ANALYSES

Bosnie-Herzégovine : quels scénarios face à la montée des séparatistes ?

Interview
13 janvier 2022
Le point de vue de Henry Zipper de Fabiani


Le 9 janvier ont été célébrés les trente ans de la République serbe de Bosnie en présence de nationalistes russes et européens, et avec Milorad Dodik pour chef d’orchestre, actuellement membre de la présidence tripartite bosnienne. Rappelant le triste passé d’un pays qui a vu s’affronter ses différentes communautés, certains craignent un retour des violences. Jusqu’où peut aller le séparatisme de la Republika Serbska dans ses ambitions ? Quelles conséquences pour les Balkans ? Le point avec Henry Zipper de Fabiani, chercheur associé à l’IRIS, ancien diplomate.

Pourquoi la teneur de cette célébration du 9 janvier inquiète-t-elle ?

On ne peut qu’être inquiet d’un symptôme d’immobilisme et même de rétrogradation : la Bosnie-Herzégovine a besoin de se tourner vers l’avenir, non vers le passé, de réconciliation et non d’exacerbation des antagonismes. La sinistre évocation d’un des épisodes ayant conduit voilà trente ans à la guerre et au siège de Sarajevo ne peut être prise à la légère, en dépit des accoutrements grotesques de milices attirant des pêcheurs en eaux troubles venus de Russie ou d’ailleurs.

Surtout, cette célébration est affligeante en soi car elle démontre à quel point une grande partie de la classe dirigeante de Bosnie-Herzégovine se refuse à construire un pays conforme à l’état de droit, au service du bien-être de la population. Milorad Dodik est un exemple poussé jusqu’à la caricature de l’intérêt personnel et de la corruption. Un État fonctionnel ne l’intéresse pas, bien au contraire : alors qu’il est membre de la présidence collégiale de la République de Bosnie-Herzégovine, il ne vise qu’à affaiblir l’État central. Le plus inquiétant, c’est que la Republika Serbska (RS) affiche un objectif de démantèlement de certains progrès obtenus depuis les accords de Dayton, notamment la création d’une armée républicaine de Bosnie-Herzégovine et la disparition des armées des entités.

Engagés dans un bras de fer avec les institutions centrales de Bosnie-Herzégovine, les nationalistes serbes peuvent-ils aboutir à leur ambition de réunification avec la Serbie ? Avec quelles conséquences ?

Il convient de ne pas confondre une tentation de séparatisme de la Republika Serbska avec une éventuelle unification des Serbes de Bosnie-Herzégovine avec ceux de Serbie. La seconde option ne serait pas dans l’intérêt de la Serbie, candidate sérieuse à l’entrée dans l’Union européenne, avec laquelle la France entretient un dialogue continu. En a témoigné encore récemment la visite à Paris de son ministre des Affaires étrangères, à la mi-décembre. M. Le Drian a salué à cette occasion l’ouverture d’un bloc de chapitres en vue de la préparation à l’adhésion (Agenda Vert et connectivité) : quel avantage trouverait Belgrade à saper ce processus en s’acoquinant avec des politiciens nationalistes de Banja Luka ?

Il n’y a pas non plus de raison sérieuse de croire en la faisabilité d’un scénario de pur séparatisme qui reviendrait à faire imploser la Bosnie-Herzégovine. L’intégrité et la souveraineté de celle-ci restent garanties par les Accords de Dayton, signés par les trois pays concernés (Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie) et les deux entités formant la Bosnie-Herzégovine, avec pour témoins la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Union européenne, les États-Unis, la Russie, et une sanction du Conseil de Sécurité des Nations unies. Même réduite à une présence symbolique, la force européenne (EUFOR) conserve un effet dissuasif. Les mouvements nationalistes locaux, tout comme des manœuvres troubles liées à des puissances extérieures aux Balkans, peuvent continuer d’exploiter les aberrations découlant de Dayton, ces accords demeurent un rempart contre toute dérive extrême.

Les États-Unis viennent de sanctionner Milorad Dodik car il menacerait la stabilité de la région. Ces sanctions sont-elles suffisantes ? Peut-on s’attendre à une réaction de la Russie, soutien de Dodik ? Plus largement, ces démonstrations de force inquiètent-elles ladite communauté internationale, et l’Europe en particulier ?

Des sanctions de l’Union européenne ne peuvent être exclues. Elles pourraient être dissuasives à condition de viser les dirigeants corrompus dont les richesses sont la manifestation d’une cleptocratie dont souffrent les populations. Par ailleurs, des puissances extérieures aux Balkans occidentaux continueront de tenter d’exploiter la situation : la Russie, mais aussi la Turquie ou la Chine.

Avec ses partenaires de l’Union européenne, la France a choisi de poursuivre une approche méthodique et constructive visant à mieux structurer le cheminement des six pays des Balkans occidentaux dans leur rapprochement avec l’Europe. Cette démarche est exigeante pour chacun d’entre eux. Elle insiste aussi sur la coopération intrarégionale. La conférence organisée sous présidence française, en juin 2022, doit apporter des perspectives plus stimulantes que des sanctions.

Cela étant, on ne doit pas sous-estimer la capacité de nuisance depuis l’extérieur, appuyée sur des forces immergées dans les profondeurs du pays. Avec ses partenaires, la France s’efforce d’identifier les personnalités d’avenir encore trop rares qui pourraient constituer à terme un vivier capable d’assurer une relève citoyenne propre à marginaliser les forces nationalistes. Le défi est immense, mais il y a des lueurs d’espoir.
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