17.12.2024
Le Japon dans une posture de défense de plus en plus affirmée, les tensions régionales élevées, la paix comme objectif
Tribune
19 octobre 2021
Pour la première fois en près de 30 ans, la Force terrestre d’autodéfense japonaise (GDSF) a lancé, mercredi 15 septembre, des exercices à l’échelle nationale impliquant toutes les unités, dans le cadre d’une tentative de renforcer la dissuasion et ses capacités dans un contexte d’affirmation régionale accrue de la Chine.
Les exercices des GDSF, comprenant le transport de fournitures et le test des systèmes de communication, seront menés jusqu’à fin novembre à travers le pays, dans le but de renforcer la capacité de défendre les îles éloignées. Sachant que les îles Senkaku sont les plus menacées au sud-ouest de l’archipel nippon.
Dans son livre blanc annuel sur la défense rendu public le 27 septembre, le Japon exprime sa profonde préoccupation devant les activités unilatérales changeant le statu quo en Mer orientale (Mer de Chine méridionale) menées par la Chine. Il s’inquiète de l’effort d’armement chinois qui atteint au moins 250 milliards de dollars par an, soit cinq fois le budget japonais. Ces exercices peuvent apparaître comme une réponse à la montée en puissance de la Chine et aux exercices qu’elle a menés par exemple récemment avec la Russie, ainsi qu’aux nombreuses incursions aériennes et navales aux abords du territoire nippon. Dans le livre blanc de 2021, le Japon a ainsi recensé 407 incursions navales chinoises en 2012 et 1161 en 2020 !
Le GSDF a mené pour la dernière fois des exercices de cette ampleur en 1993 après la fin de la guerre froide. Cette fois, environ 100 000 soldats de toutes les unités de la Force terrestre d’autodéfense japonaise, 20 000 véhicules et 120 avions se joindront aux exercices, qui impliqueront également les forces d’autodéfense maritime et aérienne ainsi qu’un navire de débarquement de l’armée américaine.
Pékin surveillerait de près les exercices et a averti que tout conflit entraînerait des « conséquences destructrices » pour le Japon.
Une implication régionale croissante
À ces exercices « internes » s’ajoute l’affirmation d’une implication régionale croissante pour le Japon, à l’image de son implication dans le dossier taïwanais.
Dans son dernier Livre blanc 2021, le ministère de la Défense japonaise déclare l’importance de Taïwan : « Stabiliser la situation autour de Taiwan est important pour la sécurité du Japon et la stabilité de la communauté internationale. Par conséquent, il est nécessaire que nous payions une attention particulière à la situation avec un sentiment de crise plus que jamais. »
Pour la première fois depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Japon pourrait intervenir en lien avec la situation à Taïwan, et donc hors de ses frontières. Le 27 août dernier, des représentants de l’État nippon se sont rendus à Taïwan pour renforcer la coopération militaire entre les deux pays. Il s’agit d’un changement stratégique majeur pour Tokyo.
Si le gouvernement nippon ne reconnaît toujours pas officiellement l’indépendance de Taïwan, il a promis d’organiser des exercices en commun entre les garde-côtes taïwanais. Là aussi, c’est un changement politique important pour Tokyo, le Japon ayant inscrit au lendemain de sa défaite lors de la Seconde Guerre mondiale, dans l’article 9 de sa Constitution, que son armée ne pouvait intervenir que pour défendre les frontières nippones. Le vice-premier ministre japonais, Tarō Asō, déclarant qu’une invasion chinoise de Taïwan serait un acte grave qui menacerait par répercussion, l’existence même de l’État japonais. Or, la Chine a récemment violé massivement l’espace aérien taïwanais et effectué des démonstrations de force.
Pour outrepasser les limitations constitutionnelles qui empêchent les garde-côtes japonais d’intervenir dans un pays étranger, le parti libéral-démocrate (PLD) – mené par le Premier ministre Yoshihide Suga – a jugé que les garde-côtes nippons ne dépendaient pas exactement du ministère de la Défense – contraint par la Constitution à ne pas mener des opérations hors des frontières japonaises – mais plutôt du ministère de la Police. Un changement d’interprétation qui permet donc à cette force maritime d’avoir des liens plus étroits avec les troupes taïwanaises.
