« Le sport est sous-exploité en tant que solution à nos problématiques de société »
L’expression « faire de la France une nation sportive » s’est imposée avec force dans le discours politique. Le dernier discours d’Emmanuel Macron lors de la réception des médaillés des Jeux olympiques de Tokyo en témoigne. Au-delà de la formule, simple et accrocheuse, à quoi cela peut-il, doit-il servir ? A qui ? Et avec quels moyens ?
Alors que la page des Jeux paralympiques de Tokyo est tournée, s’ouvre désormais une période où la France va être constamment sous le feu des projecteurs.
En plus des traditionnels grands événements sportifs annuels (Tour de France, Roland-Garros), notre pays va aussi accueillir dans les prochaines années plusieurs des plus grands événements sportifs internationaux : les finales de Coupe du monde de ski à Courchevel (2022), la Coupe du monde masculine de rugby (2023) et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris (2024).
L’organisation de ces compétitions – et la candidature à celle-ci – s’inscrit dans un des axes définis de la diplomatie sportive française développée officiellement depuis 2013. Bien qu’essentiel, cet axe ne doit pas occulter les autres réflexions à porter sur le sport en France.
Le sport est en effet sous-exploité en tant que solution à nos problématiques de société, notamment en matière d’éducation et de vivre-ensemble. L’activité physique peut constituer un formidable outil d’apprentissage et contribuer au développement de compétences sociales. Encore faut-il l’utiliser à bon escient, arrêter de penser que le sport porte en lui des valeurs positives intrinsèques, et valoriser les pratiques qui font leurs preuves sur le terrain.
A l’occasion des grands événements sportifs à venir sur le territoire, les lumières seront braquées sur les performances des athlètes. Le Covid-19 a mis en lumière le rôle de nombreux « premiers de corvées » sans qui la société ne fonctionne pas. Il s’agirait de ne pas oublier ni négliger l’« armée » de bénévoles et de professionnels qui utilisent, quotidiennement, le sport pour servir le bien commun.
L’essentiel se joue et se jouera pourtant là, dans les écoles, les clubs, les dispositifs périscolaires et les centres sociaux : commencer par reconnaître et soutenir chacun de ses acteurs – professeurs, éducateurs, entraîneurs, animateurs, etc. – permettra de déterminer en grande partie le rôle du sport et son impact social réel demain.
Une bombe à retardement sanitaire
Une vision ambitieuse et des actions concrètes sont indispensables pour mettre le sport au service de l’intérêt général sur le territoire national. La progression de la sédentarité et de l’inactivité physique constitue une véritable bombe à retardement sanitaire et représente l’une des plus grandes causes de risque de mortalité liées aux maladies non transmissibles, selon l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) qui classe par ailleurs la France au 119e rang sur 146 en matière d’activité physique des jeunes à l’échelle mondiale. Cela en dit long sur la faiblesse de notre culture sportive et le volontarisme politique dont il faut faire preuve, aujourd’hui, pour être à la hauteur de cet enjeu.
Nombreux sont ceux qui n’ont pas manqué de multiplier les discours laudateurs sur les résultats de l’équipe de France, olympique comme paralympique. Pourtant, comme le disait justement le joueur de basket-ball Evan Fournier dans sa lettre ouverte au ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, « féliciter nos athlètes tous les quatre ans n’est plus suffisant ».
Nous ne pouvons plus seulement nous contenter de récolter les graines semées, qu’il s’agisse de médailles, de performances ou d’événements à accueillir. Faire de la France une nation sportive ne se décrète pas. Cela s’explique, d’abord, puis se prouve et se met en œuvre quotidiennement, au niveau local, au cœur d’associations, de clubs et des districts, comme lors de discussions stratégiques au sein d’instances sportives internationales.
Le futur chef ou la future chef de l’Etat sera aux responsabilités lors des grands événements sportifs internationaux des prochaines années. On attendra donc de sa part une parfaite connaissance des enjeux, mais aussi, et surtout, une capacité à s’emparer des opportunités qui se présentent.
A l’heure où les primaires s’organisent et où les candidatures se multiplient, permettez-nous de vous demander à vous, candidats, candidates, quelle est votre vision, demain, pour le sport en France ? Comment contribuerez-vous à nous libérer de cette fâcheuse tendance à considérer le sport en priorité dans sa valeur symbolique ? Comment contribuerez-vous à (ré)inventer la diplomatie sportive française et la place du sport dans notre société de demain ?
Changer de paradigme
Ces dernières années, plusieurs initiatives ont vu le jour pour accroître les externalités positives du sport : le fonds de dotation créé par Paris 2024 et ses démarches en matière d’héritage, les investissements de l’Agence française de développement (AFD) dans le sport, notamment en Afrique, ouvrent de nouvelles perspectives. Elles permettent de faire émerger des innovations sociales, de grandir les actions de la société civile, et favorisent la collaboration entre les acteurs publics et privés.
Toutefois, ces projets ne peuvent pas constituer des prétextes pour ne pas réaliser ce qui est nécessaire dans les années qui viennent : changer le paradigme du sport en France, à travers le prisme du bien commun, chez nous et ailleurs dans le monde. Il nous faut aller plus vite, plus haut, plus fort.
Trop souvent oublié, le sport apparaît pourtant, dans sa dimension sociale, politique et internationale comme un outil pertinent depuis une dizaine d’années au sommet de l’Etat français. Qu’en sera-t-il demain ? Ne plus être ambitieux et ne pas être capable de penser l’après-2024 donnerait un coup d’arrêt. Trop de temps, trop d’efforts, trop de moyens ont été investis pour que cette stratégie finisse par s’essouffler.
Il est de la responsabilité des candidats et candidates à la présidentielle de se saisir de ce sujet et de construire une vision, un programme. Les enjeux sont trop importants pour être négligés une fois encore.
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Tribune de Carole Gomez, directrice de recherche à l’IRIS, co-écrite avec David Blough, entrepreneur, pour LeMonde.fr