18.11.2024
Pourquoi la Chine est-elle si hostile à la visite de sénateurs français à Taïwan
Presse
6 octobre 2021
C’est une pratique très ancienne. Nous avons au Sénat un groupe d’amitié France-Taïwan qui a vocation à servir la diplomatie parlementaire. En l’absence de relations diplomatiques officielles entre la France et Taïwan, il y a des contacts très importants. Au-delà des échanges économiques et culturels, il y a aussi une dimension politique forte qui va être véhiculée par ces rencontres parlementaires. C’est l’occasion d’aller rencontrer les officiels taïwanais, notamment la présidente, Madame Tsai Ing-wen. Cette mission des sénateurs a une importance tout à fait particulière, en comparaison avec les précédentes, parce qu’elle affirme la volonté de Paris de ne pas céder aux pressions chinoises et de maintenir une relation de coopération avec Taïpei. Le fait d’avoir à sa tête un personnage comme Alain Richard, ancien ministre de la Défense de Lionel Jospin, est tout à fait emblématique de cette volonté de marquer la souveraineté de la France vis-à-vis des pressions chinoises.
Quels intérêts la France a-t-elle là-bas ?
Le partenariat est très important. Rappelons d’abord que, Taïwan n’étant pas reconnu par les Nations unies, elle ne dispose pas de toutes les classifications mondiales sur son PIB ou sa population. Mais Taïwan est aux portes du G20, ce qui en fait un acteur économique et commercial tout à fait important. Les relations avec la France sont importantes de ce point de vue, et notamment dans le domaine des hautes technologies où Taïwan performe. On a une coopération très étroite dans le domaine culturel avec des échanges d’artistes et une représentation de la francophonie nourrie par ce besoin diplomatique de Taïwan. Et puis on va bien sûr retrouver derrière une coopération politico-stratégique. Selon le contexte international, il y a évidemment pour Taïwan des séquences au cours desquelles la relation avec la France est plus étroite. Par exemple, consécutivement aux événements de Tiananmen en Chine, en 1989, la France s’était considérablement rapprochée de Taïwan, d’autant plus que la province avait fait le choix quelques années plus tôt d’un régime démocratique. Cela s’était traduit par la vente de frégates La Fayette dont est toujours équipé Taïwan aujourd’hui.
Pourquoi la Chine souhaitait à ce point dissuader la délégation sénatoriale de se rendre à Taïwan ?
On l’a déjà vu au cours des derniers mois. C’est un phénomène récent mais pas inédit. Il y a eu un tournant dans la relation entre la Chine et Taïwan, notamment après l’élection de Madame Tsai Ing-wen, en janvier 2016 : la Chine a immédiatement diabolisé Taïwan à cause d’un retour à une ligne plus souveraine. Les relations se sont considérablement dégradées ces cinq dernières années. D’autant plus que Taïwan a considérablement gagné en légitimité avec sa bonne gestion de la crise du Covid-19. À cela s’ajoute une démarche chinoise qui vise à essayer d’isoler diplomatiquement Taïwan, en faisant pression sur les quelques pays (une quinzaine aujourd’hui) qui conservent des relations diplomatiques avec Taïpei. Il y a également des manoeuvres, des intimidations de plus en plus fréquentes des forces armées chinoises avec des incursions dans l’espace maritime et aérien taïwanais. Dans cette optique, la Chine n’accepte plus que l’on puisse continuer à traiter, à dialoguer avec Taïwan.
Cette visite peut-elle être interprétée par la Chine comme une volonté de reconnaissance diplomatique de Taïwan par la France ?
Ce serait dommage et inapproprié puisque ce n’est pas le cas. Il y a eu de nombreuses visites, et ces dernières ne se sont pas traduites par une telle volonté. La position française a toujours été très claire : à partir du moment où le général de Gaulle a fait le choix, en 1964, de reconnaître la République populaire de Chine, cela signifiait la non-reconnaissance de Taïwan. Cette ligne est restée inchangée, il n’y a pas de double reconnaissance. Cependant, il y a derrière la réalité de la relation diplomatique une relation tout court, qui concerne une multitude de secteurs. Il est important de continuer à maintenir un dialogue avec Taïwan et de continuer aussi de rappeler la nécessité de maintenir la souveraineté à la fois territoriale et politique avec lui. C’est aujourd’hui une démocratie, et il est nécessaire de rappeler à nos partenaires chinois que nous n’avons pas la volonté de céder sur ce terrain-là. On est sur une question de valeurs fondamentales. Pékin a menacé la France de représailles si les sénateurs se rendaient à Taïwan.
Quelles peuvent en être les conséquences ?
On sait que la Chine a déjà engagé des représailles quand elle n’est pas satisfaite. Quand c’est le cas, elle va mettre en oeuvre un certain nombre de rétorsions commerciales ou sur les investissements. Un pays comme la France ne peut pas ignorer les conséquences de telles mesures, mais elle n’est pas aussi vulnérable que d’autres pays, et la Chine le sait. Donc on a un décalage entre un discours musclé, voire menaçant, et la réalité de représailles. Ceci étant dit, on sait qu’à plusieurs reprises, la Chine a répondu du tac au tac à ce qui était perçu comme des problèmes de traitements inégaux. On se souvient notamment des mesures sur l’entrée sur le territoire français de citoyens chinois, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La Chine avait protesté en durcissant à son tour les mesures d’entrées pour les Français sur son territoire. Cette question de la réciprocité est au coeur de la relation entre nos deux pays. Mais il est important de rappeler que la France a non seulement les moyens, mais aussi tout intérêt à maintenir ce type de missions sénatoriales et à conserver ce lien avec Taïwan.
Propos recueillis par Hugues Maillot pour Le Figaro.