07.11.2024
Les succès du soft power sud-coréen
Presse
18 octobre 2021
Depuis sa démocratisation dans les années 1980, la Corée du Sud a considérablement augmenté son poids économique, au point de se hisser parmi les grandes puissances et d’intégrer le G20. Elle a également joué un rôle important dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU, assumant ainsi son nouveau statut sur la scène internationale. Dans le même temps, ses industries de pointe sont devenues des références, sa culture s’est exportée et son image s’est améliorée sur la scène internationale. La Corée du Sud est parvenue à un niveau de développement qui semblait encore inatteignable il y a quelques décennies. Son soft power s’est construit en parallèle, et en conséquence, de cette réussite. Derrière la consécration du film Parasite de Bong Joon-ho (qui a notamment remporté la palme d’or à Cannes en 2019 et l’oscar du meilleur film en 2020), on retrouve aussi le succès des séries télévisées et de la Korean Pop (ou K-pop), généralement qualifié de Hallyu, littéralement la « vague coréenne ».
Paradoxalement, Parasite est une critique acerbe de la société coréenne contemporaine et, de la même manière, le terme Hallyu fut utilisé pour la première fois en 1999 avec une connotation négative par un journaliste chinois qui critiquait la popularité de la culture de masse coréenne chez les jeunes Chinois. Lorsque Hallyu est apparu dans les années 1990, il n’était considéré que comme passager, compte tenu de la tradition de ce pays dans lequel les échanges culturels se faisaient à sens unique, avec l’importation de culture étrangère d’une part et le développement de la culture nationale d’autre part. Mais surtout, la Corée du Sud, coincée entre la Chine et le Japon, n’est pas un pays traditionnellement exportateur de sa propre culture. Si Hallyu a contribué à changer l’image de la Corée et des Coréens, il permet globalement d’améliorer les relations entre Séoul et les autres pays asiatiques, au point de devenir une véritable stratégie de soft power visant à renforcer l’influence de la Corée du Sud (1).
Pourquoi la culture sud-coréenne s’exporte-t-elle ?
Hallyu n’est pas initialement une réussite planifiée, la culture de masse étant généralement considérée comme trop populaire et de mauvaise qualité pour réussir à l’étranger. Cependant, le peuple coréen se caractérise par son goût pour les arts populaires comme le chant, la danse, les manhwa (mangas coréens) ou les séries télévisées, et les productions se sont ainsi multipliées depuis les années 1990. Les scénaristes et les agents de l’audiovisuel coréens s’efforcent de faire ressortir les caractéristiques du peuple coréen dans leurs productions, ce qui en a fait des œuvres originales et nettement étiquetées coréennes. Le label K-pop est à ce titre révélateur et a développé sa capacité à l’exportation en s’insérant dans un processus de mondialisation de la culture et en optant pour une hybridation (2). La K-pop joue ainsi de plus en plus sur l’accès à d’autres langues, avec des titres en anglais. Les artistes coréens se produisent par ailleurs de plus en plus à l’étranger, y compris dans des pays occidentaux. De ce fait, l’industrie coréenne culturelle est un marché en pleine expansion. Au départ identifié comme un phénomène culturel aux caractéristiques propres, Hallyu s’est progressivement élargi à la cuisine, au mode de vie et à la culture en général. Le gouvernement coréen a reconnu la valeur de ce phénomène, qui n’est pas seulement de vendre plus de biens culturels, mais aussi de vendre l’image de la culture coréenne et de la Corée du Sud à l’étranger. Mais ce sont au départ les chaebols, les grands conglomérats coréens, qui ont compris l’intérêt de miser sur les productions culturelles. Certaines maisons de production, comme celle du groupe musical BTS, Big Hit Entertainment, sont ainsi devenues des symboles de cette stratégie commerciale à succès (3).
