dans les faits et sur le terrain. Celui-ci reste largement incontrôlé, essentiellement parce que les États sahéliens sont faibles, sans ressources, démunis et dysfonctionnels.
La transformation du dispositif militaire
Le 10 juin 2021, le président français Emmanuel Macron a annoncé des modifications du dispositif militaire français au Sahel et a évoqué la fin de l’opération « Barkhane », tout en précisant : « Cette transformation se traduira par un changement de modèle ».
Dans cette perspective, les 5100 soldats français présents au Sahel seront ramenés à 3000 d’ici 2023. Les Français se retirent des bases militaires du Nord du Mali à Tessalit, Kidal et Tombouctou, dès octobre 2021 pour Kidal. L’ensemble des forces sont redéployées principalement vers la base de Gao au Mali et la base aérienne 101 de Niamey au Niger, sur la zone dite des Trois Frontières (Mali-Burkina-Niger), où le groupe EIGS est le plus actif.
Il n’y a donc pas de fin de « Barkhane » — une annonce ambigüe qui a suscité certains malentendus — mais un changement du dispositif pour se rapprocher des armées locales et pour faire venir d’autres partenaires européens (actuellement 600 militaires) dans la force Takuba, ensemble de forces spéciales appuyant plus directement les armées locales afin de se concentrer sur la montée en puissance des armées africaines. Mais cette transformation utile est arrivée un peu tardivement. D’une part car l’action militaire étrangère atteint ses limites et aussi parce que le drapeau européen aurait été plus facilement accepté que celui de l’ancien colonisateur. Mais il reste important que « Barkhane » évolue et apparaisse en appui, en mettant en avant les armées locales. Une certaine hybridation entre les militaires français et les armées locales apparait aujourd’hui nécessaire pour éviter un rejet croissant de « Barkhane ».
Un rejet de la politique française au Sahel
Ce sentiment demeure néanmoins différent d’un pays à l’autre de la région :
• Au Mali, la crise était latente depuis plusieurs années, mais s’est aggravée depuis le second coup d’État des Colonels (mai 2021) et les décisions du président Macron sur la réorganisation de « Barkhane ».
En effet, il y avait déjà un problème d’acceptation et de compréhension du dispositif militaire français. L’approche française était avant tout technique et sécuritaire, au détriment de l’aspect politique et donc d’une perception positive par les populations locales et par les autorités des pays du Sahel. Lorsqu’un dispositif militaire étranger, de surcroît venant de l’ancienne puissance coloniale, se maintient près de dix ans, la perception négative s’accroit, le retour de l’armée ex-coloniale étant perçu en soi comme une humiliation.
D’autre part, la population n’a pas compris que l’armée française, avec ses moyens techniques, ne parvienne pas à éliminer l’insécurité comme l’avait pourtant annoncé le président Hollande en visite au Mali en 2014. À cela s’est rajoutée une communication probablement mal adaptée de la part de la France.
En outre, une erreur initiale a pesé lourdement. En 2013, l’opération « Serval » a soutenu le mouvement touareg séparatiste du MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad) à Kidal, non pas pour soutenir le séparatisme, mais parce que les autorités françaises croyaient que ces rebelles pouvaient aider à combattre les djihadistes. Cette mauvaise prise en compte du contexte politique local a donc hérissé l’opinion publique au nom de la violation de la souveraineté nationale.
Depuis, l’incompréhension a tourné à l’hostilité à l’égard de la politique française dans des franges importantes de la population, à laquelle font écho les accusations publiques du Premier ministre malien Choguel Maïga à la tribune des Nations Unies (25 septembre 2021). Il a ainsi accusé la France « d’abandon en plein vol », de « décisions unilatérales » et a par ailleurs suggéré une duplicité française à Kidal.
Les autorités maliennes ont depuis approché Moscou pour rechercher une alternative à Paris. Mais la Russie ne souhaite apparemment pas s’embourber au Mali et a recommandé ses mercenaires de la société privée Wagner. Cette possibilité présenterait néanmoins un coût financier et diplomatique très élevé pour Bamako, ces mercenaires étant rejetés par les partenaires du Mali. De plus, le résultat n’est pas garanti, comme on a pu le constater en Libye, où 1200 mercenaires russes n’ont pas réussi à donner la victoire au maréchal Haftar dans son offensive contre Tripoli au printemps 2021.
• Au Burkina Faso, la sensibilité est identique, mais n’est pas exprimée d’une façon officielle. Le président Kaboré avait cependant critiqué l’invitation au sommet de Pau [en décembre 2019, consacré à la lutte contre le terrorisme et à la présence militaire française au Sahel] et son ancien ministre de la Défense avait même accusé, en public, « Barkhane » d’être complice des djihadistes. Comme au Mali, la politique étrangère française est ressentie comme empiétant sur la souveraineté nationale, mais les autorités savent qu’elles ont besoin de « Barkhane », sans qui les djihadistes pourraient imposer leur victoire. En outre, il y a au Burkina Faso, l’héritage populaire et anti-impérialiste de Thomas Sankara et la présence de « Barkhane » froisse clairement ce sankarisme.
