20.11.2024
COP26 : les enjeux sécuritaires des changements climatiques gagnent du terrain sur la scène diplomatique internationale
Interview
9 novembre 2021
En parallèle du World Leaders Summit organisé durant les deux premiers jours de la COP26, s’est tenu le 2 novembre dernier un évènement intitulé « Climate, Peace and Stability: Weathering Risk Through COP and Beyond ». Organisé au pavillon allemand par le think tank allemand Adelphi et la Munich Security Conference, en collaboration avec le Luxembourg et les Émirats arabes unis, l’évènement a été marqué par l’allocution de Jens Stoltenberg, Secrétaire général de l’OTAN. En l’occurrence, la présence de Stoltenberg à la COP26 s’inscrit dans la montée en puissance des enjeux sécuritaires des changements climatiques, et de la nécessité d’y répondre, aux plus hauts niveaux diplomatiques et militaires, tant aux échelles nationales, européennes qu’internationales. En outre, la nécessité pour les forces armées de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et d’adapter leur appareil militaire à un monde plus chaud semble devenir inévitable. L’analyse de Sofia Kabbej, chercheuse à l’IRIS au sein du Programme Climat, Énergie et Sécurité.
Comment interpréter la présence du Secrétaire général de l’OTAN à la COP 26 ? L’organisation est-elle active sur la question des changements climatiques ?
La présence de l’OTAN – une organisation chargée de « garantir la liberté et la sécurité de ses membres par des moyens politiques et militaires » – aux négociations climatiques internationales n’est pas sans importance, d’autant plus lorsque c’est son Secrétaire général qui se déplace et s’exprime. L’objectif de sa visite, tel que présenté par Stoltenberg, était « d’envoyer un message sur la relation entre la défense et le climat »[1]. Plus précisément, le Secrétaire général a mis l’emphase sur la nécessité pour les forces armées de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et de se préparer à un monde plus chaud.
Cette visite s’inscrit dans la continuité de l’intégration des enjeux climatiques par l’OTAN, qui a sorti en juin 2021 un plan d’action dédié « au changement climatique et à la sécurité ». Cette feuille de route constitue un précédent pour l’organisation, qui jusqu’alors traitait de la question climatique à travers le prisme énergétique, et surtout en termes opérationnels. Or, cette feuille de route reprend les modalités d’action propres à la lutte contre les changements climatiques, à commencer avec la réduction des émissions de GES. L’OTAN prévoit ainsi de mettre au point une méthode de cartographie et d’analyse des émissions de GES liées aux activités et missions militaires. La feuille de route prévoit également d’analyser l’impact des changements climatiques sur « l’environnement stratégique de l’OTAN, ainsi que sur ses moyens, ses installations, ses missions et ses opérations », pour ensuite guider l’adaptation de ses capacités, notamment en termes de pratiques d’acquisition et de son partenariat avec l’industrie. Enfin, le plan prévoit d’accroître les échanges avec les pays partenaires, l’UE ou encore les Nations unies.
En outre, bien que l’organisation ne joue aucun rôle formel dans les négociations climatiques internationales, Stoltenberg a rencontré de nombreux chefs d’État pour les sensibiliser aux liens entre climat et défense[2]. À noter, les liens entre climat et sécurité ont également été mis en avant par les autres intervenants invités à l’évènement d’Adelphi, dont Heiko Maas, le ministre des Affaires étrangères allemand ou encore Kishi Nobuo, le ministre de la Défense japonais. Le premier a alors qualifié le changement climatique de « menace existentielle de notre temps », et le second a souligné que les changements climatiques impliquent de « multiples risques ».
En dehors de cet évènement, les discours de plusieurs personnalités lors du World Leaders Summit des 1er et 2 novembre établissaient directement des liens entre climat et sécurité, comme le président américain Joe Biden qui a caractérisé le changement climatique de menace à « l’existence humaine telle que nous la connaissons ».
Quel rôle les forces armées ont-elles à jouer dans les réponses à apporter aux changements climatiques ?
Comme tout acteur de nos sociétés, les forces armées doivent elles aussi contribuer aux efforts de réduction des émissions de GES. Cela est d’autant plus le cas que bien souvent, les armées sont souvent responsables de la plus grande partie des émissions de GES de leurs gouvernements respectifs (principalement dans les pays du Nord). Aux États-Unis par exemple, le Département de la Défense (DoD) concentre plus de 70% des émissions de toute l’administration fédérale. La part massive des armées dans les émissions des pays s’explique par les carburants fossiles nécessaires au fonctionnement des équipements (avions de chasse, navires, chars, etc.). En outre, les opérations extérieures génèrent la plus grande partie des émissions (61,5% des émissions du DoD américain par exemple)[3].
L’enjeu de la transition énergétique des armées constitue dès lors un défi pour leurs ministères, dans la mesure où il est nécessaire pour les forces de conserver leur efficacité opérationnelle. Pour autant, la réduction de la dépendance des armées à des carburants fossiles peut aussi constituer une opportunité – dans la mesure où elle permet d’accroître leur autonomie, notamment en opération. La logistique, dont l’approvisionnement des bases militaires en carburant lors d’opérations extérieures, peut constituer une vulnérabilité comme le démontrent les pertes humaines de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan.
