ANALYSES

2021, un 12 octobre en version corrigée

Chaque année, le 12 octobre, la communauté ibéro-américaine fête ses dénominateurs communs. 2021 aura été une cuvée particulière marquée par deux grands chocs centrifuges. Le premier est venu des États-Unis, qui ont lancé une vaste campagne de contestation de l’apport espagnol en Amériques. Campagne relayée par le président mexicain Andrès Manuel Lopez Obrador et son homologue péruvien, Pedro Castillo. Le second, la négociation d’un accord commercial Uruguay-Chine a matérialisé l’évidence d’une attraction chinoise, touchant la quasi-totalité des Latino-américains.

Le 12 octobre 2021, le président Joe Biden a célébré une journée dédiée aux peuples autochtones. Jusque là les États-Unis commémoraient le premier voyage de Christophe Colomb aux Amériques. Cette décision accompagne un mouvement révisionniste qui a affecté plusieurs États et plusieurs villes d’Amérique du Nord. Les statues et monuments dédiés à Christophe Colomb comme à d’autres personnages liés à la colonisation espagnole font l’objet de déboulonnages et de dégradations depuis plusieurs années, en particulier dans les États de la Fédération anciennement colonisés par Madrid. Ces relectures de l’histoire ont également été portées par quelques chefs d’État latino-américains. Le mexicain, Andrés Manuel López Obrador a été, et est toujours, le plus actif et créatif dans cette réévaluation du passé. Il a lui aussi célébré 500 ans de résistance indienne. Ce dépoussiérage de la « légende noire », inventée au XVIème siècle par les concurrents européens de l’Espagne, frustrés de terres américaines, interpelle. Non sur les méfaits de la colonisation espagnole, mais sur le caractère excluant de la dénonciation, qui fait l’impasse sur les responsabilités des autres colonisateurs, des Amériques et de l’Afrique. Impasse d’autant plus historiquement inacceptable que les politiques d’extermination des peuples indigènes, du nord au sud des Amériques, et souvent la poursuite de la traite négrière, ont été brutalement perpétuées par les gouvernements indépendants de Washington, à Montevideo. Les épopées des cow-boys conquérants de « l’Ouest » américain ou celles des gauchos, du Sud argentin, relèveraient, selon le scénario dominant, de l’expansion de la Civilisation. Alors qu’une légende noire jetterait un opprobre sans appel, sur la colonisation espagnole.


Gabriela Rieiro, artiste uruguayenne, a inauguré il y a quelques jours à Pékin une exposition d’œuvres placées sous le signe de la « Route de la soie », chère aux gouvernants chinois, poètes d’une géopolitique intrusive. Parallèlement, un « oriental », le photographe Luis Favisi, exposait à Pékin. Cet octobre culturel uruguayen d’inspiration nouvelle est venu couronner une décision stratégique d’importance majeure. Le 7 septembre 2021, Luis Lacalle Pou, président de la République orientale de l’Uruguay annonçait l’ouverture de négociations commerciales avec la Chine. Cette annonce n’a rien de surprenant. Depuis 1985, date de rupture des relations entre Montevideo et Taïwan, l’Uruguay s’est lentement mais sûrement rapproché de la Chine. D’abord en reconnaissant Pékin en 1988 comme seul détenteur de la représentation internationale de la Chine. Puis en consolidant en 2016 cette amitié, avec le voyage officiel effectué par le président Tabaré Vásquez. Et enfin en nouant des liens commerciaux de plus en plus étroits. À tel point que l’Empire du milieu est devenu aujourd’hui son partenaire économique principal. 30 % des exportations uruguayennes sont destinées à la Chine., devant le Brésil et les États-Unis. L’actuel chef de l’État, Luis Lacalle Pou, après tout, n’a fait que confirmer une option donnée par Luis Alberto Lacalle Herrera, son père, qui a publié en 2016, América Latina entre Trump y China, un cambio esperado (L’Amérique latine entre Trump et la Chine, un changement attendu).La décision uruguayenne a suscité beaucoup d’interrogations de la part de ses partenaires du Marché commun du sud (Mercosur). Le traité, qui lie depuis 1991 l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, exclut en effet tout accord de libre échange bilatéral. L’initiative de Montevideo annoncée le 7 septembre dernier est de nature à faire imploser un traité d’intégration latino-américaine pionnier et quelque part modèle.

Les fêtes et commémorations nationales diverses ont une valeur symbolique forte. Elles rappellent et confirment les engagements et les parentés. La livraison 2021 signale une faille porteuse de dérives continentales. Washington, suivie par México, a remis en question le dénominateur commun hérité d’une histoire en ombres et lumière, en écartant sans nuance les lumières sur lesquelles se fondait la parenté « hispanique ». L’annonce faite par le chef d’État uruguayen le 7 septembre sanctionne elle la puissance de l’attraction chinoise. Celle d’une Amérique latine, étape d’une « Route de la soie » construite par la Chine et pour la Chine.
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