• Au Niger, les relations sont sans ombrage avec les autorités et le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum (ancien professeur de philosophie). Mais le pays, pratiquement le plus démuni de la planète, est confronté à d’immenses défis. Le chef d’État, avisé et énergique, appartient à une minorité arabe du pays et a failli être renversé par un coup d’État juste après son élection en février 2021. Une partie de la population nigérienne est contaminée par un salafisme assez radical. Le Niger avait été le seul pays du Sahel à connaitre des émeutes violentes contre les églises et les commerces tenus par des chrétiens, causant cinq morts, lors de la publication des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo en 2015. Par ailleurs, c’est un pays vaste et pauvre, qui est menacé sur cinq de ses sept frontières, avec la présence de quatre principaux groupes : JNIM, EIGS, ISWAP et Boko Haram.
• Au Tchad, le ressentiment anti-français est moins perceptible. En effet, le pays est dominé, comme en Mauritanie, par un régime militaire depuis des décennies. Si ce sont les ethnies minoritaires et guerrières du Nord qui sont au pouvoir à N’Djamena, il y a toujours le risque qu’un autre groupe armé rival du Nord cherche à remplacer ceux qui détiennent le pouvoir. De son côté, la population sudiste n’a guère la possibilité de participer et de s’exprimer. Le général Mahamat Deby, fils de l’ancien président Idriss Deby et nouveau président du Tchad depuis avril 2021, doit d’abord assurer son autorité sur l’ensemble du pays depuis la mort de son père, tué lors d’affrontements avec un groupe rebelle. L’armée tchadienne a été la seule armée qui avait accompagné fortement « Serval » en 2013 et reste un allié solide de la France.
• En Mauritanie, les autorités ont réussi à empêcher le développement de l’insécurité sur leur territoire par un contrôle efficace du terrain et des islamistes radicalisés.
La négociation : une voie prometteuse ?
Au niveau local, par la force des choses, des négociations se sont imposées entre certaines milices communautaires et des djihadistes affiliés au JNIM, au Mali comme au Burkina Faso. Ceci a commencé dans le centre du Mali, région de Ségou et cercle de Niono, en octobre 2020, par des blocus de villes : Kourmari et Farabougou. Les djihadistes de la katiba Macina (relevant d’Amadou Koufa) ont accepté de lever le siège et d’arrêter leurs tueries par un accord de cessez-le-feu en mars 2021, puis un accord de paix en avril s’appliquant à douze municipalités et y imposant la charia, après la médiation du Haut Conseil Islamique du Mali. Il s’agit d’un accord fragile ayant connu une résurgence du conflit depuis juillet 2021. Au Burkina Faso, un processus semblable a commencé en novembre 2020 avec le blocus de la ville de Djibo dans le Nord (province du Soum). Une trêve a été observée entre l’armée nationale et les djihadistes pendant l’élection présidentielle de novembre 2020 à février 2021. Des zones ont été laissées sous contrôle djihadiste (Mansila dans le Nord-Est). Dans des localités dominées par l’EIGS, des amputations de mains et de pieds sur des voleurs présumés ont été constatées à Tin-Hama au Mali et Deou au Burkina-Faso (source ACLED).
Au niveau national, la question est en suspens. Au Mali, en raison de l’impasse de la solution militaire, de la lassitude de la population confrontée à l’insécurité, l’idée se répand que le djihadisme ne serait au fond qu’un problème local, politique ou religieux à régler par la palabre entre « frères Maliens » et sans ingérence étrangère. Mais, malgré deux forums nationaux (5) demandant de négocier avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, ceci n’a pu être lancé officiellement, en dehors de la négociation ponctuelle d’octobre 2020 qui a permis d’échanger 4 otages (6) contre 200 djihadistes emprisonnés, plus une rançon payée. Une annonce apparemment officielle chargeant le Haut Conseil Islamique du Mali de négocier avec Iyad et Koufa, en octobre 2021, a été démentie peu après. On peut comprendre facilement ce nouveau rétropédalage (7). Il suffit en effet de mesurer les conséquences d’un éventuel accord avec les djihadistes du JNIM, car si Iyad en serait probablement demandeur, cela l’obligerait à rompre avec AQMI, dont il devrait alors se protéger. AQMI, dominé par des djihadistes algériens, et même affaibli par une série de revers militaires, ne pourrait qu’être opposé à un compromis contraire à sa raison d’être, sauf naturellement si ce compromis est en fait une capitulation pour Bamako. En cas de véritable compromis, le djihad local devrait alors rompre avec le djihad global d’Al-Qaïda. Iyad demanderait, au moins pour la forme, que la charia (dont les modalités peuvent varier) s’applique sur l’ensemble du Mali.
