13.12.2024
« La puissance par l’image – Les États, leur diplomatie publique » – 3 questions à Christian Lequesne.
Édito
4 octobre 2021
Vous distinguez le soft power, qui ne découle pas d’une politique volontariste orchestrée par l’état, de la diplomatie publique…
Absolument. Le soft power décrit la puissance découlant de l’attractivité d’un pays. Mais il ne s’agit pas forcément d’un acte entièrement initié et contrôlé par l’Etat. Le soft power résulte souvent d’une addition de micro-actions provenant des acteurs sociaux. Le fait d’avoir des universités qui rayonnent, des artistes de qualité, une langue (comme l’espagnol) qui attire n’est pas uniquement le résultat de politiques volontaristes menées par les autorités politiques. En revanche, la diplomatie publique (que l’on appelle en France diplomatie d’influence) est le résultat d’une médiation pensée par l’autorité politique. Quand la France crée Campus France pour mieux attirer les étudiants étrangers, quand elles diminuent les coûts de scolarité des lycées au Liban pour continuer à accueillir les élèves des familles touchées par la crise, elle cherche à maintenir sa puissance par des politiques volontaristes. On comprend dès lors que la diplomatie publique renforce le soft power mais qu’elle n’est pas exactement son équivalent car la puissance d’un Etat ne se résume pas à la médiation d’un gouvernement.
Le soft power concerne aussi les régimes non-démocratiques…
Oui, bien sûr. À la différence de tout ce que les réalistes ont écrit sur le fait que les régimes non démocratiques ne s’intéressent qu’à la coercition. Empiriquement, il n’est pas difficile de démontrer que la Chine ou la Russie cherchent aussi à consolider leur rayonnement dans le monde par l’attractivité. Cela est mené en parallèle de l’exercice de la contrainte militaire ou de la diplomatie du bâton. Il faut se montrer généreux avec les pays d’Afrique, accueillir des étudiants étrangers avec des bourses, consentir à des prêts à investissements. Aucun État non démocratique ne peut aujourd’hui assurer sa puissance sur le seul modèle de la menace militaire. Cela s’explique par la temporalité de la politique. Les régimes non démocratiques tiennent autant que les régimes démocratiques à assurer leur pérennité ou, pour le dire plus simplement, à durer dans l’exercice du pouvoir. La coercition est souvent une manifestation de la puissance à court terme : on envahit un territoire (comme la Russie en Crimée), on envoie un message de menace (comme la Chine aux Philippines) à propos de l’accès aux voies maritimes. Mais l’attractivité du soft power stabilise la puissance à plus long terme.
Comment distinguer propagande et diplomatie publique ?
La frontière est poreuse mais le rôle des sciences sociales est justement de ne pas renoncer à éclairer les ambigüités. La diplomatie publique est un concept libéral au sens où elle recherche la puissance par l’attractivité librement consentie des acteurs. Elle évite aussi tout langage d’agressivité à l’égard de ceux qui n’adhèrent pas au message ou à l’image. La propagande cherche à imposer son message comme le seul valable et réagi violemment lorsqu’on la conteste. C’est sur ce point d’ailleurs que les régimes non démocratiques se font souvent piégés en croyant piéger par la propagande. Lorsque l’on n’adhère pas à leur message de propagande ou qu’on le conteste, ils réagissent par l’invective et l’insulte et font perdre toute crédibilité à leurs entreprises de diplomatie publique. Lorsqu’un ambassadeur de Chine traite un chercheur de « petite frappe », il commet des dégâts considérables pour l’image et donc la puissance de la Chine, en étant exactement persuadé du contraire. C’est là où l’on voit les limites des régimes autoritaires à l’égard du maniement du concept de soft power qui, une fois encore, reste fondamentalement libéral. On comprend aussi pourquoi les index de soft power de pays autoritaires sont dans l’ensemble très mauvais.