Les retombées sont innombrables. Hallyu attire l’attention sur la Corée du Sud et met l’accent sur des secteurs autres que la culture de masse, comme le hangeul (l’alphabet coréen), le hansik (la nourriture coréenne), le hanbok (le costume traditionnel coréen), les hanok (les maisons traditionnelles coréennes), le hanji (le papier traditionnel coréen) ou encore la musique traditionnelle coréenne. On peut également s’intéresser aux retombées sur le secteur touristique en Corée du Sud. Depuis le début du phénomène Hallyu et la vitrine médiatique sportive inaugurée avec les Jeux olympiques de Séoul en 1988, le nombre de visiteurs étrangers en Corée n’a cessé d’augmenter. De nombreux lieux sont devenus des destinations touristiques incontournables. C’est le cas du quartier d’Insadong ou du marché de Dongdaemun à Séoul, dans lesquels on voit apparaître de plus en plus d’indications dans différentes langues, mais le phénomène s’étend à tous les lieux associés au tournage de séries à succès ou de production de K-pop. Hallyu offre des retombées économiques dans l’industrie culturelle comme le cinéma, la musique ou les séries télévisées, mais aussi dans les secteurs secondaires et tertiaires grâce notamment à la promotion de produits par des stars de K-pop, des acteurs célèbres ou des sportifs. Les vedettes et les sportifs peuvent même avoir un rôle beaucoup plus fédérateur que la publicité pour un produit commercial en particulier, et on les voit devenir de véritables ambassadeurs des marques dont ils assurent la promotion. Les grands groupes bénéficient ainsi de retombées sur leurs autres secteurs, ce qui leur permet d’être compétitifs sur le terrain des exportations. C’est pourquoi on relève une très forte présence de Hallyu dans des sociétés en développement, comme l’Asie du Sud-Est, où les jeunes populations se sont progressivement habituées à voir des drama coréens et à écouter de la K-pop.
Entre public diplomacy et stratégie commerciale
Les milieux académiques se sont, les premiers, penchés sur la question du soft power coréen et le lien avec Hallyu. Mais le gouvernement n’a pas tardé à suivre pour assurer la promotion de sa diplomatie publique. La stratégie coréenne s’appuie aujourd’hui sur un ensemble de caractéristiques propres à une puissance moyenne ; c’est un pays disposant de moyens importants, mais qui, dans le même temps, souffre encore d’une image peu connue. Elle s’étend dans de multiples secteurs, visant à la fois à promouvoir les caractéristiques du pays (nation branding) et à mettre en avant un modèle économique et social, ou encore dans le domaine de l’éducation (4).
Derrière sa culture populaire, c’est l’image de la Corée du Sud qui est en jeu, et sa trajectoire au cours des dernières décennies est un atout de poids. Ce pays est réputé pour avoir réussi sa démocratisation et son décollage économique sur une courte période. Il est par ailleurs sorti rapidement des crises financières et économiques, notamment celles de 1997 et de 2008. Le modèle sud-coréen est un exemple pour des pays qui souhaiteraient reproduire le « miracle de la rivière Han », qui a permis à Séoul de sortir de la misère pour s’imposer comme l’une des sociétés les plus dynamiques et modernes d’Asie (5). Les chaebols furent les grands artisans de ce succès.
En s’associant aux chaebols, l’État coréen joue un rôle central dans la stratégie de soft power, et a rapidement évalué les avantages de Hallyu pour l’image de la Corée du Sud (6). Il a lancé en 2001 le slogan Dynamic Korea pour démontrer son dynamisme dans de nombreux secteurs. En 2002, à l’occasion de la Coupe du monde de football (coorganisée avec le Japon), le gouvernement coréen a créé une commission sous l’égide du Premier ministre pour l’amélioration de l’image nationale. En 2007, l’organisation du tourisme coréen a lancé le slogan Korea sparkling pour attirer les touristes étrangers, et fait des promotions dans les grandes villes comme New York, Pékin, Tokyo ou Londres. Cependant, cette commission, trop centrée sur l’acteur gouvernemental, n’a pas fourni de résultats satisfaisants et fut remplacée dès 2009 par le Presidential council on nation branding. Placée sous l’autorité directe du président de la République, cette nouvelle commission coopère davantage avec les acteurs non gouvernementaux. En prenant en compte que le soft power est au moins aussi important que le hard power, elle affiche deux principaux objectifs, qui sont d’augmenter l’image du pays pour arriver au niveau moyen des membres de l’OCDE, et de placer la Corée du Sud dans les premiers rangs des pays ayant la meilleure image dans le monde.
