ANALYSES

Une Troisième Guerre mondiale sur Taïwan? « Washington affiche son soutien à Taipei pour éviter un passage à l’acte de Pékin »

Presse
21 octobre 2021
Y a-t-il autour de Taïwan un vrai risque d’affrontement militaire ?

Il y a une quinzaine d’années, le rapport de force existant s’est inversé au profit de la Chine, dotée depuis, si on ne prend pas en compte les forces des États-Unis ou d’autres alliés de Taipei, de capacités militaires supérieures à celles de Taïwan. S’y ajoute,
même s’il n’est pas neuf, un discours très agressif de la part de Pékin et ces multiples incursions dans l’espace taïwanais. Il y a donc une tension extrême, mais qui n’annonce probablement pas un conflit imminent. Deux éléments internes à la Chine sont
cependant préoccupants. Un ralentissement économique d’abord – l’affaire Evergrande en est un révélateur dans le secteur immobilier – pourrait provoquer une course en avant sur la question taïwanaise, pour détourner l’attention de l’opinion publique chinoise. De même au niveau politique. On a eu la naïveté de penser que Xi Jinping était un nouvel empereur jouissant d’un pouvoir phénoménal et ayant autorité sur tout l’appareil d’État, mais son leadership est contesté en interne, sur la gestion du Covid ou le coût des Nouvelles routes de la soie. Il risque donc de devoir donner des gages aux éléments les plus conservateurs, les plus militaristes qui sont en faveur d’une confrontation avec Taïwan. Il a cependant récemment expliqué que la réunification avec Taïwan doit être « pacifique », rejetant l’usage de la force de manière assez catégorique. Mais pour combien de temps ? Ce discours montre à quel point il tente d’apaiser les tensions à l’intérieur de l’appareil d’État.

Les États-Unis, engagés à fournir à Taïwan de quoi se défendre, se posent en protecteurs de l’île. Pourraient-ils entraîner l’OTAN dans une réponse militaire face à la Chine ?
À propos de l’OTAN, il faudrait d’abord trouver des objectifs communs aux États membres. Or, nombre d’entre eux ne veulent surtout pas d’une confrontation avec la Chine : c’est le cas pour quasi tous les pays de l’UE et plus encore pour ceux d’Europe
centrale et orientale qui ont des relations étroites avec la Chine, via d’importants investissements chinois dans leur économie, leurs infrastructures. Ça vaut aussi pour la Turquie. On les imagine difficilement venir en soutien de Taïwan face à la Chine, de
manière officielle et militaire : ils s’exposeraient à des conséquences très lourdes. J’ai le même doute à propos des États-Unis : pas sûr que si demain matin, la Chine attaque Taïwan, cela entraîne automatiquement une guerre entre la Chine et les USA.
Washington étudierait la situation. Il faut arrêter de croire que les États-Unis seront les défenseurs de Taïwan en toutes circonstances. C’est une fable à laquelle de très nombreux Taïwanais, avec inquiétude, ne croient plus aujourd’hui. Si Washington continue à mettre en avant ce soutien militaire et stratégique à Taïwan contre la Chine, c’est précisément pour éviter un passage à l’acte de la part de Pékin. Mais la légitimité de Taïwan est aussi soutenue par de nombreux pays européens qui prônent son adhésion à l’Organisation mondiale de la santé : une manière de reconnaître sa souveraineté. Ou par le Japon, qui fait savoir qu’il ne tolérera pas une invasion de Taïwan par la Chine, pour empêcher que de telles extrémités se produisent. Mais il n’y a pas d’alliance comme à l’époque de la Guerre froide où existait une logique de blocs, l’Otan face au Pacte de Varsovie.

Pékin exerce aussi des pressions non-militaires sur Taïwan…

Si Pékin a pu appliquer sa Loi de sécurité nationale à Hong Kong, en imposant sa vision de la rétrocession selon laquelle, depuis 1997, Hong Kong fait partie de la Chine, sans attendre la fin de la période de transition de 50 ans, il n’en va pas de même avec Taïwan. Il s’agit d’un territoire qui n’est reconnu diplomatiquement que par de rares pays, mais dispose de tous les attributs d’un État avec un gouvernement, un drapeau, une armée, une monnaie, un système de lois régissant une société efficace dotée d’une économie florissante. Et sur lequel Pékin n’a aucun contrôle. Et donc, voulant « récupérer » Taïwan, la Chine a tout fait depuis 15 ans pour accentuer l’interdépendance économique entre les deux territoires de façon, à terme, à rendre évidente cette réunification. Mais cette stratégie ne fonctionne pas, parce que les Taïwanais n’en veulent pas. Ils sont ravis de travailler avec les Chinois et d’avoir un bon voisinage, mais pas plus.

Pékin essaie donc de faire militairement peur aux Taïwanais…

Mais ça ne marche pas non plus. Les incursions répétées ont pour objectif de faire plier les Taïwanais, pour qu’ils préfèrent la réunification à une angoissante confrontation, or la société taïwanaise est de plus en plus mobilisée face à la Chine. Pékin a aussi multiplié les opérations d’influence de l’opinion (via des fakes news sur les réseaux sociaux), sans guère de résultats au niveau national : le Kuomintang, parti nationaliste favorable à un dialogue avec la Chine, est aujourd’hui déchiré entre différents courants. Il a essuyé des défaites électorales très lourdes ces dernières années au profit du Parti Démocratique Progressiste, au pouvoir, qui ne veut surtout pas discuter avec la Chine des questions de souveraineté. Les Taïwanais se rendent régulièrement en Chine, y ont parfois de la famille, des amis et une parfaite connaissance de la société chinoise avec ses bons côtés, notamment culturels, mais également les mauvais côtés liés au système politique.

Donc, pas de Troisième Guerre mondiale en vue ?

Je reste un optimiste convaincu : je suis la question taïwanaise depuis près de vingt ans, j’y ai vécu sept ans. Ce n’est pas la première fois qu’il y a des bruits de bottes de part et d’autre. Taïwan, superpuissance en matière de semi-conducteurs, est essentiel pour la Chine. Il y a aussi en permanence près de 2 millions de Taïwanais qui vivent en Chine : ils font fonctionner une grosse partie de l’économie chinoise en y ayant délocalisé leurs usines. Une dégradation brutale de la relation entre les deux pays serait très probablement un jeu à zéro gagnant. On n’en est pas là. Cela ne veut pas dire que la guerre est impossible, mais sur les bases actuelles, la probabilité est très réduite. On constate d’ailleurs que les tensions aiguës comme celles qu’on
connaît actuellement n’ont pas d’impact significatif sur les échanges entre les deux rives. Il y a finalement beaucoup de pragmatisme dans la relation Chine-Taïwan.
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