Mais il rechercherait surtout le leadership pour lui sur tout le septentrion malien (le pseudo Azawad). Il pourrait peut-être accepter une solution moins ambitieuse lui permettant d’entériner sa domination féodale sur la région de Kidal, dont il ferait une enclave autonome où la démocratie ne serait qu’un simulacre. Dans ce cas, le pouvoir de Iyad ne dépasserait probablement pas ses affidés Ifoghas et la région. Les plus importants groupes armés signataires de l’accord d’Alger, originaires de Kidal, non djihadistes mais d’inclination islamiste, se rallieraient, tandis que les autres signataires, notamment issus des tribus non Ifoghas et non Idnanes (8), seraient obligés de se soumettre, selon le principe « baise la main que tu ne peux pas couper ». On observerait alors peut-être un déblocage de l’accord d’Alger, avec des élections régionales sous contrôle des groupes armés, mais au profit d’un ou de plusieurs émirats islamistes pour les cinq régions du Nord. Les candidats à la présidence des régions, élus au suffrage universel direct selon l’accord d’Alger, seraient en effet désignés par les mouvements djihadistes. Il est néanmoins prévisible que cette solution ressemblerait à un démembrement difficilement acceptable du Mali, et que Bamako chercherait militairement à reprendre le contrôle de Kidal dès que possible, le cas échéant avec des mercenaires russes de la société Wagner.
La nécessité d’une approche globale
Par ailleurs, une partie importante des combattants actuels du JNIM, notamment ceux ralliés au leader peul Amadou Koufa et à Al Morabitoun ne pourraient sans doute renoncer aux armes que si un accord leur offrait d’importantes gratifications à travers un nouveau processus de désarmement-réinsertion à financer par la communauté internationale (9). Une majorité de djihadistes sont des jeunes désœuvrés dont l’insurrection a des causes d’abord économiques et sociales telles que l’accès au foncier, la concurrence non régulée entre pasteurs et agriculteurs, la gestion de l’eau ou le chômage. Ils n’ont rejoint les groupes armés que faute d’autre perspective. Mais comment offrir à ces jeunes analphabètes une insertion et des projets ? Comment assurer la loi et l’ordre alors que l’État est absent et perçu comme un adversaire ? Le réalisme oblige à admettre que les racines de l’extrémisme violent ne seraient guère traitées par la négociation avec les djihadistes, même en voulant refaire un nouvel accord généreux pour tous les ex-combattants sur le modèle de l’accord d’Alger, dont on a d’ailleurs pu constater le blocage.
En outre, le JNIM n’est qu’une coalition de groupes assez autonomes poursuivant des buts divers avec des moyens différents. Ainsi l’imam Amadou Koufa a une conception de l’islam particulièrement radicale et n’hésite pas à attaquer des civils pour environ le tiers de ses attaques (soit 78 % des attaques du JNIM contre des civils). Iyad est plus pragmatique et politique, plus respectueux des populations. Il serait peut-être plus difficile d’amadouer Koufa que Iyad, qui a déjà signé des accords avec le gouvernement en 1992 et avait repris une vie civile.
Le processus devrait être complété par la recherche de compromis et de gratifications auprès de tous les chefs intermédiaires et combattants des milices Dozos (bambaras) et Dan Na Ambassagou (Dogons) qui pourraient s’y prêter, par des contacts au plus près des communautés locales et villageoises. Une proximité de l’État malien serait certainement bénéfique, mais encore faudrait-il que Bamako puisse offrir à ces personnes, généralement illettrées, des services et des perspectives d’emplois ou des avantages matériels. Un tel programme n’a encore pas été mis sur pied et nécessiterait un fort accompagnement de la communauté des donneurs, qui n’irait pas de soi, compte tenu de la réticence française actuelle au dialogue avec les extrémistes.
L’EIGS (État islamique au Grand Sahara), rejetant catégoriquement tout dialogue, attirerait à lui tous les mécontents qui, pour des raisons idéologique ou matérielles, s’écarteraient d’un processus initié entre le gouvernement et Iyad. La paix ne serait donc nullement assurée.
Enfin, le départ partiel ou total des forces étrangères, en particulier de la force française Barkhane, sans doute incontournable dans la négociation, créerait un blocage ou bien une opportunité particulièrement propice aux groupes extrémistes (notamment l’EIGS) que l’armée malienne seule ne serait plus en mesure de contenir. C’est pourquoi Bamako n’envisage la possibilité d’un dialogue avec Iyad qu’avec beaucoup d’hésitations et tergiversations.
