ANALYSES

Le tourisme est un soft power très attrayant pour l’Arabie Saoudite

Presse
21 décembre 2021
Interview de Anne Sénéquier - TourMag
Mi-novembre 2021, vous avez sorti un bel ouvrage intitulé « La géopolitique, tout simplement ». C’est un livre totalement dans l’air du temps, avec des chapitres courts, truffés de petites histoires dans la grande et avec des illustrations contemporaines. Pourquoi ce livre ?

L’objectif est de sortir la géopolitique de la bibliothèque et de démocratiser le sujet. L’idée me trottait dans la tête depuis un long moment, surtout à cause de mes consultations avec des adolescents. Je me suis rendu compte en discutant avec eux, qu’ils me ressortaient beaucoup trop de « prêt-à-penser ». J’ai eu envie de leur donner des clés, de les armer pour qu’ils ne tombent pas dans les pièges des fakes news et autres opinions de surface. Etre capable de faire du lien, cela rend libre de penser. Nous en avons discuté avec Pascal Boniface (coauteur, ndlr) qui travaille sur la démocratisation de la géopolitique depuis longtemps maintenant. Il s’est focalisé sur la partie historique et régionale, j’ai travaillé sur les enjeux contemporains. Aujourd’hui, alors que nous demandons de plus en plus à la société civile de prendre position sur certains sujets, que cela soit la santé, le changement climatique, l’énergie ou les migrations… Il nous semblait pertinent de sortir la géopolitique du petit cercle restreint des initiés. La rendre accessible… que ce soit pour les jeunes comme pour les moins jeunes. Donner une base, pour ensuite faire des liens. Plus rien ne fonctionne de manière verticale. La covid19 a bien illustrée cela. Un virus, a impacté la santé de chacun mais aussi le travail, la vie quotidienne, engendre des pénuries de métaux, semi-conducteurs, de papier. Ces différents déterminants qui sous-tendent à notre monde sont primordiaux à sa compréhension. Savoir, c’est la liberté de penser par soi-même.

D’ailleurs le fait de sortir le livre en 2021, ce n’est pas anodin. Dans un monde aussi complexe, où de plus en plus de gens sont tentés par le chant des sirènes des théories du complot, vous avez envie de donner les billes pour comprendre le monde ?

Exactement, nous voulons que chaque personne se fasse un avis basé sur du concret et non sur un message de 240 caractères posté sur Twitter. Nous voulons rendre les clés de sa propre pensée au lecteur, ne pas toujours être tributaire du voisin, des éditorialistes et de leur permettre d’argumenter.

J’ai pu lire quelques chapitres et j’ai pu y apprendre des choses. Si je comprends bien, le livre est avant tout destiné aux familles ?

Oui, nous l’avons conçu pour être transgénérationnel. Il ne se lit pas d’une traite, c’est plutôt un livre que l’on picore au grés des intérets/actualités/envies. Chaque chapitre se compose de 3 à 4 doubles pages. Il rassemble le cœur du sujet, donner une colonne vertébrale pour ensuite pouvoir se faire son propre avis. Chacun peut y trouver ce dont il a besoin et envie de savoir, selon les thématiques que nous avons abordées. Il n’y a pas besoin de s’y connaître en géopolitique pour se plonger dans le livre. Nous avons essayé d’avoir un paysage exhaustif mais pas indigeste. C’est aussi une première approche, nos lecteurs peuvent poursuivre la lecture avec plein d’autres livres, notamment la collection Géopolitique chez Eyrolles.


Vous auriez pu aborder plein de thèmes, mais vous avez choisi de consacrer un chapitre au Tourisme. Je ne suppose que ce n’est pas pour me faire plaisir, pourquoi ce choix ?


Le tourisme fait partie de la mondialisation. C’est bien sûr un moyen de créer une richesse, un développement économique mais c’est aussi une vitrine ouverte sur le monde, qui touche autant la culture, les infrastructures, les services, la santé, les religions… Le tourisme s’est démocratisé au cours du siècle passé, et aujourd’hui devient accessible à de plus en plus de personnes, la pandémie mise à part. Cette démocratisation de l’activité a permis aux populations de pouvoir aller à la rencontre de l’autre. C’est par cette rencontre, que l’on peut changer les choses. La compréhension des enjeux locaux, faire le lien avec ce qu’il se passe chez nous…


Selon vous le tourisme est un levier de soft power. Autant je comprends le concept pour le sport, mais que vient faire le tourisme ?


C’est parce que le tourisme est un soft power très important et attrayant que l’Arabie Saoudite investit t d’autres pays investissent autant dans le tourisme. Aujourd’hui encore, la France est le premier pays touristique, en terme d’accueil. Outre une diversité géographique et de paysages sans égal, notre histoire, culture ; le luxe, l’art, la gastronomie, littérature, tout un rayonnement qui fait que notre pays attire tous les profils de voyageurs et d’investisseurs. Le soft power est un jeu de séduction. La France se sert de ses atouts comme de ses fleurons touristiques, pour s’exporter, rayonner à l’international et gagner en influence. La création du Louvre à Abu Dhabi (EAU), du centre pompidou à Shanghai sont des bons exemples du soft power à la française. Ils permettent aux pays « hotes » d’attirer le tourisme culturel « à la française », de changer l’image de marque de leurs pays, tout en renforçant les liens avec la France. Le hard power du moment, c’est le duel sino-américain (traité dans le livre d’ailleurs), montée en puissance des dépenses militaires, changement de structures de l’arsenal nucléaire de la Chine. L’Europe pourrait offrir une alternative, une troisième voie, mais clairement pas dans la même cour.


Sans le tourisme serait-elle moins puissante dans le monde ?

Non , la France est la 7e puissance économique du monde et malgré ce que nous pouvons dire et lire, elle se base sur son industrie. Le PIB la France ne joue pas son va-tout sur le tourisme comme peut le faire la Grèce ou la Tunisie. Nous avons une belle carte à jouer à ce niveau, mais ce n’est pas son atout majeur dans le concert des nations au niveau international. C’est plutôt le fait d’avoir l’arme nucléaire, d’avoir un siège au conseil de sécurité, une influence sur une région importante du monde et de posséder une industrie relativement forte. De plus, notre capacité à former des cerveaux est quelque chose d’important, même s’il serait préférable de les garder. Dans beaucoup d’entreprises américaines et chinoises, vous avez des cadres français. Nous rayonnons aussi par la qualité de nos étudiants.

Ne faudrait-il pas donner plus de place à la géopolitique dans les livres scolaires ? Pour que les jeunes générations comprennent mieux le monde qui les entoure.

La réforme du lycée a permis l’arrivée de la géopolitique dans les enseignements aux lycées. Nous pouvons déplorer que cela ne soit qu’une option et non un enseignement obligatoire. Il est vrai que dans ce monde ultraconnecté, où finalement chacune de nos actions trouvent ses ramifications partout dans le monde, il serait important d’apporter une lecture transversale et globale de ce qui peut se passer au quotidien. Avec l’engagement de plus en plus présent chez les jeunes, la géopolitique fera je pense de plus en plus son chemin. C’est aussi aux experts et ceux qui font la géopolitique de faire le nécessaire pour attirer les jeunes et le grand public. Nous sommes dans une société qui veut comprendre rapidement. Ce livre est une première marche pour comprendre le monde.



Propos recueillis par Romain Pommier pour TourMag.
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