Amérique latine et COP26 : la voie de Glasgow passe-t-elle par Escazú ?
Les pays réticents vont-ils changer d’avis ? Difficile de faire des pronostics tant les résistances sont évidentes du Brésil au Salvador en passant par le Chili, la Colombie et le Pérou. On se rappelle que le chef d’État brésilien, Jair Bolsonaro, a dès les débuts de son mandat, en avril 2019, supprimé plusieurs organismes publics chargés du suivi des dossiers environnementaux (biodiversité, changement climatique, gestion des forêts). Et, parmi les pays qui l’ont ratifié, des doutes planent sur la portée effective de leur engagement.
Rien n’est perdu si l’on veut bien voir le temps qu’a nécessité la négociation d’un accord qui manifestement n’allait pas de soi, neuf ans. Les premières réunions ont en effet été organisées en 2012, à l’issue de la conférence dite de Rio+20 sur le développement durable. Il a fallu la ténacité de la CEPAL et celle des deux États parrains de l’accord, le Chili et le Costa Rica, pour arriver à un compromis accepté de plus ou moins bon gré le 4 mars 2018 par vingt-trois États de la région.
Le traité pose en effet deux types de problèmes aux parties prenantes. Un, il les oblige à faire un ou des arbitrages entre développement et environnement. La question est loin d’être aussi évidente qu’il y paraît. La mondialisation a spécialisé les pays d’Amérique latine dans le créneau du productivisme agro-alimentaire et de l’extractivisme énergétique et minéral. D’autre part le volet politique de l’accord oblige les gouvernements à la transparence décisionnelle, et à garantir la vie des activistes de la protection environnementale.
Toutes choses qui soulèvent de fortes résistances. Les secteurs affectés, entreprises minières et pétrolières, agriculture industrielle exportatrice, sont vent debout. La capacité de nuisance de ces intérêts privés est dans certains pays, élevée. Au Brésil ils veillent au laisser-faire gouvernemental, au risque assumé d’accentuer la déforestation en Amazonie, et les accidents d’origine minière dans l’État de Minas Gerais. Au Chili, la Minera Dominga a bénéficié de dérogations environnementales. Cette entreprise, on vient de l’apprendre grâce à l’enquête « Pandora Papers », appartenait, il y a peu, à la famille du Président Sebastián Piñera. Qui s’est déclaré opposé à la ratification d’un Accord « portant atteinte à la souveraineté du Chili sur ses ressources naturelles ». En Colombie, la FENAVI (Fédération Nationale des Aviculteurs de Colombie), l’Association colombienne des pétroles, ANDI (Association Nationale des Chefs d’entreprise de Colombie), au Paraguay, l’Association rurale du Paraguay, ont clairement et publiquement signalé leur rejet de cet accord. Tandis qu’au Salvador le président a justifié son refus de signer l’Accord d’Escazú, parce qu’il ne saurait y avoir « de défense de l’environnement, sans préservation du développement ».
Souvent aussi, au Brésil, en Colombie ou au Honduras, ces intérêts n’hésitent pas à « éliminer » physiquement ceux qui entendent faire respecter le développement durable. En 2020 les trois quarts des 277 défenseurs des droits environnementaux assassinés dans le monde l’ont été en Amérique latine[1]. Le dossier, dans ces pays, est bloqué par les Exécutifs et les majorités parlementaires. Le « lobby entrepreneurial » a déclaré Alicia Bárcena, directrice de la CEPAL, le Jour de la Terre, et de l’entrée en vigueur de l’Accord d’Escazú, « freine » des quatre fers. Pire, a confirmé Michelle Bachelet, « cheffe des droits de l’homme des Nations unies », « les défenseurs des droits humains sont toujours menacés dans la région (..) Il est aberrant qu’ils aient à prendre autant de risques pour faire avancer [cette] cause ».
Les voies d’Escazú sont-elles pour autant aussi impénétrables que celles du « Ciel » ? La réponse comme souvent, n’est pas dans le « Ni-Ou ». Mais dans le « Et-Et ». Les résistances vont persister, et dans certains cas se durcir. Il n’en reste pas moins que l’accord a pu, difficilement mais a pu, atteindre le quorum de onze États l’ayant ratifié, permettant son entrée en vigueur. Exemplaires, ces pays méritent d’être cités : il s’agit, par ordre alphabétique d’Antigua et Barbuda, de l’Argentine, de la Bolivie, de l’Équateur, du Guyana, du Mexique, du Nicaragua, de Panama, de Saint-Christophe-et-Niévès, de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, de Sainte-Lucie et de l’Uruguay. Il n’en reste pas moins que la « société civile », est combative. En Colombie, par exemple, l’Alliance pour l’Accord d’Escazú, mobilise sept entités[2]parmi d’autres comme L’ONIC (Organisation Nationale Indigène de Colombie) pour forcer les autorités et le parlement à prendre le chemin d’Escazú. Leurs voix vont se faire entendre à Glasgow, et dans les urnes, au Chili dès les présidentielles le 21 novembre 2021. En Colombie, et au Brésil les 29 mai et 7 octobre 2022 à l’occasion des consultations présidentielle et législative.
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[1] Selon l’ONG Global Witness. In El Espectador, 7 octobre 2021
[2] L’université du Rosario, L’association « ambiente y sociedad », WWF Colombie, l’université des Andes, le centre Dejusticia, le réseau, « red por la justicia ambiental, l’université de Medellin