ANALYSES

Démographie, climat, flambée des prix… pourquoi l’insécurité alimentaire mondiale pourrait durer

Presse
4 novembre 2021
D’où vient la tension actuelle sur les prix alimentaires mondiaux ?

Cette tension agro-alimentaire provient de deux phénomènes : la démographie, il y a deux fois plus d’habitants sur la planète qu’il y a 50 ans, et la réalité géographique : on ne produit pas de tout partout. Depuis le début du siècle, on est sur une tendance haussière. Les prix alimentaires sont très corrélés au prix de l’énergie pour les produire et au coût du fret pour les transporter. Il y a eu une accalmie après la crise de 2008-2009, mais on est dans le même super-cycle. Ce qui est particulier dans la crise aujourd’hui, c’est que le changement climatique s’accélère et que la crise du Covid-19 a entraîné des stratégies de stockage. Or les prix des grandes cultures ont flambé: le riz, à cause du coût des engrais azotés, le colza (en partie valorisé comme agrocarburant) qui a suivi les prix de l’énergie, et le blé » qui, à 290 euros la tonne, a rattrapé son record historique de 2008. Un conteneur coûte entre 6 et 8 fois plus cher qu’il y a un an.

Quel est le moteur de cette flambée ?

Une demande mondiale toujours plus soutenue. Mais la Chine est aujourd’hui le moteur principal de la hausse des matières premières agricoles. Elle en produit énormément mais ses besoins sont tels qu’elle investit massivement sur le marché international : elle a acheté énormément de maïs et les trois quart du soja mondial. Quand la Chine, premier producteur mondial de blé, passe à des achats de l’ordre de 10 millions de tonnes (par an) sur le marché, c’est énorme.

Cette crise est-elle partie pour durer ?

On va vers un monde où le prix de l’alimentation est appelé à augmenter. Je ne vois aucun facteur qui pourrait contribuer à des tendances baissières fortes à court terme. Au printemps 2020, on sortait d’années de récoltes favorables, mais le Covid a changé la capacité de production : moins de bras dans les champs et pour acheminer les produits. À cela se sont ajoutés des accidents climatiques : sécheresses extrêmes, inondations. Les prévisions de récoltes pour 2022 ne sont pas très bonnes. Des gens qui étaient sortis de la grande pauvreté ont été rattrapés par la crise. Se nourrir est l’obsession principale de près d’un milliard de personnes.

Quelles sont les régions les plus touchées ?

L’Afrique se réchauffe trois fois plus vite que les autres continents : on le voit à Madagascar, au Sahel. En Afrique de l’Ouest, importatrice nette de produits agricoles, les productions sont en-deçà du potentiel agricole du fait de problématiques de stockage, de transport, de gestion de la chaîne du froid, mais aussi de sécurité. Le Nigeria, premier PIB africain grâce au pétrole, achète de plus en plus sur les marchés parce que son grenier à blé du nord, dans la région du lac Tchad, est occupé par le groupe jihadiste Boko Haram. Au Burkina Faso, des zones entières de production de coton, qui représente 10 à 20 % du PIB, ne peuvent plus être cultivées du fait de l’insécurité. Dans certaines régions, les paysans qui pourraient augmenter leurs rendements ne produisent pas plus pour rester invisibles, par peur des pillages. Cela pose le sujet de la gouvernance. Nous avons en Europe la paix depuis 50 ans. Le continent doit rester solidaire, ne pas désarmer face aux besoins alimentaires mondiaux. Et ne pas oublier que l’agriculture et l’alimentation sont de puissants contributeurs à la paix dans le monde.

 

Propos recueillis par La Voix du Nord.
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