ANALYSES

JO de Pékin 2022 : « Le boycottage diplomatique, c’est le premier étage de la fusée »

Presse
10 décembre 2021
Interview de Carole Gomez - Le Monde

Quels sont les objectifs derrière ce boycottage diplomatique lancé par les Etats-Unis ?


L’idée, c’est de toujours aller au-delà du simple message envoyé. Au-delà de cette volonté de mobiliser l’attention internationale sur un sujet, de mettre ce point à l’agenda politique et diplomatique se pose aussi la question de savoir qui sont les alliés sur lesquels les Etats-Unis peuvent compter, essayer de créer une coalition de pays qui vont s’inscrire dans la même démarche…


Ces objectifs doivent être considérés dans leur dimension bilatérale – c’est un bras de fer que Washington engage avec la Chine –, mais la décision de Joe Biden est aussi destinée à son électorat ou, plus largement, à sa population. Au cours des derniers mois, on accusait le président américain de ne pas être suffisamment actif. Ça contribue au fait de dire « America is back ».


Après, ce n’est pas un coup de poing très fort sur la table. D’un côté, les termes « génocide » et « crimes contre l’humanité » sont prononcés, de l’autre on décide « juste » de ne pas envoyer de représentants officiels lors de cette édition des Jeux olympiques et paralympiques. C’est une sanction relativement symbolique.


Cette mesure peut-elle être efficace ?


L’efficacité doit se jauger au regard des différents objectifs déterminés. Le meilleur exemple est les Jeux de Moscou, en 1980. Le boycottage des Etats-Unis et du camp occidental n’a pas poussé l’URSS à retirer ses troupes d’Afghanistan, les Soviétiques y sont restés jusqu’en 1989. Par contre, ça a permis de mobiliser sa population, son camp, et aussi d’envoyer un message de front particulièrement fort.


Pour ce qui relève du cas présent, on ne peut pas encore juger d’une éventuelle efficacité tant que tous les pays ne se sont pas positionnés. S’il ne reste que quatre pays, aussi puissants soient-ils, ce sera moins important que s’ils sont vingt, trente ou cinquante. S’il y a des pays africains, sud-américains ou asiatiques qui se joignent à la démarche, là, ça va commencer à être intéressant…


L’efficacité dépend, enfin, de la réponse de la Chine. Si c’était vraiment quelque chose de profondément inefficace, elle n’aurait même pas pris le temps d’y répondre. Or, elle a tout de suite réagi. Le boycottage diplomatique est certes encore une arme de la guerre froide, mais je vois ça comme le premier étage de la fusée.


La Chine a-t-elle les moyens de ses menaces ?


En déclarant que les pays qui prendraient la suite des Etats-Unis « paieraient un prix fort », la Chine utilise une formule intéressante. C’est une menace directe, non voilée, mais qui reste très floue. Cela laisse penser que les autorités chinoises vont attendre de voir quels pays vont se ranger derrière la décision de Washington. Cela peut aussi en dissuader un certain nombre.


Surtout, le fait de ne pas préciser cette menace a tendance à l’amplifier. Va-t-il s’agir de sanctions économiques ? De fermeture de centres culturels ? De convocations d’ambassadeurs ? Bref, quel va être le choix des différentes sanctions prises par Pékin et quelle sera la gradation des sanctions ? On ignore aujourd’hui si ces dernières seront les mêmes pour tous. S’attaquer aux Etats-Unis peut être compliqué. Par contre, on peut imaginer que la Chine pourra taper un peu plus fort sur l’Australie ou le Royaume-Uni.


Dans ce contexte, comment comprendre la position de la France ?


Le communiqué de presse de l’Elysée publié mardi était laconique [dans le texte, la présidence française déclare avoir pris « bonne note du choix des Américains » et affirme vouloir se « coordonner au niveau européen »], mais il permettait au moins de se donner du temps pour consulter ses partenaires et tenter d’établir une stratégie commune au sein de l’UE : « Ne prenons pas la décision seuls, mais à vingt-sept. » La forme est fidèle à l’approche diplomatique traditionnelle de la France.


Par ailleurs, Paris prend le 1er janvier la tête de l’UE. Si la France ne veut pas que les six mois de sa présidence soient parasités par un conflit avec la Chine, sa position est une façon, non pas d’esquiver le problème puisque la question ouïgoure sera toujours là, mais de se laisser une marge de manœuvre.


Dernier élément : la perspective des Jeux de Paris en 2024 est dans la tête de tous les hommes et femmes politiques français. Ils peuvent craindre un retour de bâton, même si, là aussi, je vois mal comment cela pourrait être quelque chose de déterminant.


L’« arme » de l’appel au boycottage de compétitions sportives ne s’est-elle pas banalisée ?


Il faut distinguer deux choses : les appels au boycottage – nombreux depuis des années, de la part d’institutions ou d’ONG – concernant le Mondial [de football] au Qatar ou les Jeux de Pékin, sans forcément que ce soit envisagé par les gouvernements et les autorités politiques, et le boycottage en lui-même, qui est beaucoup plus rare.


Ce qui va vraiment être important dans une telle mesure, c’est la capacité à fédérer. Quand vous boycottez un événement ou un Etat, votre but est d’attirer l’attention, de pointer du doigt, d’ostraciser un acteur. Si vous êtes seuls, vous vous placez en dehors de la communauté internationale, ça peut être à double tranchant. C’est ce qui s’est passé lors de la Coupe du monde 2018 avec le Royaume-Uni [qui avait tenté un boycottage sportif après l’empoisonnement sur son sol de l’ex-agent russe Sergueï Skripal]. Seule l’Islande avait suivi les Britanniques.


 




Sur la même thématique