En outre, la contribution des forces armées aux efforts de réduction des émissions est également motivée par la pression accrue de la société civile mais aussi par les évolutions règlementaires. Ainsi, l’objectif de neutralité carbone à 2050 de l’UE ne manquera pas d’impacter les ministères de la défense européens. Pour autant, on observe pour l’instant une hétérogénéité dans les méthodologies de bilan carbone des ministères des armées : certains n’intégrant pas les opérations extérieures, d’autres ne prenant pas en compte les émissions des bâtiments. De manière générale, un nombre très réduit de forces armées a commencé à établir des bilans carbone et à les communiquer. La feuille de route de l’OTAN aidera peut-être à plus d’harmonisation, permettant de fait de comparer les efforts de décarbonation des armées.
Les forces armées sont également directement concernées par l’enjeu de l’adaptation du fait des impacts présents et futurs des changements climatiques, notamment l’élévation du niveau des eaux et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des évènements climatiques extrêmes. À ce jour, seuls trois ministères de la défense ont rendu public des méthodologies dédiées à l’évaluation de la vulnérabilité des emprises militaires aux impacts des changements climatiques : celui des États-Unis, du Royaume-Uni, et de la France (élaborée par les chercheurs de l’Observatoire défense et climat (2016-2021) piloté par l’IRIS). Les équipements (avions de chasse, hélicoptères, sous-marins, etc.) sont également sensibles aux variations de températures, ce qui nécessite de les concevoir mieux adaptés à un monde plus chaud. Enfin, les missions se trouvent être modifiées, avec une sollicitation de plus en plus importante des forces armées dans la réponse à des catastrophes naturelles, qu’il s’agisse de cyclones ou d’inondations par exemple. Les chercheurs de l’Observatoire défense et climat ont analysé l’intégration des enjeux climato-environnementaux par les forces armées dans un rapport publié en 2021.
La reconnaissance de liens entre les changements climatiques et la sécurité est-elle récente ?
Dès le début des années 90, la marine américaine publiait un premier rapport sur les implications des changements climatiques sur leurs activités. La période de la fin de la guerre froide a également été marquée par la publication de plusieurs papiers académiques appelant à ouvrir le concept de sécurité pour y intégrer des facteurs environnementaux. Jusqu’alors, les études stratégiques étaient principalement centrées sur les États, et le concept de sécurité était le plus souvent lié à la notion de guerre et la capacité de défendre un territoire en utilisant des moyens militaires. À mesure que le concept de sécurité s’est ouvert, les facteurs environnementaux ont commencé à être pris en compte dans l’étude des conflits, notamment à travers les travaux d’Homer-Dixon (1991) qui s’est intéressé aux liens entre raréfaction des ressources naturelles et les conflits violents.
Malgré la publication de travaux académiques, la reconnaissance des liens entre changements climatiques et sécurité au niveau politique n’a commencé à être perceptible qu’au début des années 2000. Déjà au niveau national, cela a été initié par l’intégration des changements climatiques et de leurs implications sur la sécurité dans des documents stratégiques – dont ceux de la France. Ensuite, au niveau international, cela s’est décliné avec, notamment, l’organisation en 2007 d’un premier débat sur ce sujet au sein du Conseil de Sécurité des Nations unies. S’en est suivie en 2011 la reconnaissance unanime par le Conseil de Sécurité des changements climatique comme menace à la paix et à la stabilité, et l’organisation depuis d’une dizaine de débats sur le sujet en son sein.
Ainsi, bien que remarquée et remarquable, la reconnaissance officielle de liens entre climat et sécurité dans le cadre de la COP26 ne constitue pas un précédent. Pour autant, il convient de noter une montée en puissance de ces enjeux sur la scène diplomatique internationale depuis quelques années. En 2015, quelques mois avant la tenue de la COP21, le gouvernement français avait organisé la première conférence internationale des ministres de la défense sur le thème du climat, qui fut suivie par une seconde, en 2016 au Maroc. En 2018 ensuite, a été créé au sein des Nations unies un mécanisme spécifique, le Climate Security Mechanism, qui se fixe pour objectif de systématiser les réponses de l’organisation aux risques sécuritaires des changements climatiques.
Les deux dernières années ont également été riches d’évolutions, à commencer par la publication d’un ordre exécutif reconnaissant les changements climatiques comme menace à la sécurité nationale par l’administration Biden en 2021. La publication de la feuille de route de l’OTAN s’inscrit également dans cette dynamique. On remarque aussi une évolution importante au sein de l’Union européenne, dont le Service pour l’Action Extérieure a publié fin 2020 une feuille de route dédiée à la sécurité climatique. Ainsi, l’enjeu est désormais non seulement identifié, mais fait l’objet de réponses politiques dédiées. Il convient cependant de noter que ces réponses n’en sont qu’à leur début. Les impacts de plus en plus visibles des changements climatiques, et leurs implications claires pour la sécurité continueront certainement à gagner en importance dans les milieux diplomatiques, et militaires au cours des prochaines années.
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[1] Michael Birnbaum, “Climate change is highlighted as a security issue as NATO leader visits COP26”, The Washington Post, 5 November 2021.
[2] Ibid.
[3] OSFME, « Stratégies de décarbonation et transition énergétique des armées : Allemagne, Australie, Canada, Danemark, États-Unis, Pays-Bas, Royaume-Uni », rapport n°9. (Publication à venir)