Cette commission s’est concentrée sur cinq points :
• élargir la contribution de la Corée du Sud à la communauté internationale. Elle a augmenté sa coopération pour le développement et élargi son réseau d’échanges portant sur l’intelligence économique. Par ailleurs, elle a prévu de participer plus activement aux problématiques globales comme la protection de l’environnement ou la lutte contre la pauvreté ;
• renforcer la communication en s’adaptant au multiculturalisme ;
• renforcer la prise en compte des défis globaux auprès des citoyens coréens ;
• promouvoir des points forts comme le secteur de la haute technologie, en renforçant la collaboration du gouvernement avec le secteur privé ;
• promouvoir la culture et les valeurs coréennes auprès des étrangers.
Au cours des années 2010, ces travaux s’accompagnèrent d’efforts en vue de créer un label « Made in Korea », et d’une stratégie de nation branding dans laquelle Hallyu joue un rôle de vitrine de ce que la société coréenne offre tant au niveau commercial que dans son style de vie. Le gouvernement coréen s’est également engagé à promouvoir la culture coréenne à l’échelle internationale, imposant ainsi une troisième vague Hallyu.
Une stratégie de plus en plus globale
C’est surtout en Asie que le soft power coréen est très présent. Le cas chinois est évident en raison de la présence d’une minorité ethnique coréenne, mais on retrouve ce phénomène de manière plus importante encore en Asie du Sud-Est. Cela s’explique par la compétitivité des produits coréens et leur image positive (face au Japon et à la Chine en particulier). Des sociétés comme les Philippines ou l’Indonésie, marchés gigantesques de respectivement 100 et 250 millions de personnes, sont des cibles privilégiées. En plus de l’exportation de la K-pop et des séries télévisées, on y trouve un nombre grandissant d’enseignes coréennes qui apparaissent dans les séries ou les vidéos musicales. Produits cosmétiques, mode, voitures, téléphonie, gadgets en tous genres… Les habitants du Sud-Est asiatique développent souvent une image de la Corée qui est le reflet de ces productions, et il en découle une envie de « vivre à la coréenne ».
Ce phénomène est cependant devenu global depuis une décennie, et la reconnaissance de la culture coréenne, illustrée par Parasite ou, dans un autre registre, le tube planétaire Gangnam Style en 2012, est désormais une réalité à l’échelle mondiale, notamment dans le monde occidental (7). Hallyu est ainsi parvenu à générer une succession de vagues lui permettant de se développer et d’étendre son influence. À ce titre, la gestion de la crise de Covid-19 en Corée du Sud, fondée sur la technologie et la transparence, a renforcé la capacité d’influence de ce pays et son rôle de modèle pour de nombreuses sociétés en développement. Si cette image positive n’efface pas les problèmes que rencontre la société sud-coréenne (parmi lesquels la corruption impliquant les chaebols et les problèmes d’égalité hommes-femmes), la stratégie de soft power de Séoul, associant le travail des acteurs de la société civile et l’encadrement des autorités, est un succès qui a valeur d’exemple pour de nombreux pays.
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Notes
(1) Philipp Olbrich et David Shim, « South Korea’s Quest for Global Influence », Global Asia, vol. 7, no 3, automne 2012.
(2) Shim Doobo, « Hybridity and the Rise of Korean Popular Culture in Asia », Media, Culture & Society, vol. 28, no 1, janvier 2006 ; Ryoo Woongjae, « Globalization, or the Logic of Cultural Hybridization : The Case of the Korean Wave », Asian Journal of Communication, vol. 19, no 2, 2009.
(3) Wantanee Suntikul, « BTS and the global spread of Korean soft power », The Diplomat, 1er mars 2019 (https://thediplomat.com/2019/03/bts-and-the-global-spread-of-korean-soft-power/).
(4) Barthélémy Courmont et Kim Eojin, « Outils et succès du soft power coréen : entre reconnaissance internationale et nation branding », Revue d’études franco-coréennes, no 64, mai 2013.
(5) Dominique Barjot, « Le “miracle” économique coréen (1953-2013) : Réalités et limites », Outre-Terre, no 39, 2014.
(6) Lee Geun, « A theory of soft power and Korea’s soft power strategy », The Korean Journal of Defense Analysis, vol. 21, no 2, 2009.
(7) Cho Wu-Suk, « Riding the Korean Wave From ‘Gangnam Style’ To Global Recognition », Global Asia, vol. 7, no 3, septembre 2012.
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