20.11.2024
COP26 : le sommet de la dernière chance ?
Interview
29 octobre 2021
Six ans après les Accords de Paris, la COP26 se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre. Les enjeux sont de taille : entre retour des États-Unis dans les discussions et défection de la présence sur place du président chinois, que peut-on attendre de ces négociations alors que les rapports alarmistes se multiplient ? Le point avec Sofia Kabbej, chercheuse au sein du Programme Climat, énergie et sécurité de l’IRIS.
La COP26 se tiendra à Glasgow du 31 octobre au 12 novembre. Quels en sont les enjeux ?
Ils sont déterminants pour pouvoir atteindre les objectifs fixés en 2015, lors de l’adoption de l’Accord de Paris. Il est demandé aux parties prenantes de réellement passer de la déclaration aux actes. Il s’agit en effet d’une demande pressante de la part des sociétés civiles, mais également des pays du Sud, pour qui les impacts des changements climatiques deviennent de plus en plus fréquents et intenses.
Le premier enjeu de cette COP26 concerne la mise à jour des feuilles de route des États. C’est ce qu’on appelle les Contributions déterminées au niveau national. Elles doivent être révisées à la hausse tous les 5 ans, tel que le prévoit le texte de l’Accord de Paris. La première échéance était en 2015, au moment de la COP21. La seconde devait avoir lieu l’année dernière, au moment de la COP26, finalement décalée à cette année en raison de la pandémie. La première demande faite aux États est donc de rehausser leurs ambitions en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Le deuxième enjeu est celui du financement. Dans le cadre de l’Accord de Paris, les États développés se sont engagés à fournir aux pays en développement 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, de manière à leur permettre de financer les mesures d’atténuation et d’adaptation nécessaires. Des demandes spécifiques sont également émises afin que soient augmentés ces financements sur l’adaptation et sur les pertes et préjudices déjà nombreuses sur les territoires des pays en développement, de manière à pouvoir se reconstruire après un cyclone ou une tempête par exemple.
Le troisième enjeu principal de cette COP26 est relatif à la négociation de l’article 6 de l’Accord de Paris qui concerne la mise en place d’un marché carbone international. Cet article fait l’objet d’oppositions par certains pays depuis la COP21, retardant sa mise en œuvre alors même qu’il constitue un des principaux outils pour que les États parviennent à atteindre leurs objectifs. C’est un système qui repose sur les échanges de quotas d’émissions, et les projets de compensation carbone notamment. Son adoption sera déterminante.
Quel état des lieux pouvons-nous dresser ? Comment cela impactera-t-il les négociations ?
Malgré les nouvelles feuilles de route soumises par les États en amont de la COP26, l’état des lieux est malheureusement extrêmement négatif.
Une centaine de pays ont, ces derniers mois, soumis des feuilles de route qui sont soit nouvelles, soit mises à jour. Une majorité d’entre elles fait état d’objectifs de neutralité carbone ou climatique pour 2050-2060, soit dans la deuxième moitié du XXIe siècle. Or, le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques a publié en début de semaine une synthèse très alarmante de toutes ces contributions. Il en ressort en effet que les engagements pris par les États sont nettement insuffisants puisqu’on se dirige vers une augmentation de +16% des émissions de GES d’ici à 2030 comparé à 2010, alors même que le GIEC estime qu’il faudrait réduire ces émissions de 45% d’ici à 2030 pour rester sous les 1,5°C d’augmentation. Sur la base des nouvelles contributions, on se dirigerait vers une augmentation de 2,7°C de la température moyenne globale. On est donc très loin de l’objectif fixé en 2015.Ce bilan est donc très inquiétant, car plus la température augmente, plus les impacts des changements climatiques sont, et seront, importants.
L’autre point négatif concerne les 100 milliards de dollars qui devaient être collectés en 2020 pour financer les mesures d’atténuation et d’adaptation. Un rapport paru ce début de semaine nous informe qu’ils ne seraient atteints qu’en 2023, soit trois ans après la date initiale, les sommes collectées s’élevant aujourd’hui à environ 80 milliards de dollars. Cette situation inquiète beaucoup les pays du Sud qui ont besoin de cet argent pour pouvoir mettre en œuvre les politiques publiques nécessaires.