Pour ces différentes raisons, la négociation évoquée ne saurait être une panacée. Au mieux, elle diviserait un peu plus la nébuleuse djihadiste en y provoquant davantage de combats internes. Il serait toutefois nécessaire que Bamako conserve les moyens militaires de se protéger. La négociation pourrait néanmoins présenter l’avantage de mieux faire comprendre à une opinion publique décontenancée les véritables enjeux du conflit interne au Mali. Au pire, elle compliquerait encore le statut de Kidal sans aucunement améliorer la situation (ni celle du Burkina Faso et du Niger) ou même accélérerait le délitement du pays. Mais Bamako mesure ces risques et les autorités maliennes de la transition sont conscientes qu’une solution véritable ne peut être que globale, en traitant les dysfonctionnements économiques, sociaux et de gouvernance qui sont à la racine des insurrections locales et du djihadisme. Cela, tout en gardant un volet militaire et policier incontournable pour tenter d’assurer le respect de la loi et de l’ordre dans les territoires.
La question des milices
Le Burkina Faso, parce qu’il est moins étendu que le Mali, ressent encore plus fortement et directement la menace sécuritaire au niveau gouvernemental et donc la nécessité de trouver un apaisement ou un arrangement quel qu’il soit, compte tenu de la fragilité locale. La lutte contre les terroristes a été ainsi largement déléguée à de nombreuse milices supplétives, d’abord tolérées et appelées « koglweogos », puis officialisées depuis 2020 par une loi créant des « Volontaires pour la défense de la patrie » ou VDP (en principe formés et armés par l’armée burkinabée). Ceci n’est pas sans problèmes : des régions entières ont été abandonnées par l’armée (bases militaires fermées dans la province de Soum à Baraboule, Tongomayel, Nassombou) et les VDP sont largement hors contrôle. Or ils sont essentiellement composés de civils appartenant à quelques ethnies sédentaires : Mossis, Foulse et Gourmantche, opposées aux pasteurs peuls, ce qui aggrave la déchirure du tissu national. Mais, par ce moyen, le régime du président Roch Kaboré, réélu au premier tour en novembre 2020 pour un deuxième mandat — et qui a déjà limogé ses ministres de la Défense et de la Sécurité en juin 2021 à cause de la dégradation sécuritaire —, évite au moins que ses militaires et forces de l’ordre soient directement tués en grand nombre par les djihadistes. Cela présenterait un risque pour la stabilité du régime et pourrait peut-être encourager un coup d’État militaire. La pire attaque a concerné cependant les civils avec 160 morts dans le village de Solhan en juin 2021. Près de 1,5 million de personnes sont aujourd’hui déplacées au Burkina Faso, dont 53 % d’âge scolaire. 2244 écoles sont fermées, affectant 304 564 élèves.
Au Mali, des milices communautaires existent aussi, comme les Dozos et le groupe dogon Dan Na Ambassagou, mais le gouvernement, conscient des risques d’exactions intercommunautaires, ne les encourage pas, sans les réprimer toutefois. Au Niger, les populations ayant tenté de résister aux djihadistes ont fait l’objet de massacres de masses, ce qui a également suscité des milices d’autodéfense dans les communautés djerma, touareg et arabe, dans 16 municipalités selon ACLED.
Au total, les perspectives demeurent sombres pour l’année à venir. Mais une meilleure entente entre les autorités sahéliennes, en particulier maliennes, et leurs principaux partenaires, notamment la France, et une meilleure compréhension par ces derniers de la complexité du contexte local et de la nécessité d’apporter des solutions plus performantes, par exemple en renforçant directement les fonctions régaliennes des États sahéliens, à commencer par les forces de sécurité, mais aussi les services publics locaux, serait de nature à stabiliser au moins la situation.
Publié dans Areion24news.
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Notes
(1) Jean-Pierre Olivier de Sardan.
(2) Au moins 847 djihadistes ont été tués par Barkhane entre août 2014 et octobre 2021 selon la base de données JTIC.
(3) https://acleddata.com/#/dashboard
(4) Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali.
(5) Conférence d’entente nationale en 2017 et dialogue national inclusif en 2019.
(6) Dont la Française Sophie Pétronin, captive depuis 4 ans.
(7) Ce n’était pas la première tentative : l’imam Dicko avait déjà été chargé brièvement, en 2019, de la même mission par le Premier ministre du président IBK.
(8) Touaregs Imghads et Daoussaks, Arabes, Songhaïs…
(9) En plus de 13 000 combattants des groupes signataires de l’accord d’Alger que Bamako a promis de réinsérer avant fin 2022.