ANALYSES

Conférence internationale de Paris : une étape vers la transition démocratique en Libye ?

Interview
15 novembre 2021
Le point de vue de Didier Billion


La France a accueilli le 12 novembre dernier une conférence internationale sur la Lybie. Alors que des élections présidentielles puis législatives doivent s’y tenir dans un mois, les enjeux sont de taille. Quel bilan peut-on dresser de cette conférence ? Les élections peuvent-elles se tenir de façon démocratique ? Les pays étrangers accepteront-ils de retirer leurs troupes du pays ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Le vendredi 12 novembre, la France a organisé une conférence internationale sur la Libye. Quels acteurs pilotaient cette initiative ? Quelles leçons peut-on tirer de cette conférence ?

La France, l’Italie, l’Allemagne, les autorités libyennes de transition et l’ONU étaient les coorganisatrices de la conférence, mais les contacts ont aussi été nombreux avec les États-Unis, la Russie et la Turquie au cours de la phase préparatoire.

La France, en accueillant cette initiative tentait de reprendre la main sur un dossier où elle semble marginalisée en raison de choix politiques antérieurs erronés, l’Allemagne parce qu’elle a organisé les précédentes conférences internationales dédiées à la Libye (respectivement en janvier 2020 et juin 2021) et enfin l’Italie qui possède un intérêt particulier pour ce pays en raison de ses liens historiques avec lui et surtout du défi migratoire qui se pose à elle, en provenance des côtes libyennes.

Deux thèmes principaux étaient à l’ordre du jour de la conférence : la question du nécessaire départ des forces étrangères du sol libyen et celle des élections présidentielles et législatives prévues, pour les premières, le 24 décembre 2021, Paris désirant rendre ce processus électoral « incontestable et irréversible ». En effet, considérant que le processus de réconciliation nationale marquait le pas depuis le cessez-le-feu de la fin du printemps 2020, il s’agissait de le relancer pour tenter de renforcer la stabilisation du pays.

Sur chacun de ces points, en dépit des déclarations optimistes tenues à l’issue de la conférence, on peut douter que cette dernière ait véritablement permis de réaliser des avancées significatives, tant les enjeux politiques internes et externes sont prégnants et renvoient à des intérêts opposés. On a ainsi pu constater les tensions au sein de la délégation libyenne en raison de la structure bicéphale de l’exécutif libyen opposant le chef du Gouvernement d’union nationale, Abdelhamid Dbeibah, et le président du Conseil présidentiel, Mohamed Al-Menfi. Cette dualité peut surprendre mais elle reste, à ce jour, le meilleur compromis possible permettant d’éviter la rupture entre les protagonistes de la scène politique libyenne. Dix années de chaos politique, sécuritaire et militaire ont profondément fracturé la société. Les divisions des différentes instances politiques en sont l’expression.

Depuis le début de la crise libyenne, la Turquie joue un rôle important dans le conflit et est implantée militairement dans le pays. Quels sont les enjeux d’un tel positionnement et comment a-t-il évolué au fil de la crise libyenne ? Quelle place la Turquie a-t-elle tenu lors de la conférence internationale à Paris ?

La Turquie, en raison de son intervention militaire au cours du premier semestre 2020, a non seulement contribué à la modification radicale des rapports de force entre les différents camps s’affrontant sur le terrain, ce qui a permis la conclusion d’un cessez-le-feu, mais l’a aussi rendue incontournable dans toute solution politique envisagée. Rappelons que cette intervention turque s’est réalisée à la demande de Faïez Al-Sarraj, alors chef du Gouvernement d’union nationale porté sur les fonts baptismaux et soutenu par l’ONU.

C’est pour cette raison que la Turquie montre de grandes réserves quant à la demande de retrait de toutes les forces militaires étrangères, arguant du fait qu’elle avait été appelée à intervenir par un gouvernement libyen reconnu par ladite communauté internationale. L’explication est factuellement juste, mais la question qui se pose alors est de savoir combien de temps cet argument sera recevable. En outre, si la question du retrait des forces turques peut éventuellement être sujette à négociations, en dépit des préconisations de la conférence de Paris, la présence de mercenaires syriens acheminés par des moyens de transport turcs ne l’est pour sa part aucunement.

Un autre aspect du dossier réside dans les vives rivalités qui opposent les États tiers agissant, directement ou indirectement, sur le sol libyen. La Russie, l’Égypte, avec en arrière fond les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite ont en effet soutenu le maréchal Khalifa Aftar, initiateur de la catastrophique bataille de Tripoli (avril 2019-juin 2020) qu’il a finalement perdue. Ces puissances sont toutes opposées à la Turquie, accusée d’être l’alliée des forces politiques proches de la mouvance des Frères musulmans.

Nonobstant les préconisations de la conférence de Paris, la présence de combattants russes de la compagnie de sécurité privée Wagner dans le camp pro-Haftar en Cyrénaïque et dans le Fezzan ainsi que celles des forces militaires turques et de mercenaires qui lui sont proches en Tripolitaine est probablement loin d’être achevée.

On le voit, l’imbrication des contradictions internes et des enjeux externes rend la situation particulièrement délétère et probablement peu susceptible d’être stabilisée dans le court terme même si l’on peut se féliciter qu’il n’y ait plus de combats d’ampleur depuis maintenant plus d’un an.

Pour la première fois de son histoire, la Libye va organiser une élection présidentielle le 14 décembre prochain, suivie de législatives un mois après. Quelles sont les forces nationales impliquées ? Quels espoirs peut-on placer dans ce processus ?

En dépit des appels solennels au respect et à la bonne tenue des échéances électorales, les difficultés s’amoncèlent, dont la moindre n’est pas celle du type de régime qui doit être mis en place à l’issue d’élections devant permettre la reconfiguration des positions de pouvoir. Une partie des acteurs privilégient avant tout l’élection présidentielle alors que d’autres considèrent que les législatives sont aussi importantes et doivent absolument être organisées dans le même mouvement.

Ce sont deux conceptions de l’architecture des centres de décision politique à mettre en place qui s’affrontent et qui ne sont en réalité pas tranchées. Les uns sont pour un pouvoir présidentiel fort et privilégient le scrutin du même nom, alors que d’autres, notamment la mouvance des Frères musulmans, privilégient celle d’un système parlementaire plus affirmé.

À ce jour, les candidats ne sont pas tous connus. Le maréchal Haftar a clairement manifesté son intention de se présenter, quant à Abdelhamid Dbeibah, il en caresse manifestement lui aussi ce projet, ce qui serait néanmoins contradictoire avec la feuille de route de l’ONU, agréée par les instances libyennes, interdisant à un titulaire de fonctions institutionnelles de se présenter à des élections. Enfin, Saïf Al-Islam, fils du dirigeant libyen déchu Mouammar Kadhafi, a présenté dimanche 14 novembre sa candidature à l’élection présidentielle, ce qui va assurément donner une nouvelle dimension à cette dernière.

Si la préoccupation affichée des initiateurs de la conférence de Paris est de contribuer à la mise en place rapide d’institutions susceptibles de contribuer activement à la stabilisation, on ne peut sous-estimer qu’une trop forte insistance à tenir les délais prévus puisse réactiver des tensions contradictoires aux intentions proclamées.

La propension des puissances occidentales à vouloir imposer de l’extérieur leurs solutions et leur calendrier s’avère la plupart du temps catastrophique, l’exemple des convulsions libyennes au cours des dix dernières années ne devrait en ce sens pas être oublié. La mise en œuvre d’un processus électoral pourrait ainsi s’avérer contre-productive s’il n’était pas véritablement assumé par les principales composantes politiques libyennes.
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