À noter que ces rapports sont publiés en amont de la COP, dans le but d’influer sur les ambitions de cette conférence de Glasgow : les feuilles de route peuvent en effet toujours être révisées avant et pendant la COP.
Un autre point potentiellement négatif est l’absence physique du président chinois à la COP26, alors que son pays est l’un des principaux contributeurs d’émissions de gaz à effet de serre. Si cette absence pourrait témoigner d’un désintérêt du pays pour ces questions, il faut néanmoins la mettre en perspective avec le fait que Xi Jiping n’est pas sorti de la Chine depuis le début de la crise de Covid-19 d’une part, et que des restrictions sont imposées par la situation sanitaire tant du côté britannique que chinois. En effet, les délégués chinois se rendant au Royaume-Uni devraient être soumis à une quarantaine à leur retour, modifiant quelque peu la taille de la délégation chinoise. Il faut espérer que la Chine restera néanmoins proactive pendant cette COP. Le président a d’ailleurs annoncé ce jour qu’il serait présent en vidéo à la COP, et le pays vient de rendre public sa nouvelle contribution, avec des modifications mineures à ce qui avait été précédemment annoncé.
Le 19 février dernier, Joe Biden replaçait les États-Unis dans les Accords de Paris. Mais aujourd’hui, le président américain semble devoir revoir son programme environnemental à la baisse. Dans quelle dynamique se trouvent les États-Unis ? Quel impact sur la COP26 ?
Alors que Donald Trump avait quitté les Accords de Paris, le président Biden a décidé de les réintégrer une fois arrivé au pouvoir. Ce fut une des premières actions de son mandat, suivies par de nouveaux engagements soumis en amont de la COP26. Ceux-ci font état d’une réduction de 50% à 52% des émissions d’ici à 2030 comparés à 2010. Il s’agit d’un engagement assez conséquent pour l’un des émetteurs les plus importants au monde, mais toujours non-aligné avec l’objectif de température de l’Accord de Paris. Les États-Unis ont aussi montré une plus grande ambition sous l’administration Biden en augmentant les financements au Fond vert pour le climat. Cette augmentation se traduit par le doublement de sa contribution avec un total de 5,7 milliards de dollars. L’ambition de la nouvelle administration s’est également traduite par l’organisation en avril 2021 d’un Sommet pour le climat. Réunissant les leaders du monde entier autour de ces questions, les États-Unis ont montré qu’ils étaient de retour dans la gouvernance climatique et souhaitait se poser en leader sur la question, réunissant tous les pays autour de la table, y compris la Chine.
Au niveau national, le président Biden négocie actuellement un énorme plan d’investissements de 2 000 milliards de dollars touchant aux infrastructures, transports, et à l’énergie, dans le but de « verdir » l’économie américaine. Mais pour le moment, ce plan rencontre des blocages au sein du Congrès, du fait notamment des Républicains. Le président Biden pourrait donc être amené à revoir ses ambitions à la baisse du fait des blocages internes.
Lors de cette COP26, on peut s’attendre à ce que l’absence de la Chine renforce la position de leader des États-Unis, d’autant plus que l’administration Biden a fait des changements climatiques un enjeu de sécurité nationale. De fait, les États-Unis ont qualifié le changement climatique de menace, se traduisant dès janvier 2021 par la publication d’un premier ordre exécutif sous l’administration Biden, Tackling climate change at home and abroad. Ce dernier demande aux agences fédérales américaines de se restructurer afin de pouvoir répondre aux enjeux sécuritaires des changements climatiques, et s’est plus récemment traduit par la publication de 4 rapports, dont celui présentant les conclusions de l’ensemble des services américains de renseignement intitulé « Climate Change and International Responses Increasing Challenges to US National Security Through 2040 ».