L'édito de Pascal Boniface

La géopolitique, absente de la présidentielle ?

Édito
6 janvier 2022
Le point de vue de Pascal Boniface
La campagne électorale qui va conduire à l’élection présidentielle en avril de cette année est déjà bien entamée. Si tous les candidats ne se sont pas encore déclarés, on voit à peu près le casting se dessiner.

Le président ou la présidente de la République a en France un rôle essentiel : c’est lui ou elle qui définit la diplomatie de la France et donne les grandes orientations de la politique extérieure. Il est aussi le chef des armées : il dirige les armées et, pour reprendre une expression qui est à la fois fausse et imagée, a le doigt sur le bouton nucléaire. Il a donc un rôle essentiel en termes géopolitiques.

La France est un pays important sur la scène internationale. Bien sûr, il ne faut pas se bercer d’illusions sur notre influence réelle, mais il ne faut pas non plus voir les choses de façon négative en affirmant que la France n’a plus aucune influence dans le monde. La France fait partie des puissances qui comptent. Elle n’a certes ni le poids de la Chine ni celui des États-Unis, mais elle peut légitimement s’exprimer sur la plupart des sujets d’importance géopolitique parce qu’elle a une place particulière sur la scène internationale et qu’elle est perçue comme telle dans le reste du monde.

L’élection présidentielle n’est en cela pas une élection locale. C’est une élection qui devrait porter sur les grands sujets internationaux. Surtout qu’un peu plus chaque jour la géopolitique et les événements extérieurs pèsent et rétroagissent directement sur notre vie quotidienne. De ce fait, les Français s’intéressent de plus en plus à la géopolitique : elle est désormais enseignée au lycée, les émissions et les conférences qui traitent de ces sujets sont très suivies. Nous sommes, à l’IRIS, parmi les premiers témoins de cet intérêt croissant des Français pour la géopolitique. Quel que soit leur positionnement politique, quelle que soit leur catégorie sociale, les Français ont compris que la géopolitique avait des conséquences directes sur leur vie.

Il est donc d’autant plus étonnant, dans un monde où « l’international » compte et rétroagit de plus en plus sur la scène nationale, dans une France où les citoyens ont un intérêt croissant pour la géopolitique, qu’il y ait si peu de débats sur les questions internationales dans le cadre de la campagne présidentielle. Y a-t-il de grands débats contradictoires ou enflammés sur la nature de la relation que nous devons avoir avec la Chine, les États-Unis ou la Russie, sur les relations à établir avec l’Afrique, sur la façon de considérer la montée en puissance de la Chine et de l’Asie, sur les conséquences du développement de l’intelligence artificielle, sur la place de la France dans le monde ou sur la réponse globale à apporter au réchauffement climatique ? Non. On voit que la plupart des débats sur l’international sont limités aux supposées menaces liées à la place de l’islam ou aux flux migratoires. Ce ne sont pas les sujets qui comptent le plus pour les Français, ce ne sont pas non plus les sujets qui vont définir notre rôle dans le monde. Malheureusement, ce ne sont pas de ces grands sujets géopolitiques, ceux qui vont configurer notre avenir, ceux qui vont avoir une importance directe sur notre influence, sur l’avenir de notre pays, dont s’emparent la plupart, si ce n’est tous les candidats à l’élection présidentielle.

Nos débats sur notre politique extérieure, sur la place que la France doit avoir dans le monde, ne peuvent se limiter aux flux migratoires et à la place de l’islam parce que, si ce sont des sujets importants, ils ne sont qu’un parmi de nombreux autres qui ont un impact beaucoup plus grand sur notre puissance, sur notre influence et sur la façon dont nous allons aborder les défis géopolitiques.

Par ailleurs, nos débats intérieurs ont une influence sur la perception que le reste du monde a de nous. Lorsque les candidats débattent entre eux, lorsque les experts débattent entre eux, ils ne s’adressent pas qu’aux Français. Dans un monde globalisé, le monde entier a une perception des débats internes à la France. Nous pouvons constater un fait indéniable : notre pays, qui était le pays occidental le plus populaire particulièrement dans le monde arabo-musulman, mais également en Afrique et en Amérique latine, l’est nettement moins aujourd’hui. Cela s’explique certainement par l’image que nous donnons à l’étranger : celle d’un pays de plus en plus renfermé sur lui-même, qui rejette les autres, l’étranger, ce qui est extérieur. Nous sommes ainsi en train de devenir l’un des pays occidentaux les plus impopulaires dans le reste du monde. Cela est aussi la conséquence d’un rétrécissement de nos débats sur la place de la France dans le monde. Il est vraiment temps avant l’élection que nous ayons de nouveau des débats qui prennent de la hauteur, qui nous fassent monter en puissance, qui nous donnent des perspectives sur ce que doit être la France vis-à-vis du reste du monde, sur la façon dont nous pouvons de nouveau rayonner, dont nous pouvons développer nos capacités. Ne faisons pas l’erreur de penser que nos débats n’ont aucune conséquence sur la perception de notre pays à l’étranger. Si nous voulons retrouver une partie de notre attractivité perdue, nous avons intérêt à prendre de la hauteur et avoir des débats de qualité qui donnent de la France une image d’un pays ouvert, conscient de ses responsabilités, conscient des enjeux internationaux et qui n’est pas une caricature de lui-même. La France n’est pas n’importe quel pays, elle a un rôle spécifique, elle est perçue comme telle dans le reste du monde. Nous ne devons pas perdre cette spécificité. Nous devons susciter l’envie chez les autres, c’est cela qui nous permet de peser plus que notre poids réel. C’est un enjeu majeur, il est de la responsabilité des différents candidats de s’en emparer.

 
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