L'édito de Pascal Boniface

« Remontada » – 3 questions à Cherif Ghemmour

Édito
26 octobre 2021
Le point de vue de Pascal Boniface
Chérif Ghemmour est journaliste au mensuel So Foot, auquel il collabore depuis sa création en 2003. Intervenant de « L’Afterfoot » sur RMC jusqu’à 2016, il participe aussi à l’émission « Radio Foot International » de RFI. Il répond à mes questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Remontada » paru aux éditions Larousse.

Il y a donc eu des remontada avant LA remontada ?

Evidemment ! Ce concept de « remontée » emprunte d’ailleurs au rival madrilène du Real qui a bâti sa légende sur des grands retournements du passé, notamment en coupes d’Europe. Plus généralement, il existe dans d’autres grands pays de football des termes très précis qui signifient la même chose : rimonta en Italie, comeback et fightback en Angleterre ou Aufholjagd en Allemagne. Donc le phénomène est courant et ancien. La fameuse remontada du Barça contre le PSG en 2017 a popularisé ce terme parce que l’exploit était immense à deux niveaux. Aucune équipe n’avait jamais remonté un 4-0 en match retour de coupe d’Europe et à la suite du 6-1 du FC Barcelone, il y a eu une multitude de remontadas dans différentes compétitions nationales et européennes.

La remontada c’est un ascenseur émotionnel dans les deux sens ?

Absolument. La remontada rejoint même le spirituel (plutôt que le « religieux ») avec une certaine idée d’élévation suprême, d’élection même, pour les vainqueurs et un état de grande dépression, voire même de malédiction pour les perdants. Le gagnant a vu la Mort en face mais a survécu puis triomphé. Le perdant a touché le bonheur du bout des doigts avant qu’il ne se dérobe pour toujours. La défaite dans la remontada se vit comme une dépossession soudaine alors que le vainqueur final de la remontada est parti de rien pour recevoir tout… La souffrance est donc plus vive pour les perdants qui doivent faire leur deuil de paradis perdus. La remontada touche à l’irrationnel et quand la logique et la rationalité font défaut, les états d’allégresse ou de désespoir n’en sont que décuplés.

Le match France-Allemagne 1982 n’est-il pas, même s’il n’y avait que 2 buts d’avance, l’exemple maudit d’une remontada pour les Français ?

Oui, et à ce titre beaucoup de personnes m’ont demandé si ce match figurait bien dans mon livre ! Comme une évidence… Or, il n’y est pas. Mais c’est d’ailleurs la différence de perceptions nationales qui établit cette idée de remontada. En Allemagne, habituée au dernier carré des grandes compétitions, l’idée de remonter un score assez défavorable, même dans un laps de temps très court, n’a rien d’extraordinaire. En 1954, déjà, la Mannschaft avait gagné la Coupe du monde 3-2 face à la Hongrie en étant menée 2-0 après 8 minutes de jeu… À Séville, la France avait cru échapper à la longue persistance de désillusions et d’échecs sportifs en battant un géant du foot mondial. Par une sorte de pensée magique d’une victoire « au mérite », la France s’est en fait affranchie de la logique purement sportive qui fait qu’un match n’est jamais scellé avant son terme. Ceci dit, outre ce sentiment cruel de dépossession soudaine de la victoire, c’est aussi l’agression de Battiston par Schumacher qui a pérennisé le souvenir d’une remontada un peu « illégalement » obtenue (même pas un carton jaune !) par l’Allemagne…
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