21.11.2024
Comment Joe Biden a « flingué » Kamala Harris
Correspondances new-yorkaises
10 décembre 2021
« La réponse est oui, je prévois de me présenter à ma réélection. C’est le plan », a récemment déclaré Joe Biden, confirmant ainsi à la stupeur générale qu’il envisageait de se présenter à la présidentielle de 2024.
Cette annonce intervient alors que dix mois après son entrée en fonction, l’actuel président américain est devenu aussi impopulaire que Donald Trump à la même période de son mandat. Certaines enquêtes d’opinion le donnant même largement perdant face à son prédécesseur en cas de nouveau face-à-face.
C’est donc dans l’espoir de relancer sa présidence que Biden a fait cette annonce surprise, dans l’espoir de n’être plus considéré par son propre camp comme un lame duck, comme quelqu’un que l’on pensait voir partir à la retraite bien avant l’échéance de 2024 et dont on ne respectait déjà plus vraiment l’autorité.
Échec sur toute la ligne. Avec sa déclaration, le locataire de la Maison-Blanche n’aura fait que se discréditer un peu plus tout en rendant un très mauvais service à son parti à un an des midterms. Au parti démocrate, on commence en effet à paniquer après de récentes défaites électorales en Virginie et dans le New Jersey, deux États remportés par Biden en 2020.
Discrédité un peu plus, car même s’il ne l’avait jamais explicitement dit, il était évident pour tout le monde que l’âge et la santé du 46ème président américain le condamnait à un seul mandat. Âgé aujourd’hui de 79 ans, Biden en aura 82 en 2024 au moment de la présidentielle. En imaginant qu’il soit réélu, il aurait plus de 86 ans à la fin de son second mandat. Quand on connait sa fébrilité physique et son affaiblissement intellectuel qui, entre autres épisodes du même genre, lui a récemment fait confondre devant les caméras sa petite fille avec son fils Beau, disparu depuis plusieurs années, il paraissait clair qu’il ne serait l’homme que d’un seul mandat. Lui-même s’était présenté lors de sa prise de fonction comme un président de transition ayant pour mission de remettre le pays sur les rails avant de passer le flambeau à la nouvelle génération.
En annonçant sa candidature pour 2024, Biden semble donc ne pas avoir conscience de son état de santé – ou s’en moquer – et vouloir s’accrocher au pouvoir à tout prix. Bref, pour beaucoup d’américains il est devenu ce « vieillard sénile » dénoncé par ses ennemis, « vieillard replié sur lui-même et aveugle aux réalités du monde » alors que sa présidence connait une succession de difficultés si ce n’est d’échecs tant sur le plan international qu’intérieur.
Quant au mauvais service rendu par le président des États-Unis au Parti démocrate avec sa déclaration de candidature, on ne pouvait guère faire pire. Car si on avait encore un doute sur la volonté de Trump de se lancer dans la course pour la prochaine présidentielle, ce coup-ci on peut être sûr que le Donald va y aller. Comme Apollo Creed dans « Rocky II », le milliardaire va vouloir à tout prix sa revanche sur celui qui l’a humilié. Et même si pour finir ce n’est pas Biden qui est sur le ring, ce coup-ci Trump, ultra populaire et porté par une vague réactionnaire sans précédent, a toutes les chances de l’emporter et avec lui les Républicains.
Quid de Kamala Harris dans tout cela ? Joe Biden vient juste de la flinguer. Et sans sommation.
La vice-présidente, injustement marginalisée sur la scène intérieure par la garde rapprochée du chef de l’État – trop talentueuse ? – faisait néanmoins jusqu’ici pour l’opinion figure de dauphine. En disant vouloir se représenter, Biden donne donc à penser qu’elle n’est pas prête à lui succéder. Ce qui implique que dans le cas plus que probable ou il ne pourrait aller jusqu’au bout de sa candidature, Kamala Harris décrédibilisée en tant que « successeur naturel » devrait faire face à plusieurs adversaires coriaces lors d’une primaire potentiellement très difficile d’où le candidat démocrate sortirait affaiblit. Good job Mr. President !
Tout cela est assez triste, mais il fallait si attendre ; car au fond, qu’est-ce que c’est que Joe Biden sinon un politicien somme tout assez moyen qui ne doit sa position actuelle qu’à sa longévité au Congrès (il a été élu pour la première fois sénateur en 1973) ? Longévité qui a fait qu’Obama l’a choisi comme colistier en 2008 afin de rassurer l’establishment qui le prenait pour un novice.
En élisant Joe Biden à la présidence et pour reprendre une formule cruelle, l’Amérique a confié sa destinée à un capitaine de pédalo alors qu’elle était en pleine tempête. Mais avait-elle vraiment le choix ?
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.