Effort de réarmement et modernisation
À cette nouvelle alliance, s’ajoute la poursuite du renforcement des liens avec les alliés traditionnels. Les exercices navals en commun se multiplient notamment les exercices Malabar qui se sont tenus à la mi-octobre dans la baie du Bengale, coordonnant les marines du Japon, des États-Unis, de l’Inde et de l’Australie. L’effort de réarmement se poursuit, appuyé par les déclarations du Premier ministre japonais, Fumio Kishida, indiquant que son pays devrait acquérir un équipement militaire préventif tel que des avions de chasse et des missiles pour éliminer les armes ennemies au sol avant leur lancement.
Hormis ces armes offensives, les forces armées poursuivent une modernisation accélérée, à l’image des forces sous-marines. Kawasaki Heavy Industries a en effet lancé le 14 octobre le Hakugei, deuxième unité de la classe Taigei, une classe de sous-marins diesels-électriques (SSK) de pointe, destinés à la Force maritime d’autodéfense du Japon (JMSDF). La première unité de classe Taigei devrait être mise en service au sein de la JMSDF en mars 2022 pour être utilisée comme sous-marin d’essai. Le Hakugei sera donc le premier sous-marin de sa classe à effectuer des déploiements opérationnels. L’apparence extérieure des sous-marins de la classe Taigei n’est pas très différente de celle de la classe Sōryū, mais à l’intérieur se trouve un sous-marin complètement différent. Premièrement, la classe Taigei utilise des batteries lithium-ion au lieu du 4V-275R Mk. III système AIP, qui a été installé à bord des 10 premiers sous-marins de la classe Sōryū. Avec le lancement de Hakugei, le Japon dispose désormais de quatre sous-marins équipés de batteries Lithium-Ion dans l’eau (les deux derniers sous-marins de la classe Soryu et les deux premiers de la classe Taigei). Deuxièmement, les capacités du sonar et du système de commandement de combat ont été améliorées, ainsi que l’utilisation de nouveaux matériaux absorbants acoustiques et d’une structure de plancher flottant pour le rendre plus silencieux. Il est également équipé de contre-mesures de torpilles (TCM), qui éjectent des leurres pour échapper aux torpilles ennemies pour une meilleure capacité de survie.
Au-delà de cette modernisation et montée en gamme on pourrait aller plus loin.
Vers un doublement des dépenses ?
L’AFP a révélé début octobre une tendance inquiétante pour l’équilibre régional : « Le parti de droite nationaliste au pouvoir au Japon a dévoilé le 12 octobre son programme électoral, dans lequel il plaide notamment pour un doublement à terme des dépenses militaires, pour contrer les menaces de la Chine et de la Corée du Nord. Le Parti libéral-démocrate (PLD), dirigé par le nouveau Premier ministre Fumio Kishida, fait campagne pour conserver sa majorité au Parlement à l’issue d’élections législatives le 31 octobre. Même s’il risque de perdre des sièges, le PLD, qui a dominé la vie politique japonaise quasiment sans interruption depuis 1955, devrait remporter ce scrutin face à une opposition restant faible et divisée. À long terme, le PLD vise une augmentation du budget de la défense du Japon au-delà de 2 % du PIB, un ratio qui le mettrait au même niveau que les pays membres de l’OTAN, selon le parti. Mais cela marquerait une rupture avec la tradition du Japon de plafonner ses dépenses de défense à moins de 1 % de son PIB ».
Le Japon est donc inquiet et cette inquiétude peut accélérer la course aux armements à laquelle se livre la Chine dans une large mesure (en fonction de ses moyens considérables) et ses voisins immédiats dans une mesure moindre (mais même les Philippines au PIB réduit se constituent par étapes l’ébauche d’une marine).
Face aux tensions montantes et compte tenu du fait que les États-Unis accroissent leur présence navale et cherchent à contrer la Chine (nouveaux déploiements, nouveaux équipements dont bientôt des armes hypersoniques, missiles volant à plus de Mach 5, drones navals, etc.), il est grand temps que les deux grands acteurs que sont les États-Unis et la Chine négocient pour atténuer les tensions qui sont dangereuses pour la paix et coûteuses. Une grande conférence navale internationale, des gestes de bonne volonté de chaque côté en évitant les provocations comme des déploiements navals dans les détroits ou la bétonisation d’atolls en mer de Chine contribueraient à éclaircir l’horizon et fixer de nouveaux caps plus utiles comme le développement du commerce réciproque, les échanges humains et techniques, la bonne volonté dans l’océan bien nommé comme Pacifique…